dimanche 15 mai 2016

Cette discrète industrie nucléaire

Olivier Cabanel       

L’industrie nucléaire a la particularité d’être souvent discrète, n’hésitant pas à cacher tout ou partie des inconvénients qu’elle génère, voire parfois des accidents qu’elle subit.

Récemment, un incendie monstrueux a dévasté les forêts canadiennes, s’étendant sur 1570 km², mais ils n’étaient pas nombreux à savoir qu’au cœur du brasier se trouvait un immense dépôt de déchets nucléaires...
Comme l’écrivait récemment Hervé Kempf dans les colonnes de Reporterre, avant d’être la capitale des sables bitumineux, Fort McMurray était un petit poste perdu dans la taïga, et l’exploitation pétrolifère en a fait une monstrueuse accumulation de tout ce que combattent les défenseurs de l’environnement.
Pour développer cette énergie mortifère, ils ont utilisé beaucoup d’eau, de produits chimiques, déboisé des forêts entières, entassé des déchets toxiques, sans s’inquiéter de constater qu’au printemps 2016, la température moyenne dans l’Alberta atteignait allègrement les 30°C au lieu des 15°C habituels. lien
ARTE a récemment rediffusé un reportage sur l’essor de cette petite ville devenue en quelques temps une ville champignon, où le meilleur côtoie le pire : les salaires y atteignent plus de 70 000 euros par an, mais il y a un revers à la médaille.
Aux 2 millions de barils de pétrole extraits par jour s’ajoute une pollution dévastatrice, sous la forme d’eaux usées fortement toxiques... jusqu’à ce que l’incendie que l’on sait se produise. lien
Il a dévasté une superficie représentant 15 fois la surface de Paris, et il coûtera au bas mot 6 milliards d’euros...lien
À part l’évacuation des 100 000 habitants de Fort McMurray, lesquels ne sont peut-être pas prêts de retrouver leur domicile, la production de sable bitumineux aurait baissé d’un tiers en quelques jours, et s’il faut en croire Olivier Sloup, de iiTrader.com, « la production de 800 000 barils par jour pourrait être perturbée », ce qui est une litote. lien
Mais ce qu’on sait moins, c’est qu’au centre de cet enfer, se trouvait un dépôt de déchets nucléaires, à 8,5 kilomètres au sud du centre de Fort McMurray, donc aux abords de la ville...
Il s’agit tout de même de 43 282 m3 de déchets avec de l’uranium, du césium...
Lors de l’exploitation de la mine, fermée en 1960, une route appelée la Northern Transportation Road avait été construite de façon à acheminer le minerais jusqu’à Fort McMurray, lequel était ensuite envoyé par train jusqu’à Port Hope, en Ontario.
La LLRWMO (Low Level Radioactive Waste Management Office) avait recensé plusieurs sites radioactifs, tout autour de Fort McMurray et a entrepris, dès 1992 de déposer tous ces déchets radioactifs sur un seul site, sous une couche d’argile compactée, recouvert de terre, et planté en herbe, équipée d’une « couverture artificielle », dont on ne connait pas la nature.
C’est ainsi que jusqu’en 200343 282 m3 de déchets ont été stockés.
On sait que l’incendie n’a pas épargné cette zone, mais on ne sait pas encore si la chaleur dégagée par le monstrueux incendie a pu disperser dans l’atmosphère des particules radioactives... la couche d’argile était-elle suffisamment épaisse pour évacuer tout risque ... quel était le niveau de chaleur ? lien
C’est là où la polémique commence car si en haut lieu on se veut rassurant, EACL (Energie Atomique du Canada Limitée) assurant que les déchets sont entreposés de façon sécuritaire à l’abri du brasier (lien), Maude-Emilie Pagé, directrice de communication de EACL admet « que le site a été affecté par les feux », mais ajoute qu’ils « ne pose aucun risque immédiat pour la santé et la sécurité de la population et de l’environnement  ».
Des propos contradictoires, qui ne sont pas sans en rappeler d’autres, entendus au moment de Tchernobyl, ou de Fukushima.
Pour enfoncer le clou, Renaud Gardette, dans les colonnes d’Euronews écrit : «  cette décharge a bien été prise au milieu du brasier géant, incontrôlable depuis le 1er mai  ». lien
Et puis, si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que la couche de terre qui recouvre les déchets n’est que de 45 cm, que de l’eau circule au milieu de tout ça, et qu’il est probable que l’intense chaleur qui s’est dégagée lors de l’incendie a dû évaporer cette eau, fatalement radioactive, dispersant ainsi beaucoup de radioactivité.
Pour en connaitre le niveau, il faudrait effectuer des mesures, dans l’air, dans l’eau, et dans la terre, pour déterminer si la contamination dépasse les normes autorisées...
Mais les autorités prendront-elles de telles mesures, sachant que la zone de stockage se trouve dans la proche banlieue de la ville de Fort McMurray ?
On peut aussi s’interroger sur la gestion du site de déchets nucléaires, car il n’est pas répertorié dans la liste des « installations de gestion des déchets radioactifs au Canada  ». lien
La meilleure manière de ne rien trouver, c’est de ne rien chercher, et les propos des autorités qui se voulaient rassurants en rappellent d’autres.
On se souvient de ceux d’un certain Valéry Giscard d’Estaing qui au moment de la catastrophe de Tchernobyl assurait : « pas de danger pour la population » (vidéo), propos repris en écho par un « expert », le professeur Pellerin, qui affirmait aussi « aucun inconvénient sur la santé publique (...) ça ne menace personne, sauf dans le voisinage immédiat de l’usine... ». vidéo
Pellerin, expert en maniement de langue de bois, adepte des « éléments de langage », utilisait volontairement le mot « usine », au lieu d’évoquer tout simplement celui de centrale nucléaire... et appelait accident ce qui était en réalité une catastrophe nucléaire majeure.
À Fukushima, les réactions des autorités ont été similaires, minorisation dans un 1er temps de l’accident, masquant pendant plusieurs mois le fait que les 3 réacteurs avaient bel et bien fondu dès le premier jour, modifiant les normes afin de rendre consommable des produits qui les dépassaient, et distribuant aux populations des compteurs trafiqués...lien
Il est donc probable qu’il sera difficile d’apprendre ce qui s’est passé à Fort McMurray, à moins que d’audacieux investigateurs aient la volonté de procéder à des examens...
Imaginons que les résultats soient positifs, que feront les 100 000 habitants de Fort McMurray, qui, pour ceux qui le peuvent, rêvent de retrouver leur maison ?
Finissons par une probable bonne nouvelle, le projet ITER, concernant la fusion nucléaire, semble être, tout comme les déchets nucléaires de l’Alberta, enterré.
En effet, considérant l’explosion du budget de ce projet, estimé maintenant à 20 milliards d’euros, les experts mandatés pour donner leur avis, estiment qu’ITER est peu susceptible d’être approuvé. lien
Il est probable que les déboires successifs que connaissent les EPR, (lien) la situation désastreuse d’AREVA, (lien) et celle d’EDF, endetté à hauteur de 34 milliards d’euros, ne sont pas étrangers à cette possible décision. lien

Comme dit mon vieil ami africain : « Quand l’éléphant trébuche, les fourmis trinquent  ».

La photo illustrant provient de « pressegauche.org »

agoravox.fr


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