dimanche 19 juin 2016

Alison Weir : « Israël est depuis longtemps une menace majeure pour la paix »

Alison Weir. DR.Mohsen Abdelmoumen                

Mohsen Abdelmoumen : Peut-on dire que les États-Unis sont un État souverain quand on voit le poids historique du lobby sioniste sur ses décisions politiques ?

Alison Weir : Les adeptes du sionisme politique ont influencé les politiques américaines depuis des décennies et ont souvent joué un rôle central dans les élections. Néanmoins, les Américains seront en mesure de forger des politiques indépendantes quand suffisamment de gens prendront conscience des faits et exigeront des politiques différentes.

Vous avancez le chiffre effarant de l’aide américaine à Israël, soit 10 millions de dollars par jour ou 7.000 fois plus par habitant que les autres pays du monde. Qu’est-ce qui justifie une telle aide à Israël de la part des États-Unis ?
Personnellement, je ne pense pas qu’elle soit rationnelle ou justifiée. C’est le résultat de pressions politiques par des organisations bien financées et d’un obscurcissement par les médias américains. La plupart des Américains n’ont aucune idée du fait que notre gouvernement donne une énorme quantité d’argent à Israël. C’est pour cette raison que notre organisation place des panneaux partout aux États-Unis pour informer les gens.

Vous êtes menacée de mort, vous subissez des pressions, à cause de votre engagement pour la cause palestinienne. Où sont les valeurs occidentales telles que « la démocratie » et « la liberté d’expression » dans tout cela ?
Les sionistes ont peu d’attachement à des principes tels que la démocratie ou la liberté d’expression. Cependant, je crois que la majorité des Américains croient en ces valeurs et sont perturbés quand elles sont violées. Encore une fois, la plupart ne sont pas conscients de la façon dont ces principes sont profondément endommagés par les partisans d’Israël.

En tant qu’intellectuelle engagée pour la cause palestinienne, comment pouvez-vous expliquer qu’au moment où des gens tels que vous sont dénigrés, diffamés et menacés, certains dirigeants du monde arabo-musulman collaborent activement avec Israël, y compris certains Palestiniens eux-mêmes ? La cause palestinienne n’est-elle pas la cause de toute l’humanité ?

Un groupe en Malaisie porte un nom magnifique: « Le Mouvement pour un monde juste ». Je pense que la cause palestinienne en fait partie. Tous les gens devraient travailler pour la justice pour tous les peuples, sans exception.

Vous avez été soutenue en 2015 par 2000 activistes et personnalités de renommée mondiale, parmi elles, le Pr. Richard Falk, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, Hedy Epstein, Ann Wright, Arun Gandhi, Ray McGovern, Cindy Sheehan, et le fondateur du Comité Anti-Discrimination arabo-américain et ancien sénateur James Abourezk. Pouvez-vous nous parler de cette lettre ouverte qu’ils ont signée ?

Certains individus qui se disent « pro-palestiniens » semblent vouloir contrôler le discours sur cette question et garder cachés certains de ses aspects, tels que la puissance du lobby israélien. Un groupe appelé « Jewish Voice for Peace » (la voix juive pour la paix) qui s’est formé à la même époque où je commençais « If Americans Knew » (Si les Américains savaient) a toujours contenu des sionistes parmi ses membres et, tandis que ses positions évoluaient alors que plus de gens s’impliquaient dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, il y a eu une histoire consistant à adopter des positions plus faibles sur certains aspects fondamentaux de cette question et de ne pas soutenir pleinement la justice pour les Palestiniens en refusant de considérer le sionisme comme raciste. Ce groupe est devenu très puissant et dispose actuellement d’un budget de plus de 2 millions de dollars US. Bien que l’organisation ait fait un travail conséquent et précieux et a œuvré à établir des relations avec de nombreux groupes et individus, elle a également utilisé son pouvoir pour essayer de contrôler le mouvement et de marginaliser les militants engagés qui soutiennent pleinement la justice pour les Palestiniens. Lorsque les actions de JVP contre moi sont devenues publiques, beaucoup de gens s’y sont opposés et ont appelé à ce que de telles attaques prennent fin. Certains ont écrit une lettre ouverte pour me soutenir et s’opposer aux attaques qui sèment la discorde et plus de 2000 personnes l’ont signée, y compris de nombreux membres de JVP. Il semble que la majorité des militants me soutiennent ainsi qu’If Americans Knew. Certains, cependant, qui ont adopté les accusations de JVP, ou qui veulent eux-mêmes dominer le mouvement, soutiennent ce que JVP fait.

Pourquoi les lobbies sionistes s’acharnent-ils sur Mrs Alison Weir ? Ont-ils peur d’une Juste et d’une porteuse de lumière ?
Je pense que les sionistes de toutes tendances craignent l’exposition des faits complets sur cette question. Pendant que les sionistes ouverts, les sionistes soft (les gens qui s’opposent seulement à l’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie, mais soutiennent l’identité principale, discriminatoire d’Israël) et beaucoup de gens qui disent qu’ils ne sont plus sionistes mais qui semblent avoir encore un attachement émotionnel à Israël, se sont longtemps opposés à If Americans Knew, et mon livre semble avoir particulièrement déclenché une intensification d’attaques contre moi. Ce livre, qui est minutieusement cité, expose le fait que les sionistes ont travaillé pour manipuler les États-Unis depuis la fin des années 1800 et contient des faits que les partisans d’Israël souhaitent clairement garder cachés. Heureusement, en dépit de leurs tentatives pour enterrer le livre et pour empêcher mes allocutions, le livre a profité d’une popularité considérable et nous avons vendu plus de 25.000 exemplaires. Il figure maintenant sur Amazon comme un best-seller dans plusieurs catégories. Je m’attends à ce que son succès conduise à encore plus d’attaques de toutes sortes contre moi ; certaines des plus insidieuses, malheureusement, vont très probablement continuer à émaner de ceux qui prétendent faire partie du mouvement de solidarité avec la Palestine.

Comment se fait-il qu’on a vu le premier ministre israélien rendre visite à des terroristes d’Al Nosra soignés dans des hôpitaux de campagne israéliens ? Daech et Al-Qaïda ne sont-ils pas de la même matrice terroriste que l’État d’Israël ?
Depuis ses tout premiers débuts, la stratégie israélienne a été de « diviser pour régner ». Les dirigeants israéliens estiment que toutes les actions qui causent des conflits parmi ses voisins avantagent Israël, et Israël a souvent joué un rôle en créant et/ou en nourrissant de tels conflits. Cette tactique a été discutée dans un certain nombre de documents sur la stratégie israélienne.

Vous avez vécu avec les Palestiniens dans les territoires occupés, quel est votre témoignage au sujet de leur vie quotidienne sous l’occupation israélienne ?
Dans certaines zones, ils sont bombardés et envahis fréquemment, les gens sont tués et blessés systématiquement. Même dans les zones qui sont généralement libres de cette violence absolue, les Palestiniens vivent dans des prisons où Israël contrôle leur vie et les empêche de protéger leurs enfants. Israël décide où et si ils peuvent voyager et prend les mesures qu’il veut contre les Palestiniens, fouillant les femmes et les enfants, enlevant les hommes, les femmes et les enfants à volonté, les emprisonnant sans procès, perpétrant la torture physique et psychologique contre eux en toute impunité, les empêchant d’avoir des contacts libres avec le reste du monde.

Israël ne constitue-t-il pas une menace pour la paix dans le monde avec notamment sa puissance nucléaire ?
Israël est depuis longtemps une menace majeure pour la paix. Il a provoqué de nombreuses guerres et en a encouragé encore plus. Sa possession d’armes nucléaires menace la région et au-delà, et ses actions pourraient déclencher une conflagration mondiale.

De plus en plus de voix dans le monde protestent contre la domination israélienne, comme on l’a vu lors du dernier massacre à ciel ouvert à Gaza. Comment expliquez-vous ce changement en faveur de la cause palestinienne ?
Avec Internet, de plus en plus de gens apprennent les faits. Les gens constatent de plus en plus la violence israélienne qui a été habituellement cachée au monde.

Comment expliquez-vous que l’État sioniste d’Israël soit appelé l’État Juif en se référant à la religion hébraïque, et pourquoi ceux qui sont contre la politique criminelle israélienne ou le lobby sioniste sont-ils qualifiés d’antisémites ?
Israël ne définit pas « juif » en tant qu’appellation religieuse, il le définit comme une identité ethnique. Israël prétend que quiconque expose ou s’oppose à ses violations des droits de l’homme est « antisémite », utilisant cette tactique pour empêcher une telle opposition et marginaliser ceux qui exposent les faits qu’ils veulent cacher. Comme un ancien membre de la Knesset israélienne l’a dit il y a un certain temps : « C’est un truc que nous utilisons toujours ».

Le fondamentalisme chrétien n’est-il pas le véritable créateur de l’État sioniste d’Israël, comme on le trouve dans certains textes anciens soit en Grande-Bretagne ou aux États-Unis ?
Non, ce n’est pas ce qui a conduit à la création d’Israël. Bien qu’il existe quelques passages dans les textes hébreux et chrétiens que certains individus ont longtemps interprétés dans le sens où tous les Juifs sont destinés à aller en Israël (ces interprétations sont contestées par la plupart des théologiens respectés, y compris les théologiens fondamentalistes), de tels groupes n’ont jamais provoqué cela. Ce fut le mouvement politique sioniste en grande partie commencé par Theodor Herzl à la fin des années 1800 qu’Israël et d’autres considèrent précisément comme le mouvement qui a fondé Israël. Ce mouvement a travaillé à influencer tous les secteurs des États-Unis, y compris les chrétiens et les juifs. Il y a toute une série d’informations sur ceci dans mon livre. Aujourd’hui, alors que de nombreux chrétiens fondamentalistes soutiennent Israël à cause de la manipulation qui a eu lieu et qui se produit encore aux États-Unis, de plus en plus de ces personnes sont en train de changer leur point de vue quand ils apprennent les faits. Il y a maintenant beaucoup de fondamentalistes chrétiens (et de Juifs) qui travaillent avec ferveur pour la justice en faveur des Palestiniens.

Vous avez fondé If American Knew et vous êtes présidente du Council for the National Interest, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le rôle de ces deux organisations ?
J’ai fondé If Americans Knew pour donner aux Américains tous les faits sur la Palestine et sur le rôle des États-Unis dans ce conflit. La plupart des Américains n’ont aucune idée sur le fait que le gouvernement américain donne des sommes d’argent massives à Israël et le protège d’une condamnation internationale méritée. De même, la plupart des Américains n’ont aucune idée de l’histoire de cette question et de l’oppression continue sur les Palestiniens. Enfin, la plupart des Américains n’ont aucune idée de la taille, l’histoire, et l’importance du lobby sioniste aux États-Unis et son degré d’influence sur des politiques qui sont immorales, irrationnelles, et qui causent un grand tort à des gens dans le monde entier, y compris aux Américains.
The Council for the National Interest (Le Conseil pour l’Intérêt National) a été fondé en 1989 pour contrer le lobby israélien. Son but était de travailler pour des politiques qui seraient dans l’intérêt de tous les Américains, une population extrêmement diversifiée, plutôt que pour un groupe d’intérêt minuscule. Ses deux fondateurs principaux, les anciens membres du Congrès Paul Findley et Pete McCloskey ont tous deux été mis dehors par les partisans d’Israël quand ces hommes ont commencé à plaider en faveur de la justice pour les Palestiniens. Tous les deux sont des individus aux principes profonds qui s’étaient aussi opposés à la guerre du Viêt Nam et au racisme.

Que peut-dire la militante d’envergure mondiale que vous êtes à tous les résistants à travers le monde contre le sionisme et l’État fasciste d’Israël ?
Je suis très surprise, mais honorée, de voir que vous parlez de moi comme d’une « militante d’envergure mondiale ». Je suis juste l’une parmi une multitude de personnes qui se rassemblent pour travailler ensemble pour la justice envers les Palestiniens et s’opposer à la violence, au racisme et à l’oppression. Je ne doute pas que nous finirons par réussir. Le point principal est de poursuivre notre travail, de refuser d’être séparés les uns des autres, et de ne pas abandonner. Nous sommes un mouvement extrêmement diversifié, et je crois que cela fait partie de notre force, ainsi que la dignité de notre cause, la noblesse et le courage de ceux qui nous ont précédés. Nous sommes issus de différentes confessions et origines, de tous âges et races, et nous ne serons pas stoppés.

Interview réalisée par Mohsen Abdelmoumen

Qui est Alison Weir ?

Alison Weir est un écrivain américain et une militante pour la cause palestinienne. Elle est la fondatrice et la directrice de l’organisation If Americans knew (Si les Américains savaient) et la présidente du Council for the National Interest (Conseil pour l’Intérêt national). En 2001, Alison Weir a laissé son travail comme rédactrice d’un journal hebdomadaire et a voyagé seule dans les territoires palestiniens pendant la Seconde Intifada. Elle a visité la Cisjordanie et Gaza et assisté à des scènes de violence, voyant la réalité du conflit sur le terrain, d’où elle a écrit au sujet de ses rencontres avec la souffrance des Palestiniens et avec « l’arrogance incroyable, la cruauté, et l’égoïsme » des Israéliens. Elle a été étonnée par ce qu’elle a appris : que la vérité du conflit sur le terrain n’avait presqu’aucune ressemblance avec les histoires racontées dans les médias américains. Elle est revenue aux USA déterminée à changer cela. Elle a commencé à parler et à écrire sur le sujet et a fondé If Americans Knew, une organisation à but non lucratif dédiée à informer les Américains. Plus récemment, elle a également accepté le poste de président du Council for the National Interest.
Alison Weir a été une militante des droits civiques et une volontaire du Corps de la Paix. Elle a fait des conférences partout aux États-Unis, y compris deux briefings au Capitole, des présentations au Club National de la Presse à Washington DC (diffusé à l’échelle nationale sur C-Span), au Centre d’analyse des politiques sur la Palestine, aux Conseils des Affaires du monde, et dans de nombreuses universités dont la Faculté de droit de Harvard, Colombia, Stanford, Berkeley, Yale, Georgetown, Fletcher School of law et Diplomacy, Vassar, the Naval Postgraduate Institute, Purdue, Northwestern et l’Université de Virginie. Elle a fait des exposés dans diverses conférences internationales, à Ramallah et à l’Université du Qatar, aux Sommets des médias à Kuala Lumpur et à Beijing, et a fait des tournées de conférences en Angleterre, au Pays de Galles, en Iran et au Qatar.
Alison Weir a aussi beaucoup écrit sur le conflit israélo-palestinien, la connexion des États-Unis et la couverture médiatique. Son premier livre, « Against Our Better Judgment: The Hidden History of How the U.S. Was Used to Create Israel » (Contre Notre Meilleur Jugement : l’Histoire Cachée ou Comment les États-Unis Ont été Utilisés pour Créer Israël), a été publié en février 2014 et a reçu des éloges appuyés. Ses essais et articles ont paru dans un certain nombre de livres et magazines, parmi eux The New Intifada (Verso), Censored 2005 (Seven Stories Press), Encyclopedia of the Israeli-Palestinian Conflict (Rienner), The Washington Report on Middle East Affairs, San Francisco Bay View newspaper, CounterPunch, and The Link.
Alison Weir a reçu divers prix et en 2004, a été intronisée membre honoraire de Phi Alpha Literary Society, fondée en 1845 à l’Illinois College. Le prix l’a récompensée comme « une journaliste-conférencière courageuse au nom des droits de l’homme. La première femme à être reçue membre d’honneur dans l’histoire de Phi Alpha ».

Published in English in American Herald Tribune, June 15, 2016: http://ahtribune.com/in-depth/985-alison-weir.html

Palestine Solidarité

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