L’Euro
2016 va être la grande fête du foot-ball, autant dire que ça craint vu
les miasmes que nous apporte le divin foot ces derniers années :
...corruption,
fraude fiscale, racisme au cri de singe, prostitution, salaires de
malades, violence sur les arbitres, matches truqués, dopage, supporteurs
fachos, escroqueries en bande organisées, expropriations abusives pour
des stades, coupes du monde faisandées, beuveries de supporters, octroi
d’avantages indus pour un entraineur qui rompt son contrat et touche une
prime, hooliganisme, jeu de dézingage entre chaines télé, machisme de
cinglés pour ignorer le foot féminin… J’en passe, et autant vous dire
que je me contrefiche du foot, enfin je veux dire de ce foot pourri par
l’argent de la télé (ce qui laisse le reste intact, ou presque, vu le
culte des idoles). Nous allons donc assister aux noces d’amour entre
l’Euro 2016 et les mouvements sociaux, ce qui est assez inédit.
Dans ce contexte, voici la tonique interview de Cantona à Libé, Cantona qui, lui, a le cerveau branché. Le texte de Libé est ici, et c’est à mourir de rire car Libé multiplie
les NDLR (notes de la rédaction) pour expliquer au lecteur –
nécessairement débile – que Cantona, on le publie car ça buzze, mais
attention je vous décrypte le Catona because he is a bad boy.
Ci-dessous, l’interview de Cantona, sans les NDLR.
Libé - La prise de parole de Karim Benzema vous a-t-elle étonné ?
C - Absolument pas. Je remarque que tout comme moi, il n’a accusé à aucun moment Deschamps de racisme. Mais
il dit qu’il a cédé à la pression de l’opinion publique, une pression
qui se traduit en termes d’ambiance et de posture politique. Et je
remarque aussi que Benzema a été victime de raccourcis incroyables, du
type «Benzema dit que Deschamps est raciste». Comme ça, on évite de
poser les questions.
Libé - Trouvez-vous que Karim Benzema a eu un certain courage ?
C
- Oui, parce qu’il est toujours en activité et qu’il est sélectionnable
chez les Bleus. Non, parce qu’il est normal qu’il s’exprime et agisse
comme un citoyen français avant de se penser comme un joueur. Un citoyen
qui répond à la problématique suivante : comment barrer la route aux
extrêmes ?
Libé
- La question peut vous paraître étrange, mais vous sentez-vous
redevable d’une forme de solidarité envers des joueurs d’une dimension
comparable à celle que vous aviez quand vous étiez sur les terrains ?
C
- Je parle comme un citoyen. Après, il est clair que si on m’enlève un
joueur comme Benzema, on me prive d’une partie du plaisir. Je trouve ça
injuste, ce qui m’incite à me poser des questions.
Libé - Avez-vous été surpris de l’ampleur de la polémique qui a suivi votre interview au Guardian ?
C
- Je ne m’attends à rien. Et puis je m’en tape, très sincèrement.
Après, je sais que l’on vit une époque où ce genre de chose monte très
vite et très fort, ça dure vingt-quatre heures, parfois quarante-huit,
durant lesquelles les abrutis s’expriment. Après ils oublient, ils
passent à autre chose, et c’est le moment où la réflexion entre en jeu.
Moi,
j’adore que l’on me mette en situation de me poser des questions. C’est
la fonction de l’art et l’art me nourrit. Ça permet de susciter, de
déclencher, d’apprendre aussi.
Libé - Quel était le sens de votre comparaison entre Deschamps et les mormons ?
C
- Mais pourquoi a-t-on parlé d’insulte ? Pourquoi ai-je lu ensuite que
les mormons étaient consanguins ? Comme si j’accusais Deschamps d’être
consanguin ! Ils sont 14 millions dans le monde, le mormonisme est
reconnu comme une religion, pas comme une secte. Et pour ceux qui
l’ignorent, de nombreux Noirs en sont membres, de grands hommes
d’affaires, des sportifs, des scientifiques, des artistes… Quand on
insinue que je suis raciste et antifrançais quand je compare Deschamps à
un mormon, on insulte les mormons et on fait preuve de discrimination
envers eux ! J’ai juste dit qu’une grande majorité de mormons se
mariaient entre eux par conservatisme : beaucoup d’autres religions sont
dans ce cas-là, la religion catholique par exemple.
Autre
chose : j’ai lu et entendu que j’étais anti-français parce que j’ai
plaisanté sur le fait que Deschamps a un nom français pouvant venir de
plusieurs générations. Mais Karim Benzema, c’est un nom français aussi. À
consonance maghrébine, oui, et vous conviendrez avec moi que ça ne
change rien au fait qu’il soit français. Hatem Ben Arfa, que j’ai
défendu dans le Guardian, c’est un nom français également. Mais
alors, pourquoi ne dit-on nulle part que je suis pro-français ? Par
définition, les Français d’origine maghrébine ont un nom français. Donc,
Deschamps, Benzema et Ben Arfa ont des noms français, les origines des
deux derniers ne devant en aucun cas les desservir dans un contexte
politico-social particulier. J’attaquerai en justice tous ceux qui ont
tenus des propos mensongers et insultants à mon égard.
Libé - La fédération a qualifié vos propos de «stupides», qu’est-ce que vous…
C. (Il coupe) Ils
se sont servis de moi pour effacer l’ardoise et cette ardoise, c’est
l’affaire des quotas. Ça leur permet d’éloigner ce souvenir dans
l’esprit des gens. Des joueurs d’origine maghrébine, il y en a, là on
parle terrain, c’est le plus souvent objectif.
En
dehors, en revanche, c’est subjectif : les dirigeants d’origine
maghrébine ou d’Afrique noire, ils sont où ? Et les entraîneurs de
Ligue 1 d’origine maghrébine ? Alors que ce sont eux qui forment les
gamins ! Ils sont assez forts et compétents pour s’occuper des jeunes
joueurs, et ils ne le sont plus quand ces mêmes joueurs passent
professionnels ?
Libé
- Concernant Benzema, Didier Deschamps n’a jamais prétendu avoir pris
une décision sportive : il est mis en examen dans une tentative de
chantage visant un coéquipier, tentative présumée qui a de plus eu lieu
dans le cadre d’un rassemblement des Bleus à Clairefontaine.
N’acceptez-vous pas cette justification ?
C
- Je dirais que c’est une possibilité. Qui ne me retire pas le droit de
m’interroger. La FFF est sous tutelle du ministère des Sports et deux
membres du gouvernement, le ministre des Sports Patrick Kanner et le
Premier ministre Manuel Valls, ont publiquement réclamé la mise à
l’écart de Benzema durant l’Euro. Ces éléments sont suffisants pour
émettre un doute sur l’indépendance des choix du monde sportif rapport à
la politique.
Libé
- Si l’on remonte votre raisonnement un cran plus loin, vous soupçonnez
Valls ou Kanner de calcul politique par rapport aux origines de Karim
Benzema…
C
- Là encore, je n’affirme rien. Je pose la question. La suspension de
Benzema en équipe de France est tombée le 10 décembre, entre les deux
tours des élections régionales. Depuis les attentats de Charlie Hebdo et
de l’Hyper Cacher, les choses ont changé, l’ambiance a changé, le
regard que l’on porte sur la communauté d’origine maghrébine a changé.
On mélange tout, on parle de déchéance de nationalité, les assignations à
résidence pleuvent. On vit une période où on sanctionne une communauté…
ou plutôt une période où on a envie de la sanctionner. Pour en revenir à
Benzema, il est présumé innocent. S’il est lavé de tout soupçon cet
automne, il aura manqué l’Euro quand même. Quant à Ben Arfa, il n’est
coupable de rien. Sauf d’être l’un des deux ou trois meilleurs joueurs
français.
Libé - Oui, mais Deschamps est sélectionneur, il est libre de choisir qui il veut…
C
- Bien sûr. Après, vous croyez qu’il peut dire autre chose que « j’ai
suivi des nécessités sportives, etc... » ? J’ai quand même le droit de me
poser des questions. Tenez, il paraît qu’il va m’attaquer en justice.
C’est bien la première fois qu’il passera d’une position défensive à une
position offensive, il verra si c’est si facile… Avec son agent et son
avocat, ils ne seront pas trop de trois pour réfléchir et distinguer ce
qui relève de la diffamation du fait de mettre le problème sur la place
publique. Ça n’a rien à voir, mais puisqu’on parle de son agent, je
tiens à dire que ce même agent s’occupe aussi des intérêts de certains
joueurs. Vous trouvez ça normal ? Quand on dirige une fédération, on
écarte tout soupçon, me semble-t-il.
Libé - On vous a prêté l’intention de régler des comptes anciens avec Didier Deschamps…
C
- Je n’ai de comptes à régler avec personne. Je parle d’une chose, et
ensuite je parle d’une autre. Quand je m’attaque aux banques en
demandant aux gens de retirer leur argent, je n’ai aucun compte à régler
avec les banques.
Libé
- Le football ne doit-il pas être protégé d’enjeux aussi lourds que les
communautarismes ? Doit-il, à l’inverse, être utilisé pour montrer
l’exemple, quitte à entrer sur un terrain que ses acteurs maîtrisent mal
?
C
- En France, les politiques se sont emparés en 1998 du « Black-Blanc-Beur » ils peuvent bien s’emparer du reste… J’ai beaucoup travaillé sur
le sujet en réalisant des documentaires : de Mussolini à Pinochet, en
passant par les pays de l’Est, les politiques ont toujours utilisé le
foot puisque c’est un sport de masse. Là, avec le cas du champion du
monde du Bayern Munich d’origine ghanéenne Jérôme Boateng, victime d’une
remarque raciste d’un responsable d’un parti populiste expliquant que
les Allemands « ne voudraient pas de lui comme voisin », il s’est
passé quoi ? Le fait que son parti soit minoritaire n’y change rien :
la politique se sert du sport. Bien sûr que le foot doit montrer
l’exemple : c’est un vecteur d’intégration extraordinaire. Zinédine
Zidane est devenu samedi le premier entraîneur français à remporter
la Ligue des champions après l’avoir gagnée comme joueur : il ouvrira
une voie.
Libé - Dernière critique vous ayant touché après l’interview du Guardian :
vous jouez avec le feu, appuyant là où ça fait mal aujourd’hui - les
communautarismes, en gros. Pourquoi fallait-il soulever le couvercle ?
C
- Parce que c’est la grandeur d’une démocratie. C’est sain. Que tout le
monde puisse m’écouter, que je puisse écouter tout le monde et que ça
concourt à une forme d’enrichissement mutuel.
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