Mohsen Abdelmoumen : Peut-on dire que les États-Unis
sont un État souverain quand on voit le poids historique du lobby
sioniste sur ses décisions politiques ?
Alison Weir : Les
adeptes du sionisme politique ont influencé les politiques américaines
depuis des décennies et ont souvent joué un rôle central dans les
élections. Néanmoins, les Américains seront en mesure de forger des
politiques indépendantes quand suffisamment de gens prendront conscience
des faits et exigeront des politiques différentes.
Vous
avancez le chiffre effarant de l’aide américaine à Israël, soit 10
millions de dollars par jour ou 7.000 fois plus par habitant que les
autres pays du monde. Qu’est-ce qui justifie une telle aide à Israël de
la part des États-Unis ?
Personnellement, je ne pense pas
qu’elle soit rationnelle ou justifiée. C’est le résultat de pressions
politiques par des organisations bien financées et d’un obscurcissement
par les médias américains. La plupart des Américains n’ont aucune idée
du fait que notre gouvernement donne une énorme quantité d’argent à
Israël. C’est pour cette raison que notre organisation place des
panneaux partout aux États-Unis pour informer les gens.
Vous
êtes menacée de mort, vous subissez des pressions, à cause de votre
engagement pour la cause palestinienne. Où sont les valeurs occidentales
telles que « la démocratie » et « la liberté d’expression » dans tout
cela ?
Les sionistes ont peu d’attachement à des
principes tels que la démocratie ou la liberté d’expression. Cependant,
je crois que la majorité des Américains croient en ces valeurs et sont
perturbés quand elles sont violées. Encore une fois, la plupart ne sont
pas conscients de la façon dont ces principes sont profondément
endommagés par les partisans d’Israël.
En tant
qu’intellectuelle engagée pour la cause palestinienne, comment
pouvez-vous expliquer qu’au moment où des gens tels que vous sont
dénigrés, diffamés et menacés, certains dirigeants du monde
arabo-musulman collaborent activement avec Israël, y compris certains
Palestiniens eux-mêmes ? La cause palestinienne n’est-elle pas la cause
de toute l’humanité ?
Un groupe en Malaisie porte un nom
magnifique: « Le Mouvement pour un monde juste ». Je pense que la cause
palestinienne en fait partie. Tous les gens devraient travailler pour la
justice pour tous les peuples, sans exception.
Vous avez
été soutenue en 2015 par 2000 activistes et personnalités de renommée
mondiale, parmi elles, le Pr. Richard Falk, rapporteur spécial des
Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les
territoires palestiniens occupés, Hedy Epstein, Ann Wright, Arun Gandhi,
Ray McGovern, Cindy Sheehan, et le fondateur du Comité
Anti-Discrimination arabo-américain et ancien sénateur James Abourezk.
Pouvez-vous nous parler de cette lettre ouverte qu’ils ont signée ?
Certains
individus qui se disent « pro-palestiniens » semblent vouloir contrôler
le discours sur cette question et garder cachés certains de ses
aspects, tels que la puissance du lobby israélien. Un groupe appelé « Jewish Voice for Peace » (la voix juive pour la paix) qui s’est formé à la même époque où je commençais « If Americans Knew
» (Si les Américains savaient) a toujours contenu des sionistes parmi
ses membres et, tandis que ses positions évoluaient alors que plus de
gens s’impliquaient dans le mouvement de solidarité avec la Palestine,
il y a eu une histoire consistant à adopter des positions plus faibles
sur certains aspects fondamentaux de cette question et de ne pas
soutenir pleinement la justice pour les Palestiniens en refusant de
considérer le sionisme comme raciste. Ce groupe est devenu très puissant
et dispose actuellement d’un budget de plus de 2 millions de dollars
US. Bien que l’organisation ait fait un travail conséquent et précieux
et a œuvré à établir des relations avec de nombreux groupes et
individus, elle a également utilisé son pouvoir pour essayer de
contrôler le mouvement et de marginaliser les militants engagés qui
soutiennent pleinement la justice pour les Palestiniens. Lorsque les
actions de JVP contre moi sont devenues publiques, beaucoup de
gens s’y sont opposés et ont appelé à ce que de telles attaques prennent
fin. Certains ont écrit une lettre ouverte pour me soutenir et
s’opposer aux attaques qui sèment la discorde et plus de 2000 personnes
l’ont signée, y compris de nombreux membres de JVP. Il semble que la majorité des militants me soutiennent ainsi qu’If Americans Knew. Certains, cependant, qui ont adopté les accusations de JVP, ou qui veulent eux-mêmes dominer le mouvement, soutiennent ce que JVP fait.
Pourquoi les lobbies sionistes s’acharnent-ils sur Mrs Alison Weir ? Ont-ils peur d’une Juste et d’une porteuse de lumière ?
Je
pense que les sionistes de toutes tendances craignent l’exposition des
faits complets sur cette question. Pendant que les sionistes ouverts,
les sionistes soft (les gens qui s’opposent seulement à l’occupation
israélienne de Gaza et de la Cisjordanie, mais soutiennent l’identité
principale, discriminatoire d’Israël) et beaucoup de gens qui disent
qu’ils ne sont plus sionistes mais qui semblent avoir encore un
attachement émotionnel à Israël, se sont longtemps opposés à If Americans Knew,
et mon livre semble avoir particulièrement déclenché une
intensification d’attaques contre moi. Ce livre, qui est minutieusement
cité, expose le fait que les sionistes ont travaillé pour manipuler les
États-Unis depuis la fin des années 1800 et contient des faits que les
partisans d’Israël souhaitent clairement garder cachés. Heureusement, en
dépit de leurs tentatives pour enterrer le livre et pour empêcher mes
allocutions, le livre a profité d’une popularité considérable et nous
avons vendu plus de 25.000 exemplaires. Il figure maintenant sur Amazon
comme un best-seller dans plusieurs catégories. Je m’attends à ce que
son succès conduise à encore plus d’attaques de toutes sortes contre moi
; certaines des plus insidieuses, malheureusement, vont très
probablement continuer à émaner de ceux qui prétendent faire partie du
mouvement de solidarité avec la Palestine.
Comment se
fait-il qu’on a vu le premier ministre israélien rendre visite à des
terroristes d’Al Nosra soignés dans des hôpitaux de campagne israéliens ?
Daech et Al-Qaïda ne sont-ils pas de la même matrice terroriste que
l’État d’Israël ?
Depuis ses tout premiers débuts, la
stratégie israélienne a été de « diviser pour régner ». Les dirigeants
israéliens estiment que toutes les actions qui causent des conflits
parmi ses voisins avantagent Israël, et Israël a souvent joué un rôle en
créant et/ou en nourrissant de tels conflits. Cette tactique a été
discutée dans un certain nombre de documents sur la stratégie
israélienne.
Vous avez vécu avec les Palestiniens dans les
territoires occupés, quel est votre témoignage au sujet de leur vie
quotidienne sous l’occupation israélienne ?
Dans
certaines zones, ils sont bombardés et envahis fréquemment, les gens sont
tués et blessés systématiquement. Même dans les zones qui sont
généralement libres de cette violence absolue, les Palestiniens vivent
dans des prisons où Israël contrôle leur vie et les empêche de protéger
leurs enfants. Israël décide où et si ils peuvent voyager et prend les
mesures qu’il veut contre les Palestiniens, fouillant les femmes et les
enfants, enlevant les hommes, les femmes et les enfants à volonté, les
emprisonnant sans procès, perpétrant la torture physique et
psychologique contre eux en toute impunité, les empêchant d’avoir des
contacts libres avec le reste du monde.
Israël ne constitue-t-il pas une menace pour la paix dans le monde avec notamment sa puissance nucléaire ?
Israël
est depuis longtemps une menace majeure pour la paix. Il a provoqué de
nombreuses guerres et en a encouragé encore plus. Sa possession d’armes
nucléaires menace la région et au-delà, et ses actions pourraient
déclencher une conflagration mondiale.
De plus en plus de
voix dans le monde protestent contre la domination israélienne, comme on
l’a vu lors du dernier massacre à ciel ouvert à Gaza. Comment
expliquez-vous ce changement en faveur de la cause palestinienne ?
Avec
Internet, de plus en plus de gens apprennent les faits. Les gens
constatent de plus en plus la violence israélienne qui a été
habituellement cachée au monde.
Comment expliquez-vous que
l’État sioniste d’Israël soit appelé l’État Juif en se référant à la
religion hébraïque, et pourquoi ceux qui sont contre la politique
criminelle israélienne ou le lobby sioniste sont-ils qualifiés
d’antisémites ?
Israël ne définit pas « juif » en tant
qu’appellation religieuse, il le définit comme une identité ethnique.
Israël prétend que quiconque expose ou s’oppose à ses violations des
droits de l’homme est « antisémite », utilisant cette tactique pour
empêcher une telle opposition et marginaliser ceux qui exposent les
faits qu’ils veulent cacher. Comme un ancien membre de la Knesset
israélienne l’a dit il y a un certain temps : « C’est un truc que nous
utilisons toujours ».
Le fondamentalisme chrétien n’est-il
pas le véritable créateur de l’État sioniste d’Israël, comme on le
trouve dans certains textes anciens soit en Grande-Bretagne ou aux
États-Unis ?
Non, ce n’est pas ce qui a conduit à la
création d’Israël. Bien qu’il existe quelques passages dans les textes
hébreux et chrétiens que certains individus ont longtemps interprétés
dans le sens où tous les Juifs sont destinés à aller en Israël (ces
interprétations sont contestées par la plupart des théologiens
respectés, y compris les théologiens fondamentalistes), de tels groupes
n’ont jamais provoqué cela. Ce fut le mouvement politique sioniste en
grande partie commencé par Theodor Herzl à la fin des années 1800
qu’Israël et d’autres considèrent précisément comme le mouvement qui a
fondé Israël. Ce mouvement a travaillé à influencer tous les secteurs
des États-Unis, y compris les chrétiens et les juifs. Il y a toute une
série d’informations sur ceci dans mon livre. Aujourd’hui, alors que de
nombreux chrétiens fondamentalistes soutiennent Israël à cause de la
manipulation qui a eu lieu et qui se produit encore aux États-Unis, de
plus en plus de ces personnes sont en train de changer leur point de vue
quand ils apprennent les faits. Il y a maintenant beaucoup de
fondamentalistes chrétiens (et de Juifs) qui travaillent avec ferveur
pour la justice en faveur des Palestiniens.
Vous avez fondé If American Knew
et vous êtes présidente du Council for the National Interest,
pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le rôle de ces deux
organisations ?
J’ai fondé If Americans Knew pour donner
aux Américains tous les faits sur la Palestine et sur le rôle des
États-Unis dans ce conflit. La plupart des Américains n’ont aucune idée
sur le fait que le gouvernement américain donne des sommes d’argent
massives à Israël et le protège d’une condamnation internationale
méritée. De même, la plupart des Américains n’ont aucune idée de
l’histoire de cette question et de l’oppression continue sur les
Palestiniens. Enfin, la plupart des Américains n’ont aucune idée de la
taille, l’histoire, et l’importance du lobby sioniste aux États-Unis et
son degré d’influence sur des politiques qui sont immorales,
irrationnelles, et qui causent un grand tort à des gens dans le monde
entier, y compris aux Américains.
The Council for the National
Interest (Le Conseil pour l’Intérêt National) a été fondé en 1989 pour
contrer le lobby israélien. Son but était de travailler pour des
politiques qui seraient dans l’intérêt de tous les Américains, une
population extrêmement diversifiée, plutôt que pour un groupe d’intérêt
minuscule. Ses deux fondateurs principaux, les anciens membres du
Congrès Paul Findley et Pete McCloskey ont tous deux été mis dehors par
les partisans d’Israël quand ces hommes ont commencé à plaider en faveur
de la justice pour les Palestiniens. Tous les deux sont des individus
aux principes profonds qui s’étaient aussi opposés à la guerre du Viêt
Nam et au racisme.
Que peut-dire la militante d’envergure
mondiale que vous êtes à tous les résistants à travers le monde contre
le sionisme et l’État fasciste d’Israël ?
Je suis très
surprise, mais honorée, de voir que vous parlez de moi comme d’une «
militante d’envergure mondiale ». Je suis juste l’une parmi une
multitude de personnes qui se rassemblent pour travailler ensemble pour
la justice envers les Palestiniens et s’opposer à la violence, au
racisme et à l’oppression. Je ne doute pas que nous finirons par
réussir. Le point principal est de poursuivre notre travail, de refuser
d’être séparés les uns des autres, et de ne pas abandonner. Nous sommes
un mouvement extrêmement diversifié, et je crois que cela fait partie de
notre force, ainsi que la dignité de notre cause, la noblesse et le
courage de ceux qui nous ont précédés. Nous sommes issus de différentes
confessions et origines, de tous âges et races, et nous ne serons pas
stoppés.
Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen
Qui est Alison Weir ?
Alison
Weir est un écrivain américain et une militante pour la cause
palestinienne. Elle est la fondatrice et la directrice de l’organisation
If Americans knew (Si les Américains savaient) et la présidente du Council for the National Interest (Conseil
pour l’Intérêt national). En 2001, Alison Weir a laissé son travail
comme rédactrice d’un journal hebdomadaire et a voyagé seule dans les
territoires palestiniens pendant la Seconde Intifada. Elle a visité la
Cisjordanie et Gaza et assisté à des scènes de violence, voyant la
réalité du conflit sur le terrain, d’où elle a écrit au sujet de ses
rencontres avec la souffrance des Palestiniens et avec « l’arrogance
incroyable, la cruauté, et l’égoïsme » des Israéliens. Elle a été
étonnée par ce qu’elle a appris : que la vérité du conflit sur le
terrain n’avait presqu’aucune ressemblance avec les histoires racontées
dans les médias américains. Elle est revenue aux USA déterminée à
changer cela. Elle a commencé à parler et à écrire sur le sujet et a
fondé If Americans Knew, une organisation à but non lucratif dédiée à
informer les Américains. Plus récemment, elle a également accepté le
poste de président du Council for the National Interest.
Alison
Weir a été une militante des droits civiques et une volontaire du Corps
de la Paix. Elle a fait des conférences partout aux États-Unis, y
compris deux briefings au Capitole, des présentations au Club National
de la Presse à Washington DC (diffusé à l’échelle nationale sur C-Span),
au Centre d’analyse des politiques sur la Palestine, aux Conseils des
Affaires du monde, et dans de nombreuses universités dont la Faculté de
droit de Harvard, Colombia, Stanford, Berkeley, Yale, Georgetown,
Fletcher School of law et Diplomacy, Vassar, the Naval Postgraduate
Institute, Purdue, Northwestern et l’Université de Virginie. Elle a fait
des exposés dans diverses conférences internationales, à Ramallah et à
l’Université du Qatar, aux Sommets des médias à Kuala Lumpur et à
Beijing, et a fait des tournées de conférences en Angleterre, au Pays de
Galles, en Iran et au Qatar.
Alison Weir a aussi beaucoup écrit
sur le conflit israélo-palestinien, la connexion des États-Unis et la
couverture médiatique. Son premier livre, « Against Our Better Judgment: The Hidden History of How the U.S. Was Used to Create Israel »
(Contre Notre Meilleur Jugement : l’Histoire Cachée ou Comment les
États-Unis Ont été Utilisés pour Créer Israël), a été publié en février
2014 et a reçu des éloges appuyés. Ses essais et articles ont paru dans
un certain nombre de livres et magazines, parmi eux The New Intifada (Verso), Censored 2005 (Seven Stories Press), Encyclopedia of the Israeli-Palestinian Conflict (Rienner), The Washington Report on Middle East Affairs, San Francisco Bay View newspaper, CounterPunch, and The Link.
Alison
Weir a reçu divers prix et en 2004, a été intronisée membre honoraire
de Phi Alpha Literary Society, fondée en 1845 à l’Illinois College. Le
prix l’a récompensée comme « une journaliste-conférencière courageuse au
nom des droits de l’homme. La première femme à être reçue membre
d’honneur dans l’histoire de Phi Alpha ».
Published in English in American Herald Tribune, June 15, 2016: http://ahtribune.com/in-depth/985-alison-weir.html
Palestine Solidarité
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