Les Etats-Unis sont en train de nous offrir un
spectacle dont il serait très intéressant de suivre les développements dans les
jours et les semaines qui viennent. Beaucoup de discours, beaucoup de
déplacements, beaucoup de réunions, beaucoup, beaucoup de dollars, et surtout
beaucoup de menaces, mais peu d’actions, visibles tout au moins.
À quoi cela tout cela rime-il ? Les officiels
américains se tapent leurs 12 heures ou plus de travail par jour comme tous
leurs collègues à travers le monde. Ils ne passent certainement pas toutes ces
heures à rédiger des discours, à imaginer des menaces et à choisir à qui les
adresser. Malgré les flots de paroles, les déclarations ressemblent plus à du
blabla et n’ont souvent aucun rapport avec la réalité. C’est comme si tout était
fait pour donner le tournis et interdire une vision d’ensemble. Un jour, c’est
Chuck Hegel qui fustige et menace la Chine à Singapour ; un autre c’est Obama qui
mène, tambour battant, une série de réunions avec ses sujets en Europe ; un autre
encore, c’est le vice-président américain qui se rend en Ukraine pour raviver la
flamme guerrière des militaires ukrainiens, véritables garde-frontières des
limes est-européennes, tout en veillant à ses intérêts propres, et Kerry… où
est-il celui-là ? Sûrement quelque part dans des réunions pour attiser le front
syrien.
Et tout ce beau monde et d’autres encore, parfois
de simples supplétifs, font un boucan de tous les diables, et veillent à le
maintenir le plus durablement possible. Le contenu de ce boucan, accompagné par
un remue-ménage perpétuel, ressemble à un brouhaha confus dont pas une bribe
audible ne correspond à une réalité quelconque. Le tourbillon des officiels
américains a beau être artificiel, les dollars n’en valsent pas moins. Il faut
bien soudoyer, recruter des combattants, les former et les armer, mais pas avec
n’importe quelles armes, des armes non létales uniquement. Les armes non létales
sont un bel exemple de ces discours américains qui ne veulent rien dire. À les
entendre, les officiers américains formeraient et entraineraient des combattants
avec de vraies armes et, à la fin de leur formations, les lâcheraient dans la
nature en leur disant « Désolés, pas d’armes létales, débrouillez-vous.
Massacrez, incendiez, détruisez et violez, mais pas d’armes létales ». Tout est
question de mots. Des armes génocidaires oui, létales non.
Mais pendant qu’ils nous amusent par leurs bévues
et leurs maladresses, et qu’ils nous laissent pantois avec leurs mensonges
tellement gros que l’on se demande parfois quel esprit malade a bien pu les
imaginer, d’importantes choses se passent. Depuis le début des années 2000,
l’armée américaine s’est déployée calmement, posément, étape par étape.
Les massacres de Yougoslavie leur ont servi de
prétexte pour s’installer définitivement dans les Balkans, en plein cœur de
l’Europe, non sans avoir démantelé ce pays en menus morceaux pour le rendre
inoffensif à jamais. Pour bien asseoir leur présence, ils découpent carrément un
morceau du territoire yougoslave, le Kossovo, pour le transformer en vaste base
militaire américaine.
Les talibans leur ont permis de s’installer en
Afghanistan et ils ne sont pas prêts d’en partir, contrairement à ce que disent
les diverses déclarations officielles. Le retrait des troupes signifie en
langage militaire américain redéfinition de leur mission sur place. L’armée
américaine ne combat plus, elle occupe.
Les armes de destruction massives leur ont permis
de s’installer durablement, sinon définitivement dans le golfe persique avec des
bases au Koweït, Qatar, Emirats Arabes Unis, Arabie Saoudite et la
5ème flotte au Bahreïn. Le retrait d’Irak n’était qu’un redéploiement
des forces dans la zone. C’est même à se demander si la guerre d’Irak n’avait
pas pour objet cette occupation. Rappelons-nous quand même que ce sont les
Etats-Unis qui ont poussé Saddam Hussein à commettre l’erreur qui fut cause de
la guerre, c’est-à-dire l’invasion du Koweït, et que, malgré les velléités du
président irakien de faire marche arrière quand il s’est rendu compte du coup
fourré, ils lui ont refusé toute porte de sortie.
Le printemps arabe, qui débuta dans deux pays
dont les chefs d’état sont leurs marionnettes, a abouti, dans un premier temps à
la Libye porte d’entrée de l’Afrique. Les bases sont en cours d’installation et
il serait naïf de penser que ces coups de billard à 3 ou 4 bandes n’englobent
pas les pays environnants, comme l’Algérie, qui tôt ou tard devra se dresser
contre la machine américaine ou subir. Le deuxième temps du printemps arabe a
conduit à la Syrie, et là, des difficultés sans nom ont surgi. Du point de vue
américain, la résistance syrienne n’est qu’un ralentisseur, un petit obstacle
qu’il faut supprimer coûte que coûte. Ce qui pourrait expliquer leur acharnement
à vouloir enlever le caillou syrien de la chaussure états-unienne. Une Syrie qui
reste en l’état risquerait de gravement compromettre les objectifs initiaux.
Et maintenant, c’est l’Ukraine. Si l’on se réfère
aux habitudes états-uniennes et à leur jeu favori, le billard, on pourrait se
demander combien de bandes ont-ils prévu pour ce coup. Après la deuxième guerre
mondiale, l’Europe occidentale continentale s’est retrouvée quasiment occupée,
pour sa « protection ». Protection contre qui, puisque l’ennemi de l’Europe
venait d’être défait. ? Contre le seul pays qui n’avait alors pas les moyens
parce que saigné à blanc par une longue guerre qu’il a menée de bout en bout, et
qui avait laissé aux anglo-américains le champ libre pour faire absolument tout
ce qu’ils voulaient dans l’Ouest européen. Mais sans ennemis, sans menace, plus
d’occupation, et vue la taille de l’Europe, il faut que cet ennemi soit
puissant. Ce sera donc l’URSS, bon gré mal gré.
Il y eut bien une courte brèche dans l’occupation
totale de l’Europe de l’ouest quand, en 1966, le général de Gaulle décida de
retirer la France du commandement intégré de l’OTAN et ferma les bases de
l’organisation sur le territoire français, mais la brèche fut vite colmatée.
Dans le reste de l’Europe, les bases ont continué à se fortifier, tout en
éliminant les éventuelles forces de résistance, si bien que, peu à peu, la
société européenne occidentale avait appris à réagir de manière monolithique sur
certains sujets et à avoir des réactions pavloviennes dès que certains mots tels
que « Moscou », « URSS », « communisme », « Staline », « Pravda », etc... étaient
prononcés. Aujourd’hui, avec la crise ukrainienne, les réactions pavloviennes
sont encore présentes chez beaucoup, souvent à leur insu, et les américains
comptent bien s’en servir. Il a suffi de quelques jours pour rouvrir le
catalogue des noms, adjectifs et autres mots que l’on croyait obsolètes et
enterrés depuis longtemps, et les appliquer au quotidien sur la situation
actuelle en Ukraine. On ne peut plus appliquer les mots « URSS »,
« communisme », « Staline », « Pravda » au président russe, mais il lui restera
toujours « Moscou », « Kremlin » dont il ne pourra pas se défaire. C’est
largement suffisant pour suggérer le reste.
Ainsi donc, grâce à l’Ukraine, l’URSS est de
retour, dans toute sa splendeur, mais sans l’Ukraine. Sans le communisme aussi.
Sans son appareil centralisé et sans pays satellites. Elle est juste de retour,
menaçante, avec des désirs de conquête, rêvant d’envahir tout état faible qui se
trouverait à sa portée, à commencer par ses voisins, en témoignent les troupes
russes massées aux frontières. Puisque la Russie est redevenue l’URSS, quoi
qu’elle fasse ou dise restera une menace.
Pour renforcer la menace, les américains avancent
l’idée que des soldats russes seraient présents en Ukraine aux côtés des
indépendantistes. Si c’est vrai, alors l’Europe n’a plus rien à craindre des
soldats russes. En effet, voilà une armée ukrainienne affaiblie, amputée d’une
partie de ses moyens qui n’étaient déjà pas gros, déstructurée, qui bombarde et
massacre pendant 5 semaines sans subir de grosses pertes de la part de soldats
russes censés faire peur à des pays autrement plus costauds que l’Ukraine. Mais
qu’importe la logique, puisque cette présentation a suffi pour justifier le
renforcement du dispositif de l’OTAN en Europe afin de contrer la menace russe
et permettre aux braves gens de dormir en paix.
On pourrait résumer la crise ukrainienne ainsi :
On crée un chaos indescriptible dans un pays voisin d’une puissance mondiale.
Cette puissance, la Russie dont les intérêts sont directement menacés prend
rapidement ses dispositions pour préserver ses intérêts les plus vitaux. Puis,
en tant que puissance, la Russie montre les muscles pour éviter que le chaos ne
devienne incontrôlable. Cela a suffi aux états-uniens pour ressortir le dossier
URSS et s’engager dans un processus de revitalisation de l’OTAN qui (re)trouve
enfin un adversaire à sa taille pour justifier toutes les dépenses, tous les
exercices et le maintien strict d’une certaine discipline entre les membres qui
n’ont plus de défense individuelle mais des services de maintien d’ordre et de
répression à l’extérieur et dont les effectifs et les moyens iront en diminuant.
On voit ainsi Obama tenter de pousser l’Europe à accepter un déploiement
militaire massif sur son sol pour combattre un ennemi supposé menaçant mais qui
crie sur tous les tons qu’il ne veut pas la guerre, et qu’on ne peut même pas
accuser d’avoir imposé quoi que ce soit à qui que ce soit. Mais sans ennemi et
sans menace, c’est la mort de l’OTAN et de l’industrie militaire américaine et
toutes les activités annexes avec, comme corolaire, des centaines de milliers de
chômeurs. Cela veut dire que les morts yougoslaves, afghans, irakiens, libyens
et syriens et tous ceux qui ont vu leurs maisons détruites sous les bombes, ont
nourri des centaines de milliers de ressortissants des pays membres de
l’OTAN.
Aujourd’hui, alors que les temps sont durs,
surtout pour les Etats-Unis, l’OTAN est plus que jamais une nécessité, et une
nécessité économique. L’Amérique est devenue esclave de sa machine de guerre et
a besoin de l’Europe pour la suivre dans son esclavage. Elle a également besoin
de la Russie et de la Chine comme ennemis, car seuls capables d’entretenir son
état de guerre permanent.
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