vendredi 3 juin 2016

Cantona Président ?

cantona.jpgGilles Devers         

L’Euro 2016 va être la grande fête du foot-ball, autant dire que ça craint vu les miasmes que nous apporte le divin foot ces derniers années : 

...corruption, fraude fiscale, racisme au cri de singe, prostitution, salaires de malades, violence sur les arbitres, matches truqués, dopage, supporteurs fachos, escroqueries en bande organisées, expropriations abusives pour des stades, coupes du monde faisandées, beuveries de supporters, octroi d’avantages indus pour un entraineur qui rompt son contrat et touche une prime, hooliganisme, jeu de dézingage entre chaines télé, machisme de cinglés pour ignorer le foot féminin… J’en passe, et autant vous dire que je me contrefiche du foot, enfin je veux dire de ce foot pourri par l’argent de la télé (ce qui laisse le reste intact, ou presque, vu le culte des idoles). Nous allons donc assister aux noces d’amour entre l’Euro 2016 et les mouvements sociaux, ce qui est assez inédit.
Dans ce contexte, voici la tonique interview de Cantona à Libé, Cantona qui, lui, a le cerveau branché. Le texte de Libé est ici, et c’est à mourir de rire car Libé multiplie les NDLR (notes de la rédaction) pour expliquer au lecteur – nécessairement débile – que Cantona, on le publie car ça buzze, mais attention je vous décrypte le Catona because he is a bad boy.

Ci-dessous, l’interview de Cantona, sans les NDLR.

Libé - La prise de parole de Karim Benzema vous a-t-elle étonné ?
C - Absolument pas. Je remarque que tout comme moi, il n’a accusé à aucun moment Deschamps de racisme. Mais il dit qu’il a cédé à la pression de l’opinion publique, une pression qui se traduit en termes d’ambiance et de posture politique. Et je remarque aussi que Benzema a été victime de raccourcis incroyables, du type «Benzema dit que Deschamps est raciste». Comme ça, on évite de poser les questions.
Libé - Trouvez-vous que Karim Benzema a eu un certain courage ?
C - Oui, parce qu’il est toujours en activité et qu’il est sélectionnable chez les Bleus. Non, parce qu’il est normal qu’il s’exprime et agisse comme un citoyen français avant de se penser comme un joueur. Un citoyen qui répond à la problématique suivante : comment barrer la route aux extrêmes ?
Libé - La question peut vous paraître étrange, mais vous sentez-vous redevable d’une forme de solidarité envers des joueurs d’une dimension comparable à celle que vous aviez quand vous étiez sur les terrains ?
C - Je parle comme un citoyen. Après, il est clair que si on m’enlève un joueur comme Benzema, on me prive d’une partie du plaisir. Je trouve ça injuste, ce qui m’incite à me poser des questions.
Libé - Avez-vous été surpris de l’ampleur de la polémique qui a suivi votre interview au Guardian ?
C - Je ne m’attends à rien. Et puis je m’en tape, très sincèrement. Après, je sais que l’on vit une époque où ce genre de chose monte très vite et très fort, ça dure vingt-quatre heures, parfois quarante-huit, durant lesquelles les abrutis s’expriment. Après ils oublient, ils passent à autre chose, et c’est le moment où la réflexion entre en jeu.
Moi, j’adore que l’on me mette en situation de me poser des questions. C’est la fonction de l’art et l’art me nourrit. Ça permet de susciter, de déclencher, d’apprendre aussi.
Libé - Quel était le sens de votre comparaison entre Deschamps et les mormons ?
C - Mais pourquoi a-t-on parlé d’insulte ? Pourquoi ai-je lu ensuite que les mormons étaient consanguins ? Comme si j’accusais Deschamps d’être consanguin ! Ils sont 14 millions dans le monde, le mormonisme est reconnu comme une religion, pas comme une secte. Et pour ceux qui l’ignorent, de nombreux Noirs en sont membres, de grands hommes d’affaires, des sportifs, des scientifiques, des artistes… Quand on insinue que je suis raciste et antifrançais quand je compare Deschamps à un mormon, on insulte les mormons et on fait preuve de discrimination envers eux ! J’ai juste dit qu’une grande majorité de mormons se mariaient entre eux par conservatisme : beaucoup d’autres religions sont dans ce cas-là, la religion catholique par exemple.
Autre chose : j’ai lu et entendu que j’étais anti-français parce que j’ai plaisanté sur le fait que Deschamps a un nom français pouvant venir de plusieurs générations. Mais Karim Benzema, c’est un nom français aussi. À consonance maghrébine, oui, et vous conviendrez avec moi que ça ne change rien au fait qu’il soit français. Hatem Ben Arfa, que j’ai défendu dans le Guardianc’est un nom français également. Mais alors, pourquoi ne dit-on nulle part que je suis pro-français ? Par définition, les Français d’origine maghrébine ont un nom français. Donc, Deschamps, Benzema et Ben Arfa ont des noms français, les origines des deux derniers ne devant en aucun cas les desservir dans un contexte politico-social particulier. J’attaquerai en justice tous ceux qui ont tenus des propos mensongers et insultants à mon égard.
Libé - La fédération a qualifié vos propos de «stupides», qu’est-ce que vous…
C. (Il coupe) Ils se sont servis de moi pour effacer l’ardoise et cette ardoise, c’est l’affaire des quotas. Ça leur permet d’éloigner ce souvenir dans l’esprit des gens. Des joueurs d’origine maghrébine, il y en a, là on parle terrain, c’est le plus souvent objectif.
En dehors, en revanche, c’est subjectif : les dirigeants d’origine maghrébine ou d’Afrique noire, ils sont où ? Et les entraîneurs de Ligue 1 d’origine maghrébine ? Alors que ce sont eux qui forment les gamins ! Ils sont assez forts et compétents pour s’occuper des jeunes joueurs, et ils ne le sont plus quand ces mêmes joueurs passent professionnels ?
Libé - Concernant Benzema, Didier Deschamps n’a jamais prétendu avoir pris une décision sportive : il est mis en examen dans une tentative de chantage visant un coéquipier, tentative présumée qui a de plus eu lieu dans le cadre d’un rassemblement des Bleus à Clairefontaine. N’acceptez-vous pas cette justification ?
C - Je dirais que c’est une possibilité. Qui ne me retire pas le droit de m’interroger. La FFF est sous tutelle du ministère des Sports et deux membres du gouvernement, le ministre des Sports Patrick Kanner et le Premier ministre Manuel Valls, ont publiquement réclamé la mise à l’écart de Benzema durant l’Euro. Ces éléments sont suffisants pour émettre un doute sur l’indépendance des choix du monde sportif rapport à la politique.
Libé - Si l’on remonte votre raisonnement un cran plus loin, vous soupçonnez Valls ou Kanner de calcul politique par rapport aux origines de Karim Benzema…
C - Là encore, je n’affirme rien. Je pose la question. La suspension de Benzema en équipe de France est tombée le 10 décembre, entre les deux tours des élections régionales. Depuis les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les choses ont changé, l’ambiance a changé, le regard que l’on porte sur la communauté d’origine maghrébine a changé. On mélange tout, on parle de déchéance de nationalité, les assignations à résidence pleuvent. On vit une période où on sanctionne une communauté… ou plutôt une période où on a envie de la sanctionner. Pour en revenir à Benzema, il est présumé innocent. S’il est lavé de tout soupçon cet automne, il aura manqué l’Euro quand même. Quant à Ben Arfa, il n’est coupable de rien. Sauf d’être l’un des deux ou trois meilleurs joueurs français.
Libé - Oui, mais Deschamps est sélectionneur, il est libre de choisir qui il veut…
C - Bien sûr. Après, vous croyez qu’il peut dire autre chose que « j’ai suivi des nécessités sportives, etc... » ? J’ai quand même le droit de me poser des questions. Tenez, il paraît qu’il va m’attaquer en justice. C’est bien la première fois qu’il passera d’une position défensive à une position offensive, il verra si c’est si facile… Avec son agent et son avocat, ils ne seront pas trop de trois pour réfléchir et distinguer ce qui relève de la diffamation du fait de mettre le problème sur la place publique. Ça n’a rien à voir, mais puisqu’on parle de son agent, je tiens à dire que ce même agent s’occupe aussi des intérêts de certains joueurs. Vous trouvez ça normal ? Quand on dirige une fédération, on écarte tout soupçon, me semble-t-il.
Libé - On vous a prêté l’intention de régler des comptes anciens avec Didier Deschamps…
C - Je n’ai de comptes à régler avec personne. Je parle d’une chose, et ensuite je parle d’une autre. Quand je m’attaque aux banques en demandant aux gens de retirer leur argent, je n’ai aucun compte à régler avec les banques.
Libé - Le football ne doit-il pas être protégé d’enjeux aussi lourds que les communautarismes ? Doit-il, à l’inverse, être utilisé pour montrer l’exemple, quitte à entrer sur un terrain que ses acteurs maîtrisent mal ?
C - En France, les politiques se sont emparés en 1998 du « Black-Blanc-Beur »  ils peuvent bien s’emparer du reste… J’ai beaucoup travaillé sur le sujet en réalisant des documentaires : de Mussolini à Pinochet, en passant par les pays de l’Est, les politiques ont toujours utilisé le foot puisque c’est un sport de masse. Là, avec le cas du champion du monde du Bayern Munich d’origine ghanéenne Jérôme Boateng, victime d’une remarque raciste d’un responsable d’un parti populiste expliquant que les Allemands « ne voudraient pas de lui comme voisin », il s’est passé quoi ? Le fait que son parti soit minoritaire n’y change rien : la politique se sert du sport. Bien sûr que le foot doit montrer l’exemple : c’est un vecteur d’intégration extraordinaire. Zinédine Zidane est devenu samedi le premier entraîneur français à remporter la Ligue des champions après l’avoir gagnée comme joueur : il ouvrira une voie.
Libé - Dernière critique vous ayant touché après l’interview du Guardian : vous jouez avec le feu, appuyant là où ça fait mal aujourd’hui - les communautarismes, en gros. Pourquoi fallait-il soulever le couvercle ?
C - Parce que c’est la grandeur d’une démocratie. C’est sain. Que tout le monde puisse m’écouter, que je puisse écouter tout le monde et que ça concourt à une forme d’enrichissement mutuel.


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