Dans le petit vent glacé qui soufflait dans le Nord,
j’étais si loin de ce qui agitait la planète centrale, Paris et le
grand miroir déformant du monde médiatique ! Mais j’ai regretté pour une
fois d’avoir raté un instant lointain. Je me sentais si proche de
l’idée qu’illustrait alors le pape en ramenant à la maison douze
refugiés.
La fraternité humaine est une valeur d’action et une vertu
politique. Décidément l’Église a vraiment élu un chrétien cette fois-ci !
Je sais très bien tout ce que l’on peut objecter à son geste. Je le
sais. Mais comme il n’existe pas d’issue « réaliste » « maintenant » «
tout de suite » et « concrète », comme demandent les journalistes entre
la météo et le dernier match de foot pour « décrypter » les problèmes,
le pape met tout le monde au pied du mur spectaculairement, directement
et magnifiquement.
Si personne ne veut entendre qu’il faut arrêter la guerre du pétrole
et du gaz en Syrie et en Irak, si personne ne veut entendre parler
d’arrêter « la libre circulation des marchandises » qui tue l’Afrique en
construction, bref, si aucune des solutions rationnelles n’est plus
entendue, que reste-t-il comme argument pour nous soustraire à l’infamie
dont est coupable notre société dans ce moment ? Il reste l’évidente
communauté de destin des humains. Il reste alors à la constater et à
l’assumer envers et contre tout. C’est ce fond qui nous rend solidaires
et qui a tiré de tous les périls dans le temps profond cette espèce de
singe particulière que nous sommes.
Ces personnes qu’on nomme réfugiés sont des êtres humains, donc nos
parents dans l’humanité universelle. Les parquer, les maltraiter, les
considérer comme des chiffres ou des phénomènes, comme des symptômes ou
des sujets de polémique nous éloigne à bon compte de l’essentiel.
Comment pouvons-nous accepter d’être complice de cette infamie qui les
transforme en choses pour mieux masquer leurs visages concrets dont les
regards nous brûleraient ? Notre indifférence de sauvegarde nous
déshonore. Elle nous rend plus mauvais que nous l’étions déjà dans cette
société «d’indifférence mondialisée» à la souffrance des autres
transformée en spectacle comme un autre.
J’écris ces mots alors même que je n’ai jamais été partisan de la
libre installation des migrants, ce qui m’a déjà été reproché ici et là.
Je les écrits précisément pour que l’on entende le message. Si on ne
change pas radicalement les manières de faire qui conduisent à cette
situation, la civilisation humaine s’effondrera dans la barbarie. Quand
250 millions de personnes vont fuir les conséquences du changement
climatique, on bénira la période où il n’y a en avait qu’un million à
nos portes. Quand on aura fait durer les guerres du pétrole au Moyen
Orient et que commenceront les guerres de pénurie de matières premières,
on pensera avec nostalgie à ce moment où il n’y avait qu’un attentat
tous les ans.
Voilà pourquoi je salue le geste du Pape avec ardeur.
Au-delà de toutes les raisons d’agir et de militer, il y en a une plus
forte que toutes. Le geste du pape la fait éclater sous les yeux du
présent glauque : nous formons la même humanité ! Et toute cette époque
qui la met en danger matériellement la ruine aussi spirituellement en
faisant oublier le devoir premier de fraternité.
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