dimanche 6 avril 2014

Municipales d’une République Bananière…

Georges Stanechy
Municipales d’une République Bananière…
Victoire des uns... Défaite des autres... Cascade de commentaires, déclarations, proclamations, des chefs de file de nos partis politiques … Tels des résultats sportifs.

" Mon royaume pour un strapontin ! "
Entre les deux tours, la semaine entière, ce ne furent que bruissements, bourdonnements, au-dessus du panier, ou de la fosse, à tractations, marchandages : "Mon royaume pour un strapontin !..." (2)

Appelés pudiquement "désistements". Consentis par les "moins bien placés", censés apporter sur un plateau, tels des petits fours, les voix qu’ils avaient rassemblées au premier tour, aux "mieux placés". Antérieurement, concurrents ou adversaires. Pour constituer, en s'incrustant sur leurs listes, une équipe gagnante à l’issue du dernier tour. Sous réserve, lors de la transaction, que "l’apport" soit estimé "substantiel"…
Les médias amplifiant les rotations de ce moulin à vents, ou à courants d’air, comme ils le pratiquent lors des compétitions sportives animées par des équipes aux dénominations commerciales. Genre ces courses cyclistes à gros budget, où marketing, publicité, dopage et arrangements discrets, assurent le spectacle.

Du pareil au même.

Oui, nous sommes bien dans "La Société du Spectacle", aux rouages qu'un Guy Debord avait démontés avec plus ou moins de réussite (3)
Ou, "Politique-Spectacle".
Sur l'estrade, sous les projecteurs : postures, gesticulations, histrionismes, des politiciens professionnels. En fait, comédiens, saltimbanques, bons ou mauvais, rompus aux astuces du métier. Déclamant, récitant leurs textes, sans en croire un seul mot. Quand ils en maîtrisent un. À défaut, débitant, à l'égal des distributeurs automatiques de bonbons, clichés et "petites phrases" se voulant "choc" ou "assassine", concoctés par les "communicants" loués à prix d'or, aux agences de Pub, par les états-majors de leurs partis.
Distrayant, amusant, à contempler, si notre pays n’était plongé dans le délabrement économique, social, diplomatique, par une caste politique irresponsable de cupidité.

Dans l’effondrement de sa souveraineté nationale, cannibalisée par la bureaucratie de l’UE et le bellicisme, aussi ruineux que paranoïaque, de l’OTAN.

Aliénation, écart sidéral, entre l’utopie démocratique prétendant accorder au citoyen un droit de regard, si ce n’est de décision, sur le destin de la collectivité dont il est membre ; et, la froide réalité de ce simulacre électoral. Qui n’est que la théâtralisation de l’arnaque de l’oligarchie au pouvoir. Destinée à masquer notre sort : citoyens, réduits à vivre, soumis, complices, anesthésiés, dans une "République Bananière"...
Stupéfait, admiratif ou incrédule, comment ne pas l’être ?...

Face au spectacle de ces "politiciens-dinosaures", inculpés, condamnés, dans de sombres histoires d’emplois fictifs, de "prises d’intérêts" dans des marchés publics, et autres délits dans l’exercice de leurs fonctions, triomphalement réélus. Pour certains, dès le premier tour... Jusqu'à envisager pour l'un d'eux, énivré de son score mirobolant, une candidature à la présidentielle de 2017 !
Est-ce une preuve de compassion, de miséricorde, d’une profonde générosité, de nos concitoyens pour pardonner, oublier, à ce point ?... Ou, l’illustration de notre Habitus (4), de "sujet", "d’administré", de "serf" New Age, se complaisant dans un système féodal ?...
Autre question, en écho plus rassurant : le "nombre record" d’abstentions pour ces municipales ne traduit-il pas le rejet salutaire, fut-il illusoire, de ce cirque ou de cette régression ?... Premier tour : 36,45 %. Second tour : 36,3 %.


Féodalités et sinécures
Municipales d’une République Bananière…
Féodalité… Duchés, marquisats ou baronnies. Avec leurs cours locales, favoris, obligés, ou "clientèles" au sens romain du terme.

Du nord au sud du pays.

Certains maires, de nos plus grandes villes, moyennes et petites aussi, élus, réélus depuis une voire deux décennies. Inusables, inamovibles. Parfois, de père en fils…
Cumulant cette fonction, les uns avec celle de député, les autres avec celle de sénateur. Non compris agrégat, sédimentation, accumulation, mille-feuille débordant, de sinécures. Glanées dans les "corps constitués", "intermédiaires", chambres consulaires ou de métiers, et innombrables "gruyères" locaux. La "présidence" du conseil général du département étant un des plus recherchés...
Bétonnant de la sorte un pouvoir, économique, financier, incontrôlable par leurs propres concitoyens du fait des jeux occultes, ou de coulisses, derrière le rideau des marchés publics, concessions tous azimuts de parkings à la gestion de monuments historiques, autorisations infinies et de toutes natures. Sans oublier : nominations et recrutements...

Voie royale de la corruption et de la gabegie.

Surfant au hasard des programmes des candidats à l’élection municipale, je n’en ai pas trouvé un seul, quelle que soit sa tendance politique, affirmant son souhait d’abandonner ses fonctions de député ou de sénateur en cas d’élection. Pour ceux, évidement, déjà membres de notre parlement.
Afin de lutter contre le cumul des mandats, plus particulièrement contre cette lèpre qui ronge nos institutions représentatives : le cumul de maire avec celui de député ou de sénateur. Pas un !
Cumul encore plus préoccupant : celui dans la durée. Un mandat électif ne doit pas être un métier, mais rester ouvert, accessible au maximum de citoyens, dans un renouvellement permanent. Comment tolérer des mandats qui s’empilent, parfois sur une génération entière, au profit d'une seule personne ?... Là encore, impossible d’en trouver un seul s’engageant à refuser de se présenter au-delà de deux mandats successifs.
Comment résister ?... Les fromages de notre république, prétendue en faillite, sont tellement délicieux !…
D’où les ruses, pour conserver celui dans lequel on a pu s’installer à demeure, où se lancer à l’assaut de celui visé… Contenter tout le monde dans son "programme" électoral devient, ainsi, la norme. Expliquant, à leur lecture, l’assoupissement garanti : bouillie de platitudes assaisonnées de belles intentions ; saupoudrages de promesses à destination de tous les lobbies et sponsors, nationaux ou locaux.
Ratisser large. De préférence, pas trop de chiffres, pratiquement aucun : évolution, ventilation, des budgets municipaux et de leurs orientations souhaitables ; gestion, maîtrise de la fiscalité locale et amélioration de sa répartition en recettes et dépenses ?…
L’écran de fumée est aussi dense que pour ce qui relève des interrogations, et recherches de solutions, sur les ravages du chômage, affligeant toutes les municipalités. Accablées par son augmentation exponentielle, amplifiée par la profonde crise du commerce de proximité dans les centres-villes. (5) Hormis ceux bénéficiant d’un patrimoine historique attirant une clientèle touristique.

Centres-villes et Fonds de poche

En fait, ce sont les maires, tous partis confondus, qui ont tué les centres-villes. S’acharnant pendant des années à les détruire pour favoriser "La Grande Distribution" : authentique sida économique. Ouvrant, toutes grandes, les vannes à "autorisations". (6)
Tuant les petites entreprises familiales faisant vivre un nombre de personnes au minimum dix fois plus important que celui de "La Grande Distribution". Dont le niveau de qualité de services est, en comparaison, voisin de zéro : des merceries aux librairies, des drogueries aux papeteries, des boulangeries aux boucheries, des charcuteries aux crèmeries, en passant, bien sûr par les épiceries....
De plus, tout autant ravageur, par un effet d’aspiration, celles implantées dans les villages environnants. Se vidant, emportés dans cette déferlante, de leurs commerces de proximité.
Détruisant les abords de leurs villes en informes zones de chalandise, à partir de terrains agricoles (inconstructibles, par définition) vendus à prix dérisoires aux sociétés immobilières des groupes de "La Grande Distribution" (qui les louent à leurs sociétés commerciales…), après avoir été déclarées, soudainement et en catimini : "zones constructibles"… Réalisant au passage de faramineuses plus-values, tout autant "privées" qu'occultes, au détriment de la collectivité.
Au lieu d’en conserver la propriété collective, dans l’exercice d’un droit de préemption, en les relouant à des entreprises sélectionnées, pour le plus grand profit des budgets municipaux percevant, en recettes, les loyers de ces terrains. Soulageant d’autant les impôts locaux.
Pire : ces élus, inconscients ou corrompus, ou les deux à la fois, endettant leurs collectivités territoriales dans le financement de la viabilisation de ces terrains pour engraisser Les Grandes Enseignes : routes, eau, électricité, plantations d’arbres et arbustes, prolongations des lignes de transports, etc.
Egrenant, pour charger la barque, ces fameux ronds-points, ou carrefours giratoires, tout au long de ces zones réservées à la Grande Distribution, dont la France détient le record mondial en nombre. Et, en prix : de 200.000 à 1 million d’euros, en moyenne…
Sans oublier, dans certaines villes, ces travaux pharaoniques à l’échelle municipale. Un maire souhaitant son Beaubourg. Un autre, son aéroport international, même s’il en existe déjà un, largement sous-utilisé dans sa circonscription ou à côté… Alors qu’à l’intérieur de la ville ce seront des kilomètres de trottoirs non entretenus.
Jusqu’à crouler sous les "emprunts toxiques", engraissant collatéralement les Banksters
Persistant, encore aujourd’hui, à multiplier les "autorisations" sous prétexte de "redynamiser" les centres-villes, en  faveur de ces mêmes "Enseignes" pour y répandre leurs supérettes. Eliminant ainsi les derniers survivants des commerces de proximité indépendants.
Ajoutant à la "désertification industrielle", la désertification du "commerce indépendant". Libre concurrence ? Non. Nous sommes dans l’instauration systématique d’un oligopole. Une poignée de centrales d’achat régentent l’ensemble du commerce national.

Sur la tête de mon poisson rouge

Evidemment, les "circuits de graissage" sont tellement puissants… Jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.
Car l’oligarchie, outre la tendresse qu’elle éprouve pour les paradis fiscaux, y voit, à l’exemple des autres pays, un subtil moyen de répression, en cas de troubles, d’insurrections, de révoltes populaires. Il suffit de fermer les plateformes de distribution des centrales d'achat, ravitaillant supermarchés et supérettes et, instantanément : plus de quoi manger ou faire le plein ! "Abracadabra", et le tour est joué ! Tenir la population par le ventre et le véhicule… Charlot n’y avait pas pensé.
Mais, politiciens, élus, réélus, ne reconnaîtront, n'admettront jamais les causes, ramifications, finalités des engrenages et mouvements de ce système politique pervers. S’exonérant de leurs responsabilités, passées, présentes et futures, grâce au recours à la bonne vieille recette : le faux prétexte ou le bouc émissaire.
Certains étonnants. Ou, hilarants… Le survol des "programmes" présentés par les candidats à l’élection municipale, sans à priori (si, si, je le jure sur la tête de mon poisson rouge !), m’a procuré quelques bonnes parties de rire. Découvrant Ubu avec une écharpe de maire.

Deux brefs exemples…

L’un, pour "revitaliser" le centre de sa ville historique, organisé en  rues piétonnières, proposant de les supprimer pour les restituer à la circulation automobile. Sachant qu’une automobile éprouve des difficultés à passer dans l’étroitesse des ruelles, se trouvant de ce fait dans l’impossibilité de stationner… Quelles retombées positives pour le commerce ?...
Un autre, pour développer le centre de sa ville, qu’il souhaite « Ville Française », affichant parmi ses premiers objectifs : "interdire les mosquées", au nom de la laïcité ! Si le respect de la liberté de conscience, et donc la "liberté de culte", pour les citoyens français passe par l’interdiction de la pratique de leur religion, ou d’une religion particulière, qu’en est-il des libertés et de la stricte application de la Loi sur la Laïcité ?...
Au-delà de cette grotesque contradiction, le plus croustillant, du programme électoral de ce candidat, réside dans  la "promotion de discothèques" ! Pour lui, l’épanouissement de ses concitoyens n’a pas pour fondement la création de bibliothèques, de centres sportifs ou informatiques, mais "le monde des discothèques"… À croire que ses affiches ont été financées par le lobby des alcooliers !…
Une règle générale, dans ces "candidatures" et "programmes" : nulle trace d’un projet d’emploi systématique des nouvelles technologies des télécommunications permettant d’assister, en direct sur nos portables, aux ouvertures des plis des appels d’offre et aux séances d’attribution des marchés publics ; ou encore, l’accès à une base de données des contrats conclus par les mairies, etc...
C’est fou ce que la modernité éprouve des difficultés à percer le mur de l’opacité des marchés publics !…
Plus facile : détourner l’attention des citoyens sur les faux problèmes. Vieux stratagème, jouer sur La Peur : l’insécurité, la délinquance. Cause du déclin de l’activité économique, de la décrépitude des centres-villes. À croire ces « responsables politiques »…
La solution miracle  pour ces démagogues : « punir les pauvres » ! Titre d’une excellente analyse de Loïc Wacquant (7) :
« Faire de la lutte contre la délinquance de rue un spectacle moral permanent permet en effet aux dirigeants actuels (comme à ceux qui les précédaient) de réaffirmer symboliquement l’autorité de l’Etat au moment même où  celui-ci se frappe d’impotence sur le plan économique et social. »
Cet « avilissement irréversible des idéaux de liberté et d’égalité qu’implique la criminalisation de l’insécurité sociale » (8) n’est qu’une application de la doxa ultralibérale, formatée par les USA et implantée chez nous par le MEDEF et ses relais politiciens. Idéologie dominante martelée en continu par la propagande.
Dans le style ringard de ce qu’énonce l'universitaire américaine du MIT Suzanne Berger dans un livre édité en 2014, sans aucun appareil critique, par le CNRS (quel naufrage !...). Nous expliquant que dans notre pays, la crise est due au fait que nous n’avons :
« … jamais osé renoncer aux idéaux anticapitalistes… et se rallier aux idéaux qui reconnaitraient le rôle des marchés et d’une économie mondiale ouverte dans la création de la prospérité ». (9)
Toujours la même rengaine : si les gens sont pauvres, au chômage se débattent dans la précarité, cela ne peut être que de leur faute. Des veaux, des imbéciles, vous dis-je !… Ils n’ont pas encore compris qu’il est indispensable de se serrer la ceinture, renoncer aux soins médicaux, à un salaire minimum, et à une retraite décente. Incapables de comprendre que la fin de La Crise doit avoir pour ressort l’accroissement de la misère pour la majorité stupide, au bénéfice exclusif de l’enrichissement d’une minorité éclairée… (10)
Promotion d’un système politique, relayé localement par nos mairies, qui n’est finalement que la résurgence de l’affairisme prédateur, méticuleusement décrit par Annie Lacroix-Riz dans son ouvrage magistral traitant du même phénomène de caste qui ruine notre pays : « Industriels et Banquiers – Français sous l’occupation ». (11)
Municipales d’une République Bananière…Oligarchie liée, bien avant la deuxième guerre mondiale, avec l’extrême-droite allemande, aujourd’hui avec l’extrême-droite américaine. Aux intérêts étroitement imbriqués, dans une synergie fondée et justifiée par une idéologie de l’accaparement. Minorité édifiant implacablement sa richesse sur la spoliation des ressources de pays mis sous tutelle coloniale, et sur l’exploitation sociale de ses propres concitoyens. 

Au point où nous en sommes autant aller au bout de la logique.
Officialiser le pourrissement de nos institutions, le degré absolu de notre asservissement, économique, diplomatique, militaire. L’éradication de notre souveraineté nationale et de nos libertés publiques. Afficher notre statut, cyniquement imposé dans le zèle, l’obséquiosité, par notre oligarchie au service de la voracité de ses appétits personnels, de : République Bananière.
En adoptant un nouveau drapeau national, remplaçant les trois couleurs verticales héritées de La Révolution.
Hissé, sur tous nos bâtiments publics, entre celui de l’Union Européenne et celui de l’OTAN

Notes 

(1)  Augustin Berque, Ecoumène – Introduction à l’étude des milieux humains, éditions Belin, 2009, p. 401.
(2)  Pour reprendre la proposition désespérée de Richard III : « Mon Royaume pour un cheval ! », dans la pièce de Shakespeare Richard III (Acte V – Scène 4).
(3)  Guy Debord, La Société du Spectacle, Gallimard, Folio, 1996. Première publication, novembre 1967, chez Buchet-Chastel.
(4)  Cf. Pierre Bourdieu, Le Sens Pratique, ainsi que Questions de Sociologie, éditions de Minuit, 1980.
(5)  Le Monde, Dans le Sud, la désertion des centres-villes favorise le vote d’extrême-droite, 29 mars 2019,
http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/03/29/dans-le-sud-la-desertion-des-centres-villes-favorise-le-vote-d-extreme-droite_4391984_823448.html#xtor=AL-32280515
(6)  Georges Stanechy, La Grande Distribution : Le Sida Economique, 18 février 2014,
http://stanechy.over-blog.com/article-16794434.html
(7)  Loïc Wacquant, Punir les pauvres – Le nouveau gouvernement de l’insécurité sociale, éditions Agone, 2004, p. 297.
(8)   Loïc Wacquant, Op. Cit., p. 19.
(9)  Suzanne Berger & al., La France qui vient – Regards américains sur les mutations hexagonales, ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Sirinelli, CNRS Editions, 2014.
(10)  Georges Stanechy, Crise : De la Dette Publique ou du Contrat Social ?, 9 juin 2010,
http://stanechy.over-blog.com/article-crise-de-la-dette-publique-ou-du-contrat-51967860.html
(11)  Annie Lacroix-Riz, Industriels et Banquiers – Français sous l’Occupation, Armand Colin, 2013.
Ouvrage fondamental, remarquablement documenté (815 pages).
Indispensable pour comprendre l’emprise des oligarchies financières sur les politiciens professionnels. Identifier, aussi, les mécanismes et flux d’échanges de leurs réseaux, de leur intégration internationale. Au cynique détriment, évidemment, des intérêts nationaux qu’ils sont censés partager et promouvoir…

 Georges Stanechy

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