vendredi 13 décembre 2013

Statut quo à Guantanamo : la torture sans fin.

Jeffrey St Clair               

Peu après cinq heures du matin, un samedi d’avril de cette année, les prisonniers d’un bloc du camp 6 de la prison de Guantanamo s’étaient réunis pour la prière du matin quand tout à coup, les lumières se sont éteintes, les portes se sont ouvertes à grand bruit et des grenades de gaz lacrymogènes ont explosé dans la salle. Les gardiens tirèrent des balles en caoutchouc sur un groupe de prisonniers. Trois hommes tombèrent au sol en gémissant de douleur après avoir été touchés par ces projectiles « non létaux ». Les autres prisonniers, dont la majorité figurent sur la liste des « recommandés pour une libération », ont été obligés de se coucher sur le sol et sont restés ainsi, sur le ventre, une arme posée sur la tète, pendant trois heures.

Selon les autorités de Guantanamo, l’action était destinée à écraser les protestations des détenus qui avaient recouvert les caméras de surveillance avec des couvertures. Mais, plus probablement, la charge des matons visait les prisonniers en grève de la faim.
Le dissident politique marocain Younous Chekkouri, un des détenus maltraité ce jour là par les gardiens est à Guantanamo depuis 2002. Avant, il avait passé cinq mois dans une lugubre prison de Kandahar ou il avait été emmené dès les premières rafles de la guerre en Afghanistan. Pendant tout ce temps là, aucune charge n’a été retenue contre lui et il ne lui fut pas permis de présenter sa défense.
La chute de Chekkouri dans le monde kafkaïen a commencé l’été 2001. Il vivait alors dans la banlieue de Kaboul et travaillait au sein d’une organisation humanitaire qui aidait les enfants d’origine marocaine. Après les attentats du 11 septembre, Chekkouri décida de partir vivre avec sa jeune épouse, à Islamabad, au Pakistan ou il avait suivi des études universitaires. Son épouse partit d’abord et il la suivit peu après, mais il fut détenu dans les rafles visant les hommes d’origines arabes. Il fut interrogé durement par des agents secrets pakistanais, qui sans preuve aucune le déclarèrent membre d’un groupe terroriste marocain. Il fut conduit dans une prison dans les alentours de Kandahar et cinq mois après il fut livré à la CIA.
La CIA interrogea Chekkouri pendant plusieurs semaines dans une prison secrète en Afghanistan. Il ne révéla rien d’intéressant et très vite, fut catalogué comme une erreur de la guerre contre le terrorisme. Mais les agents ont sans doute pensé qu’ils pourraient obtenir de lui des renseignements sur d’autres arabes de la région et ils l’envoyèrent à Guantanamo, espérant que la dureté de la prison le rendrait docile.
Les interrogatoires furent nombreux ; certains plus durs que d’autres. Mais Chekkouri répondait toujours la même chose : il n’était au courant d’aucune conspiration et n’avait aucun lien avec des terroristes.
Quelques mois après, les interrogateurs se résignèrent à accepter le fait que Chekkouri n’avait aucune valeur en tant qu’informateur. Ils cessèrent de l’interroger mais son confinement continua sans aucun changement. Il endurait encore les règles arbitraires, l’horrible nourriture, le lever à l’aube, la surveillance 24heures sur 24, le manque de lecture et l’isolement du monde extérieur.
Les années sont passées et finalement un tribunal militaire conseilla secrètement qu’il soit libéré. Il continua pourtant d’être détenu, sans perspective de libération, et comme à des dizaines d’autres détenus, on lui refusa le droit de mettre légalement en cause son incarcération.
Au printemps de cette année, Chekkouri s’est joint à la grève de la faim initiée par une centaine de détenus pour protester contre les désespérantes conditions de détention. Au début, les militaires américains essayèrent d’occulter cette grève de la faim mais bientôt la vérité commença à filtrer dans la presse malgré les démentis officiels courroucés. La Croix Rouge envoya une délégation à Cuba pour interroger les prisonniers, visite qui eut en représailles l’attaque du bloc de Chekkouri.
Ensuite, les tactiques gouvernementales changèrent. Ils commencèrent à alimenter de façon brutale plus de 44 prisonniers, dont Chekkouri. Ils le maintinrent sur une chaise comme on fait pour une exécution, bras et jambes attachés. On lui mit une perfusion au bras. Ils le laissèrent ainsi attaché à la chaise pendant vingt heures. Après ils le renvoyèrent à sa cellule. Mais le processus d’alimentation forcée continuait. Les gardes revenaient de nuit, l’attachaient à son lit et lui inséraient des tubes dans le nez, qui descendaient jusqu’à la gorge, injectant des protéines liquides dans l’estomac. Jour après jour, semaine après semaine, une torture sans fin.
Ces hommes n’ont rien à confesser. Ils n’ont aucun renseignement secret qu’ils pourraient livrer par une souffrance prolongée. Ils n’ont commis aucun crime qui justifie ces sauvages punitions. Les tourments n’ont pas pour objectif de déjouer une menace. C’est de la torture pure, de la torture pour la torture, dans un endroit du monde sans restrictions légales ni morales. C’est, en d’autres termes, du sadisme.
Quelques semaines après l’assaut dans le bloc de Chekkouri, Obama fit un discours à l’Université de la Défense Nationale demandant la fermeture de Guantanamo parce que c’est « devenu le symbole pour le monde entier que l’Amérique ne respecte pas les lois ». Il ajouta : « Nos alliés ne coopéreront pas avec nous si un terroriste est amené à Guantanamo ».
Mais la fastueuse rhétorique d’Obama reste démentie par les inhumaines tactiques légales dont use le gouvernement contre les détenus. Dans les audiences judiciaires pour les cas d’alimentation forcée quelques jours à peine après le discours d’Obama, le Ministère de la justice soutint que la détention indéfinie de prisonniers dont la plupart ont été recommandés pour être libérés, est un objectif du gouvernement. Les avocats d’Obama déclarèrent que « l’intérêt du public est de maintenir le statut quo ».

En d’autres termes, un acte criminel sert à perpétrer un autre acte criminel. Un péché soutient un autre péché.

Jeffrey St Clair

Traduit de l’espagnol par irisinda http://www.contrainjerencia.com/?p=78804
Originlal en anglais : http://www.counterpunch.org/2013/12/06/where-the-torture-never-stops/

Le Grand Soir

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