jeudi 10 avril 2014

Israël-​​Palestine : les quatre erreurs de John Kerry

Benjamin Barthe  


En ren­voyant dos à dos Israé­liens et Pales­ti­niens, plongés dans une nou­velle crise qui pourrait être fatale aux négo­cia­tions relancées en juillet, John Kerry a rendu un mauvais service à la cause de la paix au Proche-​​Orient. Car dans cette affaire, Mahmoud Abbas, le pré­sident pales­tinien, et Benyamin Néta­nyahou, le premier ministre israélien, ont été fidèles à leur ligne. Celui qui a failli à sa mission, c’est, lui, le secré­taire d’Etat amé­ricain. Expli­ca­tions en quatre points.

La colo­ni­sation à plein régime. En 2013, le nombre de loge­ments mis en chantier dans les colonies de Cis­jor­danie a pro­gressé de 123 % par rapport à 2012, alors qu’à l’intérieur d’Israël, sur la même période, la hausse n’a pas dépassé… 4 % ! La pre­mière raison des tur­bu­lences actuelles se trouve dans ces deux chiffres, tirés du bureau des sta­tis­tiques israé­liens. M. Kerry n’a pas su arrêter ni même freiner le rouleau com­presseur de la colo­ni­sation. Ce laisser-​​faire a deux consé­quences dra­ma­tiques : il sabote de facto la solution à deux Etats, sur les lignes de 1967, qui est la formule de règlement du conflit la plus réa­liste ; et il per­pétue l’impunité dont se nourrit le système d’occupation israélien. Depuis juillet, 56 Pales­ti­niens ont été tués par les forces de sécurité israé­liennes, 146 maisons détruites et 550 attaques de colons ont été recensées. Durant la même période, 5 Israé­liens ont été tués.
Les Euro­péens hors jeu. Faute d’être prêt à cor­riger l’asymétrie inhé­rente à toute négo­ciation entre un occupant et un occupé, M. Kerry aurait pu confier la tâche aux Euro­péens. L’annonce par Bruxelles, lors de la reprise des pour­parlers, de nou­velles direc­tives excluant les colonies juives des pro­grammes de coopé­ration com­mu­nau­taires, augurait d’une répar­tition des rôles : le bâton aux Euro­péens, la carotte aux Amé­ri­cains. Mais M. Kerry a vite cédé à la fâcheuse manie de Washington de gérer le pro­cessus de paix en tête à tête avec Israël.
Symbole de cette régression : le retour comme envoyé spécial pour le Proche-​​Orient de Martin Indyk, un ancien du lobby pro-​​Likoud Aipac, déjà en poste durant le cala­miteux pro­cessus d’Oslo. Les chan­cel­leries euro­péennes auraient pu faire preuve d’initiative, en accé­lérant par exemple la réflexion sur l’étiquetage des pro­duits des colonies. Mais les Vingt-​​Huit répugnent à brusquer Israël.
Le droit inter­na­tional éclipsé. Dans un envi­ron­nement aussi peu favo­rable, les Pales­ti­niens se rac­crochent au droit inter­na­tional. S’ils ont accepté que les négo­cia­tions portent non pas sur un plan de paix intégral, jugé pré­maturé par Israël, mais sur un simple accord-​​cadre, c’était dans l’espoir que celui-​​ci inclurait les termes de réfé­rences his­to­riques du pro­cessus de paix, notamment les fron­tières de 1967, consa­crées par la réso­lution 242 des Nations unies.
Mais plutôt que de se concentrer sur ce corpus, socle indé­pas­sable de tout accord de paix, M. Kerry s’est laissé enfermer par M. Néta­nyahou dans une dis­cussion stérile, sur deux points inac­cep­tables pour les Pales­ti­niens : la recon­nais­sance d’Israël comme un Etat juif et le maintien de troupes israé­liennes dans la vallée du Jourdain. Ce n’est qu’à la mi-​​mars que le secré­taire d’Etat a osé déclarer que la pola­ri­sation du débat sur la question de l’Etat juif était une « erreur ». Trop tard.
Avant qu’il ne res­suscite les négo­cia­tions, ses conseillers lui ont-​​ils montré la fameuse vidéo amateur, datant de 2001 et dis­po­nible sur Internet, où M. Néta­nyahou, filmé à son insu dans une famille de colons, se vante d’avoir fait dérailler le pro­cessus d’Oslo ? Devant ses inter­lo­cu­teurs, inquiets de la réaction des Occi­dentaux, il explique, bra­vache : « Je connais les Etats-​​Unis, c’est quelque chose que l’on peut faci­lement faire bouger, dans la bonne direction… »
Ni date-​​butoir ni contre­coups en cas d’échec. M. Kerry aurait pu tenter de contourner les manoeuvres dila­toires de « Bibi », en refusant toute pro­lon­gation du pro­cessus et en pré­venant que la partie res­pon­sable du blocage s’exposerait à des contre­coups. Il aurait pu faire savoir qu’en cas d’obstruction israé­lienne les Etats-​​Unis ne s’opposeraient plus à ce que l’Autorité pales­ti­nienne adhère aux agences des Nations unies, dans la conti­nuité de sa recon­nais­sance comme Etat non membre de l’ONU, en 2012.
L’idée consiste à faire en sorte que les Pales­ti­niens ne soient plus les seuls per­dants en cas de rupture des pour­parlers. Mais confor­mément au mantra de l’ancien premier ministre israélien Yitzhak Rabin, qui avait déclaré, à l’époque d’Oslo, qu’« il n’y a pas de dates sacrées », l’échéance du 29 avril n’en est plus une. À cette date, soit le dia­logue aura repris, sans plus de chances de percée, soit son décès sera acté, sans qu’aucune consé­quence n’en soit tirée.

M. Kerry a donc reproduit une à une toutes les erreurs de ses pré­dé­ces­seurs. Comme si la diplo­matie amé­ri­caine était inca­pable de dépasser le para­digme d’Oslo, pourtant vicié de l’intérieur. « Quand vous serez prêts à faire la paix, appelez-​​nous », avait lâché l’un de ses devan­ciers, James Baker, exaspéré par les résis­tances israé­liennes. C’était en 1990. Combien de temps les Pales­ti­niens peuvent-​​ils encore attendre avant que M. Nétan­tayou ne décroche son téléphone ?

Source : lemonde.fr

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