Martin Kreickenbaum
Le 1er novembre, le gouvernement italien a officiellement mis un terme à l’opération navale Mare Nostrum qui, au cours de l’année dernière, avait recueilli plus de 100.000 réfugiés en Méditerranée. Cette décision a été prise délibérément par l’Union européenne afin de laisser se noyer en mer des milliers de réfugiés ; elle escompte ainsi en dissuader d’autres de tenter de poser le pied sur les côtes européennes.
Le gouvernement italien avait commencé l’opération
Mare Nostrum le 18 octobre 2013 après la noyade de près de 500 réfugiés
en une semaine, au large de l’île de Lampedusa. L’opération visait à
empêcher, en améliorant le système de surveillance maritime, que des
catastrophes semblables ne se reproduisent.
En pratique, le
sauvetage en mer a toujours été d’une importance secondaire pour Mare
Nostrum. Le déploiement de la marine militaire italienne devait surtout
servir à dissuader et à détecter très tôt, au large des côtes libyennes
et tunisiennes, des bateaux transportant des réfugiés pour les
reconduire en Afrique.
Néanmoins, si l’on tient compte de ceux
qui furent secourus par des navires marchands au large des côtes
italiennes, quelque 150.000 réfugiés furent sauvés grâce au dispositif
de Mare Nostrum. Des milliers d’autres perdirent la vie en tentant la
dangereuse traversée maritime. Au cours des dix mois premiers de cette
année, plus de 3.000 réfugiés se sont noyés en Méditerranée. On
comptabilise 25.000 noyés depuis 2000.
Bien que les autres
gouvernements et l’Union européenne aient affirmé vouloir empêcher toute
répétition de Lampedusa, ils refusèrent d’octroyer le moindre euro pour
des opérations de sauvetage en Méditerranée. La commissaire européenne
Cecilia Malmström a dénoncé Mare Nostrum « parce que la probabilité de
sauver des réfugiés a été augmentée » et que ceux-ci seraient donc
incités à tenter la traversée dans des embarcations encore plus petites
et plus précaires.
La baronne Joyce Anelay, ministre britannique
des Affaires étrangères, est allé jusqu’à affirmer que « les mesures de
sauvetage ne font qu’encourager les migrants et augmentent de ce fait le
nombre de morts tragiques et inutiles. »
Lorsque finalement le
gouvernement italien fit savoir qu’il n’était plus en mesure de
financer, à hauteur de 9 millions d’euros par mois, les navires
militaires engagés dans l’opération, ses partenaires européens
refusèrent d’en partager le coût. On boucla alors l’opération.
À titre de comparaison, durant les 43 premiers jours de la guerre en Irak
en 2003, les Etats-Unis avaient utilisé des munitions pour une valeur de
2,7 milliards de dollars. Cette somme aurait suffi à financer Mare
Nostrum pendant vingt ans. Les Etats-Unis et leurs alliés européens ont
dépensé des sommes identiques dans une succession de guerres en
Afghanistan, en Libye, à Gaza (aide militaire à Israël) et actuellement
en Syrie – pays d’où sont issus la majorité des réfugiés qui traversent
la Méditerranée.
Depuis 2007, l’Union européenne a mis 4
milliards d’euros à la disposition d’un programme portant le nom de «
Solidarité et gestion des flux migratoires ». La majorité de cet argent a
été consacrée au renforcement militaire de la protection aux
frontières, c’est-à-dire à la construction de barrières et de postes de
garde-frontières, à l’installation de caméras infrarouge et thermiques,
ainsi qu’à des drones et des systèmes de surveillance par satellite des
frontières extérieures.
À Mare Nostrum succédera l’opération
Triton sous le contrôle général de l’agence européenne de surveillance
des frontières, Frontex. La mission de Triton n’est pas le sauvetage de
réfugiés mais la sécurisation des frontières contre l’immigration «
illégale » et l’entrée de réfugiés. « Frontex est responsable de la
surveillance des frontières et n’a pas pour tâche de sauver des
réfugiés, » a dit le directeur général de l’agence, Gil Arias-Fernandez
lors d’une récente interview accordée au quotidien allemand Tagesspiegel,
ajoutant, « Contrairement aux équipes des navires engagés dans Mare
Nostrum, nous n’irons pas délibérément à la recherche de bateaux de
réfugiés. »
L’avant-projet de Frontex pour
l’opération Triton, qui diffère de Mare Nostrum en ce qu’elle ne couvre
la Méditerranée que sur une zone de 30 miles nautiques au large des
côtes italiennes, reconnaît sans détours le fait « que le retrait de la
force navale des eaux proches des côtes libyennes… entraînera
probablement un plus grand nombre de morts. »
Le document affirme
effectivement que ce résultat est préférable car « sensiblement moins
de migrants tenteront de traverser la Méditerranée par mauvais temps et
le prix de la traversée augmentera. » Le nombre de réfugiés baisserait
par conséquent « pour atteindre le niveau des années précédentes. »
François
Crépeau, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des migrants, a
vivement condamné la façon dont l’UE abordait la politique migratoire: «
C’est effroyable de tabler sur une augmentation du nombre de morts pour
dissuader des migrants potentiels et des demandeurs d’asile de risquer
la traversée. Cela revient à dire: laissons-les mourir car c’est un bon
moyen de dissuasion. »
La décision délibérée de mettre fin aux
mesures de sauvetage en Méditerranée et de laisser les réfugiés se noyer
pour servir de dissuasion, montre la face réelle de l’Union européenne.
Elle n’incarne pas « l’unité de l’Europe », mais au contraire la
dictature exercée sur l’Europe par les intérêts capitalistes les plus
impitoyables.
L’UE emploie à l’encontre de la population
laborieuse en Europe, et de ses rivaux internationaux, la même
implacabilité que vis-à-vis des réfugiés à ses frontières. Après la
crise financière de 2008, l’UE a imposé un plan d’austérité après
l’autre dans le but de récupérer les milliers de milliards d’euros
qu’elle avait octroyés aux banques pour les renflouer, le tout aux
dépens des travailleurs. En Ukraine, elle a provoqué une confrontation
avec la Russie et elle est en train de planifier une nouvelle guerre au
Moyen-Orient, dont les conséquences seront encore plus catastrophiques
que celles des interventions militaires actuelles en Afghanistan, en
Irak et en Libye.
La classe ouvrière ne peut s’opposer
effectivement à l’UE et aux gouvernements européens qu’en unissant ses
forces internationalement et en luttant pour une Europe socialiste, sous
la forme des Etats socialistes unis d’Europe. La défense
inconditionnelle des réfugiés est une condition préalable à la défense
des droits démocratiques et sociaux de tous les travailleurs.
wsws.org
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