Jérôme Leroy
J’aime bien le quotidien qui s’appelle Aujourd’hui en France quand il est distribué en province et Le Parisien
quand il paraît en Ile de France. C’est un journal populaire au bon
sens du terme, c’est à dire qui ne méprise pas son public contrairement à
la télévision, définitivement incapable de ne pas réduire le populo à
sa caricature comme en témoigne l’immarcescible Jean-Pierre Pernaud ou
la téléréalité façon W9 et ses Chti’s à Ibiza.
La preuve qu’on ne méprise pas son public, c’est qu’on lui parle de tout. Certes, Le Parisien,
surtout en été, peut se livrer à des unes un peu faciles sur comment
draguer ou encore comment vivre à quatre générations sous un même toit
dans une maison de location pour les vacances, façon Lao She, -encore
que lui se préoccupait davantage de cette cohabitation
intergénérationnelle dans les hutongs de Pékin. Cela n’empêche pourtant
pas Le Parisien, quelques pages plus loin, de nous livrer par
exemple une carte très pédagogique sur l’état du pourtour méditerranéen
élargi, montrant implicitement comment il a été ravagé depuis un quart
de siècle par l’idéologie néoconservatrice qui ne conçoit l’importation
de la démocratie (entendez la démocratie de marché) que par le
biais de bombardements massifs, avec une prédilection pour la
destruction des régimes laïques ou progressistes que ce soit en Irak, en
Libye ou en Syrie. Ces ennemis de l’islamisme ont créé de l’islamisme
partout soit par aveuglement, soit par bêtise, soit pas cynisme, on ne
sait plus trop, de manière à substituer à la lutte des classes le fameux
choc des civilisations, prophétie autoréalisatrice et merveilleuse
invention du capitalisme pour retarder ad vitam aeternam l’émancipation
des peuples et des individus.
Le résultat est là : on se bat entre bandes rivales autours des
terminaux pétroliers en Cyrénaïque, on continue à se massacrer en Syrie
et à fabriquer du djihadiste bien de chez nous pour renforcer les lois
antiterroristes, on fait naître un émirat islamique en Irak qui chasse
et persécute les chrétiens alors que sous ce monstre de Saddam, les
chrétiens, ils pouvaient très bien être ministres, comme l’excellent
Tarek Aziz qui aimait le bordeaux et Jean-Luc Godard, dilections assez
peu répandues, désormais, dans la région.
Non, décidément, on a envie d’oublier. Et pas seulement ce désastre
géopolitique trop souvent relayé chez nous par des repentis du
communisme qui adoptent sur le tard des postures à la Malraux oubliant
que Malraux, jamais, n’aurait eu l’obscénité de s’engager aux côtés des
plus forts ; mais oublier aussi la virulence d’Ebola (pas de déclaration de
Le Pen père ?), l’été déréglé qui ne saurait en rien être attribué au
réchauffement climatique puisque que ce réchauffement est une invention
gauchiste de ceux qui veulent remettre en cause l’excellence, si
quotidiennement visible, de notre mode de production ; oublier la
guerre entre Israël et Gaza ; oublier la France qui sombre par ricochet
dans le communautarisme ; oublier comment les fonds vautours veulent
faire plier l’Argentine de l’héroïque Cristina Kirchner, décidément la
femme de l’été avec Scarlett Johansson en mutante cruelle, soyeuse et
sexy dans Under the skin et dans Lucy.
Oui, oublier, retrouver une certaine légèreté et une manière heureuse d’être au monde. Et là aussi, Le Parisien
nous y aide, par exemple en publiant dans son édition du 7 août, un
article sur ce que les Français oublient le plus souvent quand ils
partent en vacances. Première bonne nouvelle, ils sont plus de 30% à
oublier leur téléphone portable. Ce désir, plus ou moins conscient
d’être injoignable, d’ignorer la connexion permanente, totale et
définitive rassure sur la santé de ce peuple que l’on dit archaïque,
rétif à la mondialisation et aux réformes « structurelles »,
affreusement attaché à ses avantages acquis, ses services publics et
tous ces reliquats du soviétisme. Oui, 30% qui oublient leur portable,
ça sent tout de même l’ « exception française », le refus du larbinat et
j’ai du mal à comprendre que ceux qui fantasment sur le Grand
Remplacement ne voit pas dans ce chiffre une raison d’espérer dans cette
manière gauloise et désinvolte de dire non. On s’étonne même que le
pacte de responsabilité, même réduit en lambeaux, ne comporte pas un
volet obligeant le salarié à se greffer une carte SIM dans le tympan,
histoire que monsieur Gattaz n’attende pas trop quand il veut le joindre
pour l’informer d’un licenciement boursier, d’une délocalisation ou
d’une augmentation de la durée du temps de travail signé sur papier
jaune avec la CFDT, partenaire social responsable.
L’autre chiffre de cette enquête du Parisien qui achève de
nous enchanter, c’est par un petit quart des françaises, l’oubli des
sous-vêtements. 21% d’entre elles se retrouvent ainsi sur leur lieu de
villégiature sans culotte. Dans un aveu aussi charmant qu’un roman
libertin d’Andréa de Nerciat, c’est Mathilde, 23 ans, qui annonce non
sans candeur : « J’ai pensé à ce que j’allais porter, mais pas à ce que j’allais mettre en dessous. » en complétant « Je suis un peu tête en l’air. »
Vous aurez beau dire, dans cet été de tous les dangers où les mots
crashs aériens, virus émergents et bombardements massifs forment le
lexique quotidien de l’horreur, l’idée qu’une fille sur quatre croisées
dans la rue n’ait pas de culotte, a quelque chose d’éminemment
consolant.
causeur.fr


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire