En électron libre, j’aime bien descendre, remonter un cortège, aller
en queue, en tête de manif. J’aime aller voir là où ça frotte où ça
frite.
Voir et me faire une idée. De l’ambiance, de l’ampleur, du
dispositif policier, des consignes sécuritaires, comment les déjouer,
repérer les flics infiltrés…
J’ai l’esprit curieux et l’esprit libre. Je n’aime pas défiler.
Pour en avoir pratiqué un certain nombre, cette manif du 14, était énorme. Evidemment plus proche du million
que des 75 000 participants, foutage comptage de gueule officiel,
chiffre repris servilement par les merdias de l’ordre aux ordres.
Pour dire à l'hôpital Necker j’y
étais ou presque - À 100 mètres, debout sur un banc à scruter. À
participer au flux et reflux de la foule en fonction des nuages lacrymo. À pleurer ma mère, à tousser et cracher mes poumons.
Une demi-heure, la tête du cortège est restée là coincée. Pourquoi
là ? à hauteur de l’hôpital ? Il faut imaginer la relative baston
devant, les fumées, les gaz, les charges policières, les quelques pavés
qui volent et un million de manifestants qui poussent derrière.
Véritable stratégie de la tension que de bloquer une marée humaine,
la "nasser", la saucissonner dans la violence des détonations et des
gaz, des mouvements de foule irrationnelle et les clameurs d’une masse
asphyxiée dont la colère inévitablement monte et fait que logiquement
tout finit par dégénérer.
Tant de brutalité et de stress finit par te mettre la haine et t’enrager. Et c’est bien l’effet recherché.
Enfin le cortège à repris sa marche, passé le fameux carrefour de
toutes les batailles (sic), quelques stigmates, du bitume arraché, une
flaque de sang, et laborieusement, bousculé par les CRS, les charges
encore, les grenades encore, les gaz encore… a fini par atteindre le
goulot d’étranglement donnant accès aux invalides.
Grappes par grappes nous avons pu accéder à la place. Mais bloqué en
amont, 80% du cortège ne l’aura jamais atteinte. Il semble évident qu’il
y avait une volonté claire de ne pas voir l’immense place des Invalides
recouverte d’une marée humaine.
La photo d’une foule monstre, pour un mouvement qui en terme d’éléments de langage « s’essouffle », aurait fait mauvais genre.
Ensuite le canon à eau que l’on n’avait pas vu depuis 20 ans en
France, protégé par son escouade de robocops programmés et déshumanisés,
et qui nous accompagnait en bon Cerbère depuis Necker, s’est positionné
au milieu de la place, forçant le passage à coups de jets puissants au
milieu d’une foule plutôt pacifique.
Quelques tirs sporadiques de grenades de désencerclement au hasard,
renvoyées d’ailleurs à leurs propriétaires, quelques lancers de
bouteille, de projectiles dérisoires, quelques raids de la bac déguisée
en casseurs en retrait sous les arbres…
L’ordre visiblement étant de nettoyer au plus vite la place.
Résultat des courses. On ne parla évidemment que de 5 vitres cassées par un idiot utile providentiel à coups de marteau.
Il ne fallait pas que cette énorme manifestation existe. Il ne
fallait pas surtout pas qu’elle traduise une réalité : un peuple
normalement anesthésié par le foot, délibérément terrorisé par les
attentats, systématiquement culpabilisé par la boîte à décerveler, ne
veut pas, ne veut toujours pas et ne voudra jamais de cette putain de
loi et du monde qui va avec.
Cet escamotage est au final la meilleure preuve de la puissance de ce
mouvement profond et massif, dont la manifestation du 14 n ‘est qu’une
expression formelle mais symbolique.
En revanche, sachant d’avance comment les autorités aux abois
allaient manipuler l’opinion, je ne comprends pas pourquoi à l’aide d’un
drone ou autre, la CGT (entre autres) ne prévoit pas de faire ses
propres images. Pas une seule vue aérienne montrant le flot gigantesque
de la manifestation.
Tant d’énergies, de logistiques, d’investissements, dans une
démonstration de force qui de toute façon sera confisquée d’une manière
ou d’une autre à l’arrivée devrait nous obliger à tout anticiper mieux, à
mieux maîtriser la communication qui est aujourd’hui l’arme fatale.
En attendant de faire réellement bifurquer le cortège vers
l’assemblée nationale à deux pas, protégée par un quarteron de petits
soldats, c’est dire si les pouvoirs restent, malgré tout, confiants en
l’ordre des choses, il ne suffit pas de faire une démonstration de force
si l’on en maîtrise ni l’image, ni l’impact.
Phosphorons !
rue-affre
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