lundi 11 août 2014

Mot d'enfant

Abderrahmane Zakad
Ghaza/Beit Ezeitoun
Premier tableau
La petite fille aux yeux bleus a cinq ans. Elle a vu saigner les poules et égorger le mouton de l’Aïd El Kébir. Elle sait qu’on tue les animaux pour se nourrir de leur chair. Elle a aussi entendu parler de la mort. Ce mot qu’on voudrait qu’elle ignorât, elle le prononce parfois ; il provoque en elle de graves réflexions ; « les gens on ne les tue pas, pourtant… », se dit-elle ; et un jour, levant vers son père ses yeux d’un bleu candide, elle demande : «Papa, les gens, comment qu’ils font pour être morts… ».
Deuxième tableau
La petite fille aux yeux bleus, un jour où son père était absent, sort dans la rue et voit des cadavres d’enfants. Elle les regarde. En haut, dans le ciel, des avions passent en lâchant des boîtes. Pour la petite fille c’est des boîtes qui font boum !
Elle a vu saigner les poules et égorger le mouton de l’Aid. Elle n’avait jamais vu mourir des enfants et se faire tuer avec des boîtes qui font boum !
Elle a eu peur, s’est mise à pleurer et rentre paniquée à la maison.
Troisième tableau
- «Papa, j’ai vu tomber du ciel des boîtes qui font boum et des enfants mourir comme les poules et le mouton de l’Aïd.»
- «Oublie ça, ma fille, ce ne sont que des boîtes. Tu comprendras quand tu seras grande».
- « Et quand je serais grande ? »
- «Peut-être, si Dieu le veut, bientôt»
- « Et je verrai des boîtes tomber, quand je serai grande».
- « Je n’en sais rien, ma fille.»
-« Papa, j’ai vu des enfants morts comme les poules et le mouton de l’Aid. Ca aussi je le verrai quand je serai grande.»
- « Je n’en sais rien, ma fille. Peut-être pas.»
- « Papa, achète-moi des boîtes pour tuer les poules et le mouton de l’Aïd. Je ne tuerai pas des enfants.»
- « Non ma fille, je ne t’achèterai pas des boîtes pour tuer les poules et le mouton de l’Aïd. Je t’achèterai des boîtes de bonbons pour les offrir à tous les enfants du monde.»
Abderrah ane Zakad – Urbaniste/Romancier – Alger – Août 2014
* Le mot HUMOUR paraîtrait déplacé à certains alors que des Gaghaouis meurent par centaines. Je rappelle que l’humour est un moyen et une arme de dérision qui permet l’éveil. Les poètes, les écrivains, les billettistes (assassinat de Mekbel) ont été à l’avant-garde du combat par  l’esprit.  Pour la justice et la liberté. (A.Z)

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