lundi 18 août 2014

« Quand vous pensez à Gaza, vous ne pensez pas à l’archéologie, mais au Hamas »

L’Orient-Le Jour avec AFP               



Le missile israélien a trans­percé la voûte sécu­laire. La frappe directe a fait exploser la mosquée Omari de Jabaliya et réduit encore un peu plus en miettes le peu qu’il reste du patri­moine culturel de la bande de Gaza.  

Cer­taines parties des lieux pas­saient pour remonter au XIVe siècle. Une mosquée se serait dressée sur le site depuis le VIIe siècle, peu après l’apparition de l’islam. La mosquée Omari était l’un des der­niers bâti­ments his­to­riques encore debout dans Gaza, cette ville dense dans laquelle les blocs d’immeubles en par­paings bruts s’alignent le long de rues pous­sié­reuses. La mosquée est en ruines à présent. Il n’en reste que le minaret. Le muezzin a été fauché par le missile alors qu’il appelait à la prière, disent les riverains.
La bande de Gaza a abrité des com­mu­nautés humaines séden­taires depuis 3 300 ans avant J.-C. Mais des siècles de guerres et la sur­po­pu­lation galo­pante de l’enclave depuis la création de l’État d’Israël en 1948 en ont effacé les traces sur cette langue de ter­ri­toire médi­ter­ranéen coincé entre l’Égypte et Israël aux richesses his­to­riques consi­dé­rables. La ministre pales­tinien du Tou­risme et des Anti­quités, Rula Ma’ayah, a appelé hier l’Unesco à dénoncer la des­truction « inten­tion­nelle » selon lui du patri­moine pales­tinien par l’armée israé­lienne, et à l’assimiler à un « crime de guerre ». Mais à Gaza même, « ce n’est une priorité pour per­sonne », dit Yasmine al-​​Khoudari, qui prête la main à son père pour tenir le petit musée privé qu’il a monté. « Quand vous pensez à Gaza, ce n’est pas à son his­toire que vous pensez, à Gaza l’antique ou à l’archéologie, vous pensez urgence ali­men­taire ou médicale, camps de réfugiés, Hamas », dit-​​elle. Pour com­penser le manque de musée public, son père, Jawdat al-​​Khoudary, s’est mis un jour à col­lec­tionner les objets qu’il a décou­verts en creusant la terre au cours de ses chan­tiers et qui datent des Cana­néens jusqu’à la Pre­mière Guerre mondiale.
Le musée privé qu’il a ouvert en 2008 sur le front de mer à Gaza expose des ves­tiges de poteries anciennes, des pièces de monnaie, des objets en bronze et des armes. Il a associé au musée un res­taurant et un hôtel dans les­quels il a intégré cer­taines de ses trou­vailles : les piliers de sa véranda fai­saient partie de la voie de chemin de fer qui autrefois tra­versait Gaza. Les Khoudary pro­je­taient d’élargir leur col­lection et de rénover le musée et avaient reçu en avril la visite de deux archéo­logues français, dit Yasmine. L’une d’entre eux est revenue en juillet mais est repartie quand la guerre a éclaté.
La guerre a causé des dégâts directs mais aussi indi­rects au patri­moine gazaoui, observe Ahmad al-​​Barsh, du ministère du Tou­risme. « Indi­rects parce qu’il est impos­sible d’entrer pour les visi­teurs, les étrangers, les étu­diants ou les cher­cheurs ». Avant même la guerre en cours, le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza lui rendait le travail impos­sible, dit-​​il. « Israël a interdit l’importation de maté­riaux de res­tau­ration, du coup les fon­da­tions et les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales tra­vaillant dans ce secteur ont cessé de nous sou­tenir », dit-​​il.
La mosquée al-​​Mahkamah, datant du XVe siècle, a elle aussi été anéantie à Chajaya, l’un des quar­tiers de Gaza les plus durement touchés par les bom­bar­de­ments. Dans un chaos de gravats, de câbles élec­triques et de métal, ne se dresse plus que le minaret de l’ère Mame­louke à la maçon­nerie com­pliquée. Le hammam al-​​Samara, dernier bain turc de Gaza, a dû fermer avec la guerre. Les Gazaouis y ont pris les eaux depuis plus de 1 000 ans. Il est devenu l’une des ultimes attrac­tions encore intactes pour les rares tou­ristes. Mohammad al-​​Ouazir, dont la famille tient le hammam depuis presque un siècle, essaie de se pro­jeter dans un avenir pourtant sombre et parle de rouvrir. Il réduira le prix d’entrée de moitié, à 10 shekels (environ 2 euros), « par soli­darité avec les gens et à cause de ce qu’ils ont enduré ».

Il pourrait ne pas attendre l’instauration d’un cessez-​​le-​​feu durable, sim­plement parce que les Gazaouis manquent d’eau et ne savent plus où se laver.

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