« Pourquoi devrions-nous adopter les
priorités et les hiérarchies de l'Occident ? Vos succès au XXe siècle sont-ils
si éclatants ? La Seconde Guerre mondiale, les génocides, la destruction de
l'environnement, et que suivra-t-il encore ? » Ashis Nandy
Une expression de J.M.G. Le Clézio auteur du
Rêve mexicain et prix Nobel de littérature en 2008, évoquant son premier choc
civilisationnel en 1968, en visitant la première fois le Mexique, m’inspire ma
phrase d’accroche pour ce texte dont l’introduction m’épuise. J.M.G. Le Clézio
parle de la « catastrophe de la conquête » du continent américain.
La « catastrophe » des conquêtes européennes
a bouleversé le monde et l’humanité. Je pense au psychosociologue indien Ashis
Nandy qui a vu naître après l’aventure coloniale, un occidental, un homme dit «
moderne » éprouvant un sentiment de supériorité sur les civilisations orientales
et africaines. De l’aventure coloniale, les Occidentaux et les Européens, après
avoir dévasté, pillé et massacré espèces, cultures et patrimoines, n’ont retenu
hélas qu’une seule leçon : la barbarie,
c’est les autres.
L’enseignement du grec conditionné par un
ethnocentrisme culturel, a conditionné la pensée de toute une élite d’Européens
qui doivent faire voir à Spinoza l’homme qui a vu un philosophe grec.
Flânant au hasard des ruelles et des
labyrinthes de l’esprit occidental, européen et chrétien, j’ai fini par
découvrir la question qui taraude toute une civilisation judéo-chrétienne.
Comment trouver ou prouver une filiation athénienne pour Jésus de Nazareth ? Sous
le toit de l’Eglise d’un Jésus athénien, laïcs et religieux se réconcilieront au
nom de la pureté et de la supériorité ethno-confessionnelles et
civilisationnelles. Les laïcs ne jurent qu’au nom de la Grèce antique, et les
religieux chrétiens purifieront leur Jésus de son origine juive.
1.
Tous les chemins occidentaux mènent à Athènes…
Qu’éprouve-t-on en
lisant ces philosophes et écrivains occidentaux et européens qui n’écrivent
qu’en pensant à la Grèce antique ? Les Occidentaux et les Européens se
sentent-ils plus en sécurité culturelle en ne se référant qu’à leurs propres
philosophes ? Ignorent-ils l’existence des philosophes asiatiques et africains
quand Pablo Picasso ignore ce qu’il appelle, narquois, « l’art nègre »? Sont-ils
tous des Rivarol ? [1]
L’universalisme d’un philosophe « homme
moderne » qui porte un nom européen, une montre Uranie, un parfum Euphrosyne,
qui s’installe avec son chien Alpos, sur la terrasse du café Hébé, Avenue Aglaé,
tout près du jardin Thalie, qui s’inspire esthétiquement des modèles grecs et
qui pense écrire un texte sur Œdipe pour la revue Diogène, ressemble au drapeau
des États-Unis sur la Lune. Il flotte, il ne flotte pas. Figé comme la pensée de
Rivarol.
2.
Rivarol et la hiérarchisation des cultures…
Rivarol, en 1784, dans son Discours sur
l’universalité de la langue française, considère sans gêne que «ce qui n’est
pas clair n’est pas français», élevant la langue française et donc la culture
française au-dessus de toutes les autres langues et cultures, car selon lui le
français suit l’ordre de la raison alors que les autres langues sont minées et
aveuglées par le désordre et la passion.
Répudier purement
et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, qui sont
les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions, est une réaction
grossière selon Claude Lévi-Strauss, et qui traduit « ce même frisson, cette
même répulsion, en présence de manière de vivre, de croire ou de penser qui nous
sont étrangères. » [2]. Une hiérarchisation des langues et donc des cultures
qui devait par la suite bouleverser le système éducatif des pays colonisés.
Ashis Nandy cite l’exemple des desseins britanniques en Inde. Comment cette
hiérarchisation des cultures a pu détruire les échanges culturels de l’Inde avec
d’autres civilisations telles que la Chine, l’Égypte, l’Iran et la Turquie, car
les élites indiennes occidentalisées ont commencé à les percevoir comme
arriérées [3]. Une capitulation, une fascination et une acculturation
qui poussèrent nos élites à ne légitimer que les échanges culturels avec le seul
Occident. Un Occident qui a su comment diviser et déraciner pour régner et qui
s’acharne et peste aujourd’hui contre le retour dans le monde arabe de la
Turquie et de l’Iran, voire de la Chine.
3.
La barbarie, c’est les autres…
Les Européens ont
inventé un mythe originel les célébrant comme demi-dieux et entraînant la
déchéance des autres « races » dites inferieures. Ils ont fini par y croire. Ils
nous ont colonisés. Ils voulaient nous inculquer leur mythe, leur berceuse. Ils
nous ont légués leurs fantassins qui sont nos élites désormais. Le chien Alpos
est moins barbare que les autres singes [4]. Après la capitulation militaire,
économique et juridique, vient la capitulation culturelle. Ashis Nandy dénonce
une aliénation des élites qui conduit souvent à une véritable réécriture de leur
propre civilisation.
Les mythes des
Européens et des Occidentaux auraient pu être de fabuleuses berceuses pour nous
autres, si en réalité ils ne conditionnaient pas la catastrophe des conquêtes
d’une civilisation judéo-chrétienne sacrificatrice. S’ils ne ravivaient pas les
plus épouvantables doctrines et desseins d’une monarchie chrétienne universelle
[5]
toujours à la recherche d’une capitulation religieuse des Musulmans et des
Chinois [6].
4.
Gandhi ou le rouet qui a brisé le mythe…
Pendant que les Rivarol, Voltaire, Jules
Romains, Jules Ferry etc... vivaient leur mythe raciste dans un autre mythe
raciste, Gandhi, l’un des pères de l’humanité, filait des passerelles de coton
entre les cœurs, les âmes et les esprits. Entre les cultures et les
civilisations.
Cette « barbarie » simple et quotidienne du rouet de Gandhi a
brisé l’égocentrisme enfantin de tout un Occident. Les Occidentaux figés sur
leur mythe ne pourront jamais arrêter la roue du rouet des civilisations qui
tournera toujours.
Notes
[1] Je
m’intéresse à Rivarol que je trouve moins raciste que les autres Voltaire,
Renan, Victor Hugo, Jules Romains, Jules Ferry etc.
[2]
Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, éd. Folio, coll. Essais, 1987. Cf. Michel
LEIRIS : Race et Civilisation. Cinq études d'ethnologie, Gallimard, coll. Tel,
1988.
[3] Ashis
Nandy, « The After Life of the Raj in Indian Academe », in Vinay Lal, Dissenting
Knowledges, Open Futures: The Multiple Selves and Strange Destinations of Ashis
Nandy, Oxford University Press, New Delhi, 2000.
[6] Lire
« The purge (II) : l’ascension de la mondialisation messianique
de la pieuvre aux trois cœurs… »

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