Je m’excuse à l’avance, il est possible que la poussière ne soit pas encore retombée.
Avant de lire ces quelques lignes, il faut mettre de coté la
sensibilité et la compassion pour les gens qui ont perdu leur maison.
Sans coeur, aussi immonde que ça puisse paraître, il faut faire
abstraction de ces vies chamboulées. Il y a parfois des événements
ironiques dans la vie. Des situations qui nous permettent de
penser autrement, en perspective, à quelque chose de plus grand.
Un court séjour chez Maurice
J’ai déménagé à Fort McMurray en 2009. Comme plusieurs autres
canadiens, je cherchais un moyen facile de faire de l’argent. Un salaire
de 100,000$ par année, c’était attrayant pour un jeune de 19 ans tout
juste gradué du Cégep. « Je vais placer de l’argent de coté, payer mes
dettes d’études, et je reviendrai au Québec avec un gros char ». C’est
la même pensée qui traverse l’esprit de milliers de jeunes canadiens à
chaque année. Il n’en fallait pas plus pour nous attirer ! Mon ami et moi
étions déjà en route pour le trou du cul du monde : Fort McMurray.
Jamais auparavant j’avais vu autant de pick-ups ! Que ce soit dans les
rues, les entrées de maisons ou le stationnement du Walmart, il y en
avait partout. À Fort McMurray, il y a plus de concessionnaires que
d’organismes communautaires, de bibliothèques et d’écoles mis ensemble.
On se le répétait, bientôt, nous allions être riche ! Quelques nuits
difficiles à dormir dans notre vieille caravane, le temps de trouver un
emploi… et le tour est joué !
Quelques jours plus tard, nous avions trouvé une chambre à louer chez
une famille de Québécois. Le visage de Fort McMurray, c’était cette
famille de la Beauce. Ils avaient déclarés faillite, ils étaient sans
ressources et sans moyens. Pour eux, avec leurs deux adolescents, « Le
Mac » c’était leur dernier espoir.
Ces Beaucerons n’avaient aucune éducation, toute la famille était
obèse, à chaque soir ils commandaient du poulet frit ou de la pizza. Les
caisses de Coca-Cola et de Molson Canadian faisaient partie intégrante
de la décoration. Bref, une famille colonisée, des truckers de Fort. Mc.
Maurice nous demandait 1000$ pour une petite chambre avec deux lits
simples. 1 pied séparait les deux lits, on s’entendaient péter. Ça
allait faire la job ! Une maison fièrement acheté 500,000$ par les
propriétaires, payé par les chambreurs, nous étions 8 ! Maurice nous
l’avait bien dit: « Le Québec c’est de la merde, jamais j’aurais pu
m’acheter une grosse cabane là-bas ».
Même après une faillite, c’est très facile de trouver un prêteur dans
le Mac, surtout avec un revenu de 100,000$ pour chauffer un camion ou
ramasser les ordures.
Maurice allait faire fortune, il était entrain de construire 4
nouvelles petites chambres au sous-sol pour les prochains arrivants, il
planifiait s’acheter une deuxième maison. Maurice avait des rêves.
Ça ne faisait même pas un mois que nous étions là qu’il augmenta
notre loyer à 1,200$ par mois. Si l’on refusait, nous devions quitter le
lendemain matin. C’est ce qu’on a fait, salut mon cher Maurice !
Une grosse Mustang flambette
À Fort McMurray, il fait toujours gris, les gens boivent beaucoup
d’alcool. Cette ville connaît un grave problème de prostitution, de jeu
et de drogue. Pour la plupart, des gens peu éduqués qui veulent
s’enrichir rapidement, c’est un mélange toxique pour n’importe quelle
société. En investissant dans cette ville éloignée, le Canada participe
au génocide intellectuel d’une nation.
Comme au Far West, les hommes se promènent en pick up neuf,
le menton bien haut, c’est ça la vie. Il y a souvent des bagarres, les
gens consomment beaucoup de drogue pour oublier l’ennui, beaucoup de
drogue.
Lorsque j’ai commencé à travailler comme agent de sécurité sur une
mine, tout le monde avait un seul but : faire fortune, sans études, en se
renseignant le moins possible sur le monde autour. La sélection
naturelle renversée.
Fort McMurray, c’est le paradis de l’individualisme et de la bêtise.
Jean Chrétien nous l’a dit, c’est ça le plus meilleur pays au monde.
Je me sentais comme dans un livre de Orwell, une société sans
culture, sans personnalité, un objectif commun : dépenser son argent dans
les bars, les voitures et sur les tables de Blackjack du Boomtown.
C’est là-bas que j’ai rencontré Ashley, une trentenaire de
l’Ontario venue habiter à Fort McMurray pour payer ses dettes
exubérantes. Elle était là depuis seulement 4 mois, sa première décision
fut d’emprunter 50,000$ pour s’acheter une Mustang de l’année.
Flambette ! Comment vas-tu payer tes dettes Ashley ? « Pas grave, avec mon
gros salaire, je vais finir par tout payer ».
Le trou du cul du monde
Ces rencontres et constatations furent des événements catalyseurs
pour moi. Quant à ma perception de l’économie et de la société
canadienne, je ne me suis jamais senti autant différent,
autant Québécois.
Dernièrement, j’ai entendu des politiciens dire à quel point nous
devrions être fier de Fort McMurray. Non, il y a aucune raison d’être
fier de Fort McMurray. Il m’est arrivé souvent de penser que cet endroit
allait exploser, être abandonné ou même bruler avec tout ce pétrole qui
lui sortait par les oreilles.
Non seulement c’est une tragédie environnementale, mais c’est aussi
un poison pour le progrès humain. Lorsqu’on investit dans le pétrole, on
détruit des milliers d’âmes créatives. Au lieu d’étudier et participer
au progrès, des milliers de jeunes vont mourir là-bas ; pour quelques
dollars additionnels. Le coût de renonciation pour le Canada est énorme.
Ça prend de l’imagination et du cran pour faire autrement.
Nous l’aurions peut-être notre grande innovation, notre grand succès
commercial, notre voiture électrique, si ce n’était pas du pétrole. Nous
l’aurions peut-être notre indépendance énergétique, notre belle utopie
scandinave.
Lorsqu’on fait le choix facile du pétrole, au nom de la productivité,
au nom du développement économique, on enterre des futurs
scientifiques, on intensifie notre déclin. L’ère des hydrocarbures est
révolue au moment où nous devrions investir dans l’économie du 21 ième
siècle.
Après ce feu, pourquoi reconstruire ? Pourquoi réinvestir des
milliards de dollars à Fort McMurray. Selon plusieurs études dont celle
du National Energy Board, les ressources pétrolières seront totalement
épuisés en 2050 et le baril de pétrole restera sous la barre de 100$
jusqu’en 2040. C’est un pari trop risqué.
Fort McMurray n’amène aucune innovation, aucun progrès social, aucune
matière grise. Fort McMurray enrichit les concessionnaires et les
compagnies de construction, tout cet argent est jeté à la poubelle.
Ce feu remet les choses en perspectives. Je vais vous le dire franchement, Fort McMurray, c’est le trou du cul du monde.
Reconstruire, pourquoi ?
Aussi cru que ça puisse paraître, je ne reconstruirai rien, je
laisserai le courant naturel des choses faire son oeuvre ; le feu de
Fort McMurray, c’est l’opportunité de nous sortir des hydrocarbures.
Pourquoi dépenser plusieurs milliards, encore, dans une industrie
destinée à mourir ? Pour stimuler la productivité et le PIB par la dette ?
Pour créer des emplois dans la construction ? Pour épuiser une ressource
de moins en moins rentable dans un endroit qui n’existera plus dans 40
ans ?
Dans un monde idéal ce serait le moment de recommencer sur de
nouvelles bases ; dans un monde meilleur, il serait temps de relocaliser
et former ces gens dans l’économie du 21 ième siècle. Ce feu est une
grande ironie.
Ne méprenez pas mes propos, je
suis triste pour les gens éprouvés dans cette tragédie, mais je suis de
ceux qui croit que ce malheur en cache un autre bien plus important.
Monsieur Trudeau, vous avez tout un défi devant vous. Faire le choix
facile de l’économie du pétrole et perpétuer cette tradition toxique. Ou
alors faire le choix du progrès humain. La balle est dans votre camp.
Mis à jour Dimanche 8 Mai 19:05.
La Vidure
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