Aux organisateurs du Festival d’Angoulême
J’ai constaté avec consternation
que le Festival d’Angoulême a noué pour son édition 2014 un partenariat
privilégié avec la firme israélienne SodaStream, désignée « boisson officielle
du festival » (http://www.bdangouleme.com/439,l-espace-sodastream).
En tant que professeur de droit international, j’ai été particulièrement
interpellé par l’argumentaire que vous avez avancé pour justifier ce
partenariat, en réponse aux critiques émises notamment par un collectif de
dessinateurs. En résumé, vous prétendez qu’aucun problème ne se pose puisque
SodaStream est installée dans une colonie « ancienne » située en zone C, ce qui
lui donnerait le droit d’y être implantée et d’y persister. Ce point de vue est
pour le moins surprenant, et correspond en réalité à la position défendue par la
droite nationaliste israélienne pour justifier la poursuite continue de la
colonisation du territoire palestinien.
Contrairement à ce que vous semblez croire, TOUTES les colonies israéliennes,
en ce compris la municipalité de Ma’aleh Adumim où est située la principale
usine de SodaStream, sont installées illégalement, en violation du droit
international. Dans sa résolution 465 (1980), le Conseil de sécurité des Nations
Unies a qualifié « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer
des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans les territoires
occupés » de « violation flagrante » du droit international. C’est la position
officielle constante de l’Union européenne et de ses Etat membres, y compris la
France. Dans son avis du 9 juillet 2004 concernant le Mur (intervenu bien après
la conclusion des Accords d’Oslo, auxquels vous vous référez), la Cour
internationale de Justice a encore confirmé le fait « que les colonies de
peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé (y
compris Jérusalem-Est) l’ont été en méconnaissance du droit international ». En
particulier, l’installation des colonies viole l’article 49 § 6 de la 4e
Convention de Genève. Ce fait est également constitutif de crime de guerre au
regard du Statut de la Cour pénale internationale. De plus, les terres sur
lesquelles le parc industriel de Mishor Adumim a été implanté ont été
confisquées illégalement par le gouvernement israélien.
La promotion d’activités économiques dans les colonies participe directement
du maintien de cette situation illégale et se fait au détriment des possibilités
de développement de l’économie palestinienne, comme le constatent de nombreux
rapports internationaux. Est particulièrement visé l’accaparement par Israël de
la « Zone C », qui empêche toute viabilité économique de la Palestine. Ainsi, un
rapport de la Banque mondiale constate :
« Plus de la moitié des terres de Cisjordanie, dont une bonne partie est riche en ressources et arable, sont hors d’accès pour les Palestiniens. La Banque mondiale publie aujourd’hui la toute première étude approfondie de l’impact potentiel de cette « zone réglementée » dont le manque à gagner s’évalue actuellement à environ 3,4 milliards de dollars pour l’économie palestinienne.
« Plus de la moitié des terres de Cisjordanie, dont une bonne partie est riche en ressources et arable, sont hors d’accès pour les Palestiniens. La Banque mondiale publie aujourd’hui la toute première étude approfondie de l’impact potentiel de cette « zone réglementée » dont le manque à gagner s’évalue actuellement à environ 3,4 milliards de dollars pour l’économie palestinienne.
La zone C représente 61 % de la
superficie de la Cisjordanie. C’est la seule zone contigüe reliant 227 localités
de plus petite taille, mais densément habitées. Les Accords de paix d’Oslo de
1993 stipulaient que la Zone C serait progressivement transférée à l’Autorité
palestinienne d’ici 1998. Ce transfert n’a jamais eu lieu. » (http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/10/07/palestinians-access-area-c-economic-recovery-sustainable-growth).
Le récent Rapport de la mission internationale des Nations Unies chargée
d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits des
Palestiniens dans le territoire palestinien occupé (Conseil des droits de
l’homme des Nations Unies, 7 février 2013) souligne à cet égard : « C’est en
étant pleinement informées de la situation actuelle et des risques associés en
matière de responsabilité que les entreprises commerciales établissent leurs
activités dans les colonies de peuplement, contribuant ainsi au maintien, au
développement et à la consolidation de ces colonies ».
La société SodaStream est l’une
des sociétés à être tout particulièrement mise en cause pour la contribution de
ses activités à la politique d’occupation et de colonisation mise en œuvre par
le gouvernement israélien. L’ONG israélienne WhoProfits lui a consacré en 2011
un rapport spécifique, qui conclut : « SodaStream et les industries similaires
installées dans le parc industriel de Mishor Adumim soutiennent directement la
colonie de Ma’aleh Adumim à différents égards. Tout d’abord, par les taxes
municipales que la société verse à la municipalité de Maale Adumim, qui sont
utilisés exclusivement pour soutenir la croissance et le développement de la
colonie. [...] Ainsi, lorsque l’on achète un produit de SodaStream, on contribue
au maintien de la colonie de Maale Adumim » (http://www.whoprofits.org/sites/default/files/WhoProfits-ProductioninSettlements-SodaStream.pdf).
Vous avancez que « SodaStream crée plutôt des passerelles. Elle emploie 500
travailleurs palestiniens qui travaillent dans de bonnes conditions ». Cette
affirmation, dont on se demande bien quelle est la source, ne va pas dans le
sens des investigations opérées par les ONG de terrain. Dans son rapport
précité, l’association israélienne WhoProfits opère un constat très différent
:
« Selon les rapports de trois années consécutives (2008 à 2010) de Kav LaOved (une ONG de protection des droits des travailleurs employés par des entreprises israéliennes), les travailleurs de l’usine de SodaStream souffrent de conditions de travail difficiles. C’est particulièrement vrai pour les travailleurs palestiniens. Au cours des dernières années, en plusieurs occasions, les travailleurs se sont plaints de bas salaires et de mauvaises conditions de travail [...]. Les travailleurs palestiniens disent qu’ils sont victimes de discrimination, ils ne gagnent même pas la moitié du salaire minimum et les conditions de travail sont terribles. S’ils exigent le respect de leurs droits, ils seront licenciés. C’est la situation dans beaucoup d’usines dans ce domaine, mais l’usine de Soda Club est l’un des pires ».
« Selon les rapports de trois années consécutives (2008 à 2010) de Kav LaOved (une ONG de protection des droits des travailleurs employés par des entreprises israéliennes), les travailleurs de l’usine de SodaStream souffrent de conditions de travail difficiles. C’est particulièrement vrai pour les travailleurs palestiniens. Au cours des dernières années, en plusieurs occasions, les travailleurs se sont plaints de bas salaires et de mauvaises conditions de travail [...]. Les travailleurs palestiniens disent qu’ils sont victimes de discrimination, ils ne gagnent même pas la moitié du salaire minimum et les conditions de travail sont terribles. S’ils exigent le respect de leurs droits, ils seront licenciés. C’est la situation dans beaucoup d’usines dans ce domaine, mais l’usine de Soda Club est l’un des pires ».
Et si certains Palestiniens se trouvent contraints de gagner leur vie dans
les entreprises des colonies, c’est parce qu’ils n’ont pas d’autres choix, la
zone C étant quasiment interdite d’accès aux investisseur palestiniens.
Les activités de SodaStream sont dénoncées par de nombreuses organisations
des droits de l’homme, peu suspectes d’« anti-israélisme ». Dans le contexte de
la récente controverse concernant l’association de l’actrice Scarlette Johansson
à la campagne marketing de SodaStream, la directrice pour le Moyen-Orient de
Human Rights Watch (HRW), Sarah Leah Whitson, a souligné: « SodaStream opère
dans une colonie israélienne, dont la seule existence constitue une grave
violation du droit international. Il est impossible d’ignorer le système
israélien de discrimination illégale, de confiscation de terres, de vol des
ressources naturelles et de déplacement forcé des Palestiniens en Cisjordanie
occupée, où SodaStream est situé ». Et l’ONG Oxfam, dont l’actrice était
l’ambassadrice, a déclaré « que les entreprises qui, comme SodaStream, exercent
leurs activités dans les colonies contribuent à y perpétuer la pauvreté et le
non-respect des droits des communautés palestiniennes que nous nous attachons à
soutenir. Oxfam s’oppose à toute forme de commerce avec les colonies
israéliennes, lesquelles sont illégales au regard du droit international ».
Vous concluez en déclarant que « rejeter [SodaStream] reviendrait à la
condamner : ce serait une injustice à l’envers ». Voici une position fort
surprenante et peu cohérente. Par un curieux renversement logique, vous
considérez que s’associer à des produits des colonies israéliennes contribue à
construire des « passerelles », alors que choisir de ne pas en faire la
promotion deviendrait une « injustice ». En réalité, c’est bien tout le
contraire : en décidant délibérément et en pleine connaissance de cause
d’établir un tel partenariat, vous faites un choix politique en faveur de la «
normalisation » de la colonisation et du développement économique des colonies
illégales, au détriment des populations palestiniennes.
Vous comprendrez qu’il apparaît dès lors choquant qu’un festival comme celui
d’Angoulême puisse s’associer à une firme comme SodaStream et faire la promotion
de ses produits, comme un soutien de la politique de colonisation du
gouvernement israélien.
Très cordialement.
agencemediapalestine.fr
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