Chaudement recommandé par le CRIF, Manuel Valls est parti en Israël
présenter ses hommages à la maison-mère en vue d’une conférence
internationale à laquelle personne ne croit.
Nouvelle illustration de
cette triste réalité : la France, où la bénédiction d’une officine
communautaire vaut accréditation diplomatique, a renoncé à faire
entendre une voix indépendante. On lui prêtait autrefois une oreille
attentive parce qu’elle refusait toute allégeance et conservait un
certain crédit. On ne l’entend plus aujourd’hui, non parce qu’on ne veut
plus l’entendre, mais parce qu’elle n’a plus rien à dire.
Depuis dix ans, ses dirigeants ont jeté aux orties ses meilleures
traditions diplomatiques. Ils ont renoncé à toute ambition fondée sur le
respect de la souveraineté nationale et le dialogue des peuples. Au
contraire, ils ont fait le choix d’une allégeance à l’occupant israélien
qui les a conduits à justifier l’injustifiable lors de la sanglante
répression sioniste à Gaza. Face à la violence de l’occupant, le
gouvernement français a accusé la résistance de l’avoir provoquée. D’une
indulgence à toute épreuve pour les crimes sionistes, il a rendu les
Palestiniens responsables des horreurs dont ils étaient victimes,
oubliant que c’est la violence structurelle de l’occupation qui génère
la résistance armée et non l’inverse.
À Tel Aviv, Manuel Valls va
pouvoir fièrement présenter son bilan. Non seulement l’inversion entre
la victime et le bourreau résume la politique française, mais le procédé
est aussi à usage interne. Exigé par la Kommandantur sioniste, l’ordre
règne dans l’hexagone. L’assimilation frauduleuse entre antisémitisme et
antisionisme est désormais une doctrine officielle, enseignée dans les
écoles de la République. La justice française, servile, criminalise
Boycott-Désinvestissement-Sanctions, campagne pacifique lancée à
l’initiative de la société civile palestinienne. Des rassemblements
populaires en faveur de la Palestine sont régulièrement interdits dans
certaines villes ; le président français a tenu des propos équivoques
lors de la cérémonie en hommage à Stéphane Hessel ; des journalistes,
des fonctionnaires, des citoyens sont sanctionnés ou intimidés. Tout,
dans la politique gouvernementale, stigmatise la solidarité avec un
peuple opprimé et conforte l’allégeance faite à ses oppresseurs.
Or,
ce climat délétère est l’expression d’un profond renoncement, d’une
démission collective. Conduite par des dirigeants sans culture, la
France, au Proche-Orient, poursuit deux objectifs qui sont à rebours de
sa vocation politique et historique. Elle devrait dialoguer avec les
pays du sud en refusant toute subordination à la puissance dominante.
Elle devrait contribuer à rétablir l’équilibre au profit d’un peuple
sous occupation, légitimant la résistance palestinienne et révoquant
l’impunité israélienne. Elle n’a fait, au contraire, que conforter son
allégeance à Israël et déstabiliser la résistance régionale à
l’hégémonie des USA, parrains d’Israël. Au lieu de desserrer l’étau de
l’atlantisme, elle l’a serré davantage. Au lieu de parler le langage de
la raison, elle a épousé les thèses sionistes les plus pernicieuses.
François Hollande a béni la répression israélienne à Gaza, il a fait
inscrire le Hezbollah sur la liste européenne des organisations
terroristes et il a livré des armes à une rébellion syrienne manipulée
par l’OTAN et les pétromonarchies. Cette soumission aux intérêts
atlantistes et sionistes, notre pays la paie aujourd’hui d’un discrédit
dont il ne se relèvera pas de sitôt.
On mesure à peine la
régression historique que représente ce renoncement national. Avec
Jacques Chirac, Paris maintenait le cap d’une promotion du droit
international qui lui servit brillamment de fil conducteur dans
l’affaire irakienne. La France ne pesait guère sur le cours des choses,
certes, dans un conflit soumis à l’influence néfaste du protecteur
américain d’Israël. Mais cette difficulté n’empêchait pas les dirigeants
français de faire entendre une voix indépendante. Et lorsque Jacques
Chirac admonesta publiquement un policier israélien devant le
Saint-Sépulcre à Jérusalem, la symbolique des mots pallia un instant
l’impuissance des actes. Héritière du gaullisme, cette politique
affirmait au moins l’illégitimité du recours unilatéral à la force. Au
nom du droit des peuples à l’autodétermination, elle privilégiait les
solutions négociées. La voix de la France était entendue, à défaut
d’être écoutée, parce que la France était souveraine.
Lors de sa
conférence de presse du 27 novembre 1967, le général de Gaulle résuma
ainsi le problème qui devait empoisonner le Proche-Orient : « Israël
organise, dans les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut
aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste
contre lui la résistance qu’il qualifie de terrorisme ». Avec François
Hollande, on est loin de ce franc-parler qui fit la réputation de la
France gaullienne. On lui préfère désormais la novlangue de
l’impérialisme humanitaire pour justifier la guerre contre une Syrie
rétive à l’hégémonie occidentale. En préférant Kouchner à De Gaulle, les
dirigeants français ont fait allégeance aux maîtres du monde. L’alibi
des droits de l’homme fournit à leur cynisme une couverture idéale pour
émouvoir le bon peuple. Mais ils oublient aussitôt ces considérations
humanitaires quand il s’agit de la Palestine martyrisée par leurs amis.
La Palestine restera comme un vivant remords de leurs compromissions. Et
l’histoire retiendra qu’ils ont fait de la soumission à ses bourreaux
leur politique étrangère.
Bruno Guigue est
un haut fonctionnaire, essayiste et politologue français né à Toulouse
en 1962. Ancien élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA.
Professeur de philosophie et chargé de cours en relations
internationales dans l’enseignement supérieur. Il est l’auteur de cinq
ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, l’invisible remords de l’Occident (L’Harmattan, 2002).
arretsurinfo.ch
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