Je ne suis pas d’accord, vous venez de le 
lire. J’estime que le Parlement n’est pas le lieu d’un prêche, quel 
qu’il soit. Je suis le défenseur d’une séparation absolue des Églises et
 de l’Etat. Dès l'annonce en septembre de cette visite, j'ai exprimé ma vive désapprobation. 
Peu après la publication de mon communiqué sur le sujet, nous avons 
appris du Président du Parlement Martin Schulz que le pape était invité 
« en tant que chef d'État ». Ce statut est souvent utilisé par 
les papes pour permettre à l’Église catholique d’être représentée en 
tant que telle dans les débats d'institutions internationales : le 
Vatican serait un État. Le Vatican est un quartier de Rome, rien de 
plus, cédé au pape comme une ultime survivance du Moyen Âge et de 
l’opposition obstinée de la papauté à l’unité italienne. Depuis sa 
première réplique, le président du Parlement européen a changé son fusil
 d’épaule. Il a invité le pape comme « sont invités d’autres personnalités religieuses tel le Dalaï Lama ou le mufti de Damas ».
 Pour ce socialiste allemand, ce serait là une sorte d’excuse. Comme si 
le problème était la religion concernée. Comme si le problème était je 
ne sais quel devoir d’égalité de traitement entre les chefs religieux. 
Issu d’un pays où la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais eu 
lieu, Martin Schulz ne comprend même pas de quoi nous parlons. Inutile 
de dire qu’il n’est pas le seul dans cet hémicycle. Mais supposons un 
instant que nous acceptions cet argument. Avons-nous affaire à un simple
 prédicateur dont l’autorité morale est reconnue par plusieurs milliards
 de croyants qui appliquent les préceptes et injonctions qu’il formule ?
 Pas seulement !
Les papes sont les chefs d’un parti-pris mondial
 qui agit de façon militante coordonnée pour faire entrer dans la loi 
civile les vérités révélées dont il se déclare le dépositaire ! Ce 
parti-pris conduit les églises catholiques à militer ardemment contre le
 droit à l’avortement, la contraception et même l’usage des 
préservatifs. Et de même contre le mariage pour tous sous toutes les 
latitudes. C’est son droit, quand bien même nous savons à quels 
horribles désastres humains ce type de prescriptions conduit. Quand des 
lois humanistes et égalitaires sur ce sujet sont adoptées, l’Église 
combat pour leur retrait. Quand elles n’y sont pas, elle milite pour le 
durcissement de la répression et des interdits. On l’a bien vu là où 
l’avortement, est déjà interdit et où l’Église a milité pour que cette 
obligation soit étendue jusqu’au cas où la vie de la mère serait en 
danger ! En Argentine même, patrie du pape actuel, l’Église a milité 
dans un cas, exceptionnel par son retentissement, pour obliger une 
mineure à mener à terme une grossesse issue d’un viol. Et ce pape n’est 
nullement en retrait sur le sujet.  La dernière fois où il avait reçu 
des eurodéputés au Vatican, c'était en 2013 pour organiser le rejet par 
la droite et l'extrême droite d'un rapport sur les droits des femmes.
 L'intervention néfaste du Pape sur ce dossier fut décisive car ce 
rapport fut rejeté à 7 voix près. Récemment devant une assemblée de 
médecins catholiques, il les a incités à refuser l’accès aux droits que 
la loi reconnait en matière de droit à l’avortement. « Il n’est pas licite de rejeter une vie humaine pour résoudre un problème », a-t-il dit. Puis il a invité les médecins catholiques à faire des « choix courageux et à contre-courant », en vertu de « l’objection de conscience ». Refuser la loi au nom d’une religion, c’est dire que les injonctions de cette religion s’appliquent à toute la société.  
C'est donc ce chef religieux là, porteur de
 ce message et de cette action dans le monde entier, qui est reçu au 
Parlement européen pour intervenir devant les députés. Pour moi, ce 
n'est pas le pape lui-même ou sa fonction et encore moins ce qu'il peut 
représenter pour les fidèles de l'Église catholique qui sont en cause. 
Je proteste contre le rôle politique et institutionnel qui lui est 
reconnu à cette occasion. Le socialiste Martin Schulz a satisfait une 
revendication constante de la papauté. En octobre 1988, Jean-Paul II 
avait en effet plaidé devant les eurodéputés pour un retour de l'Église 
dans les affaires publiques européennes et pour fonder la loi sur « une norme transcendante du vrai et du juste ». Vieille obsession. Robert Schuman, l’un des prétendus « pères de l’Europe » n’avait-il pas annoncé dès les années 1950 que la démocratie européenne serait "chrétienne ou ne serait pas".
Cette nouvelle réception du pape se déroule donc dans des conditions
 qui sont une forme de reconnaissance de l'Église comme puissance 
souveraine dans l'espace public européen. Car le pape rencontrera aussi 
en effet le président en exercice de l'UE, le Premier ministre italien 
Matteo Renzi, le Président de la Commission européenne Jean Claude 
Juncker et le président du Conseil européen Herman Van Rompuy. Toutes 
les institutions européennes sont donc mobilisées pour sa visite. 
L'Europe n'en fait pas tant pour beaucoup de chefs d'État ou de 
gouvernement. Au niveau du Parlement lui-même, sous l'impulsion du 
Président Schulz, la visite du pape est présentée comme un moment 
institutionnel majeur de la mandature. Schulz s'est rendu deux fois au 
Vatican pour préparer personnellement cette visite, en 2013 et en 
octobre 2014. Le nonce apostolique est l'invité de la semaine de la chaîne parlementaire européenne.
 Et la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères 
Frederica Mogherini a tenu cette semaine au Parlement une réunion sur la
 paix avec un ministre du pape, le cardinal Basseti. On ne peut mieux 
mettre en scène et illustrer le rôle politique et institutionnel accordé
 à l'Église par l'Union européenne.
Reste à citer, pour le comique de situation, les inconvénients pratiques de cette visite.
 Les fonctionnaires et assistants ne pourront plus entrer dans le 
Parlement après 8h30 du matin le jour de la venue du pape. Les votes 
prévus ce jour-là ont été annulés. Puis rétablis. Puis rendus fort 
problématiques. En effet, obligation est faite aux collaborateurs des 
groupes politiques d’évacuer leurs bureaux dès 10 heures et demie. Le 
travail parlementaire est donc suspendu toute une journée, sur les 4 que
 compte une session, pour accueillir un chef religieux. Le Parlement 
tout entier clapote dans une ambiance de fête diocésaine. Des 
circulaires spéciales ont été adressées par les services du Parlement à 
tous les députés et personnels pour leur exposer les modalités de la 
visite de « Sa Sainteté ». La reprise de cette phraséologie par
 les services du Parlement est révélatrice. Une crise de bigoterie 
saisit la sphère européenne. Que font les défenseurs des droits des 
femmes, ceux de l’égalité en droit des personnes, quelle que soit leur 
orientation sexuelle ? S’ils sont socialistes ils ne feront rien, comme 
d’habitude. Pour ma part, voici ce que je fais. Je m’oppose publiquement
 et j’explique pourquoi. Notamment en adressant ma lettre au pape. Mais 
je n’en reste pas à la nécessaire dénonciation des conditions politiques
 de cette visite. Je crois utile d’illustrer positivement et 
pédagogiquement la nécessité de la laïcité en Europe à cette occasion. 
C'est pour cela que j'organise le même jour au Parlement européen à 
Strasbourg une Initiative européenne pour la laïcité.
Y interviendront notamment Henri Pena-Ruiz, le philosophe.
 Il expliquera pourquoi l'intervention d'un chef religieux dans une 
assemblée parlementaire pose un problème de fonctionnement de la 
démocratie. Mais nous entendrons aussi la socialiste belge Véronique De 
Keyser qui a plaidé pendant 10 ans comme députée européenne pour une 
séparation du religieux et des institutions européennes. L'eurodéputée 
espagnole Marina Albiol nous éclairera sur la gravité de l'offensive 
politique menée par l'Église en Espagne au détriment de droits humains 
fondamentaux, en particulier des femmes. Enfin, le président de la 
Fédération Humaniste européenne, Pierre Galand, présentera des pistes 
pour mieux défendre la laïcité en Europe. La lutte continue.
Jean-Luc Mélenchon


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