Les lanceurs d’alerte ont le vent en poupe. Depuis l’affaire Edward Snowden, ils sont devenus les héros populaires des temps modernes, des sortes de Zorro ou de Robin des Bois, adulés du peuple et pourchassés par les autorités. A chaque époque ses Sheriffs de Nottingham et ses sergents Garcia. L’essentiel est que les héros s’insurgent contre l’ordre établi, le pouvoir contre lequel le peuple éprouve généralement un sentiment d’impuissance.
Les nouveaux chevaliers s’appellent des lanceurs d’alerte, ou plus exactement
des Whistleblowers. Notons tout d’abord que ces notions n’ont vraiment de
réalité que dans les pays anglo-saxons, notamment aux Etats-Unis, où ils
bénéficient d’un statut théoriquement protégé par la loi. En France, le statut
le plus approchant serait celui d’objecteur de conscience, mais n’a pas la même
signification, loin de là.
Dans les pays anglo-saxons, on pourrait définir, globalement, les lanceurs
d’alerte comme des personnes qui, grâce à leur fonction ou position leur
permettant d’accéder à certains secrets, alertent le public des actions
illégales de l’Etat. On se place ici dans un cadre juridique : personne n’est
au-dessus des lois, même pas l’Etat. Cela suppose que les lanceurs d’alerte sont
fermement convaincus que l’individu, son bien-être et sa liberté sont protégés
par la loi, et qu’il suffit d’y veiller pour que tout aille pour le mieux dans
le meilleur des mondes. Si l’état dispose d’énormes moyens pour surveiller ses
citoyens, non seulement l’inverse n’est pas vrai, mais il dispose également des
moyens pour échapper à tout contrôle.
Qui sont les lanceurs d’alerte ? La liste est longue et concerne pratiquement
tous les pays. Ils s’attaquent non seulement à l’état et à ses institutions,
mais aussi aux grosses entreprises multinationales. Avec la mondialisation et le
développement de l’internet, leur rôle est devenu de plus en plus important,
d’autant plus important que ces deux facteurs obligent les états à renforcer
leur contrôle sur des citoyens qui tendent à devenir hors contrôle. La
mondialisation engendre également un phénomène nouveau. Les dénonciations d’un
lanceur d’alerte ont automatiquement une portée mondiale. De Daniel Ellsberg,
qui avait fourni en 1971 au New York Times 7 000 pages de documentation
top-secrète concernant le processus décisionnel du gouvernement américain
pendant la Guerre du Viêt Nam, à Edward Snowden, en passant par Bradley Manning
ou le Docteur Irène Frachon, médecin au CHU de Brest, à l’origine de l’affaire
du Mediator, l’importance mondiale des révélations a suivi une courbe
ascendante. Du coup, les lanceurs d’alerte, animés en principe par une recherche
désintéressée (et dangereuse) du bien commun, deviennent des icônes.
Ce Samedi 21 Décembre Tracks/ARTE a consacré une émission sur le sujet.
Outre Daniel Ellsberg, l’émission présentait d’autres lanceurs d’alerte ou qui
se considèrent comme tels. Dans ce reportage, la notion de lanceur d’alerte est
élargie à certaines formes de contestation, de rébellion ou de dissidence.
Malgré l’intérêt de l’émission, il me semble qu’il y a une confusion dans le
concept qui risque d’affaiblir les portées des unes et des autres notions.
Prenons le cas des Pussy Riot. Je note au passage que
l’émission a réussi à me les rendre plus sympathiques, plus humaines. Elles ne
font pas que hurler ou chercher à choquer, elles parlent aussi. Et quand elles
parlent, on se retrouve devant des gamines, un peu dépassées par l’ampleur de
leur phénomène, mais comme on en a vu tant et tant, presque à chaque génération.
Révoltées, peut-être le sont-elles. Mais leur révolte n’est certainement pas la
même que celle de ceux qui les managent, qui eux ont des visées d’adultes. À 20
ans la contestation et la révolte n’ont pas de cible précise à moins qu’elles ne
soient canalisées. Depuis les années soixante, on a vu passer les blousons
noirs, les beatniks, les hippies, les punks, les grunges, jusqu’à la
contestation Rap. Tous ces mouvements, plus ou moins provocateurs, sont devenus
des effets de mode, une fois le premier choc passé. Pour commencer à exister,
ils se doivent d’être irrévérencieux, iconoclastes. On se souvient des Sex
Pistols massacrant ‘’God Save The Queen’’. Ou encore de Jimmy Hendrix à
Woodstock annonçant l’apocalypse avec l’hymne américain.
Rien de nouveau, ni dans le phénomène Pussy Riot, ni dans la gestion ou la
récupération du phénomène. Ce qui est curieux, cependant, c’est cette tentative
de vouloir coller à la notoriété des Whistleblowers, comme une soudaine envie de
reconnaissance et de légitimité. J’ai envie de dire : déjà ? Pourquoi vouloir
transformer un mouvement que l’on pourrait qualifier de générationnel, en un
quelque chose qu’il n’est pas ? C’est bien assez qu’il soit récupéré par les uns
et les autres à des fins politiques, voire géopolitiques.
Elles veulent changer le monde ? Tant mieux. Il ne sera pas pire que ce qu’il
est aujourd’hui. Mais paradoxalement, on a l’impression que c’est exactement
l’opposé des buts des lanceurs d’alerte qui chercheraient plutôt à remettre le
monde dans les bons rails en dénonçant toute déviation des lois déjà en place.
On ne peut pas, non plus, les assimiler aux militantes des droits de la Femmes
qui ont une haute idée de la Femme et refusent justement d’être réduites à leurs
corps, que les Pussy Riot utilisent allègrement comme outil. On peut encore
moins les comparer à ces militants-résistants de l’internet, tel Julian Assange,
lui-même lanceur d’alerte ou John Perry Barlow, militant libertaire et auteur
de la Déclaration de l’Indépendance du Cyberespace, présent également dans
l’émission de Tracks/ARTE.
Je les verrai plutôt comme des rappeurs au féminin, avec des atouts féminins,
jouant, à l’instar de leurs collègues masculins, sur la révolte, la dissidence,
la provocation et l’irrévérence. Vu ainsi, on peut mieux comprendre le phénomène
Pussy Riot, y compris même l’exploitation qui en est faite.
Un jour peut-être,
elles prendront conscience qu’elles ont été piégées au nom d’intérêts qui les
dépassent. Peut-être sauront-elles aussi, qu’en allant pousser leur chansonnette
dans une cathédrale, chose que, de toute évidence, l’Eglise russe en pleine
renaissance n’aurait jamais laissé passer, les paroles contre Poutine qui y
étaient glissées n’avaient pour but que de relier leur arrestation probable à
une pseudo-dictature poutinienne.
Avic
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