lundi 20 juin 2016

Israël. « Ce n’est pas la campagne BDS qui est criminelle »

1427525143Gidéon Levy             

La lutte contre le mouvement pour boycotter Israël (BDS – Boycott, désinvestissement, sanctions) a atteint en Israël un niveau inédit – celui de la criminalisation.

À partir de maintenant il ne s’agit pas simplement d’une campagne de propagande contre BDS (qui ne fait d’ailleurs que le renforcer), ni de l’attitude habituelle qui consiste à se poser en victime, ni même des bobards colonialistes prétendant que le boycott fait du tort aux travailleurs palestiniens. Il ne s’agit même plus d’une diabolisation, qui implique d’accuser les partisans du boycott d’antisémitisme, soit la mère de toutes les accusations.
Non, maintenant le boycott est devenu un crime. C’est devenu un crime de boycotter le criminel [l’Etat colonisateur]. C’est un crime d’éviter d’acheter des denrées produites dans des territoires du crime. C’est un crime d’éviter de soutenir une fabrique de crime. C’est un crime de lutter contre les violations du droit international.
Le puissant travail du lobby juif-israélien est en train de marquer des points. Le feu vert a été donné par la Cour suprême en France, qui, l’année dernière, a jugé – cela paraît incroyable – que le fait de boycotter Israël était un « crime de haine » [1]. Ce ne sont donc ni les colonies ni les exécutions aux check-points, ni la violence des colons ni les arrestations de masse qui sont un crime. Non, c’est le fait de les boycotter qui constitue un crime.
Les Etats-Unis ne sont bien sûr pas à la traîne. Ils ne manquent jamais une opportunité de cultiver, de financer et d’encourager l’occupation. Vingt Etats ont promulgué – ou sont sur le point de le faire – des amendements contre le boycott d’Israël. Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, a même été jusqu’à annoncer cette semaine qu’il avait signé un décret administratif stipulant que son Etat boycottera toute organisation ou compagnie qui oserait participer au boycott. « Nous voulons qu’Israël sache que nous sommes de son côté », a déclaré ce pseudo-ami d’Israël lors d’une conférence juive à Manhattan. Dans un tweet il clarifie: « Si vous boycottez Israël, New York vous boycottera ».
Merci New York ! Merci monsieur le gouverneur ! Votre action a prouvé que New York était du côté des occupants, du côté du crime. Une fois de plus vous avez prouvé à quel point les Etats-Unis sont indignes de porter le titre de « leader du monde libre ». Une fois de plus vous avez prouvé que, lorsqu’il s’agit d’Israël, toutes les valeurs que vous préconisez sont du coup déformées. Qui peut imaginer qu’un décret de ce genre aurait pu être publié contre le mouvement international anti-apartheid en Afrique du Sud ? Qui peut imaginer une criminalisation des sanctions contre la Russie suite à son invasion de la Crimée ?
On peut ne pas soutenir le boycott, on peut aussi ne pas croire à son efficacité. Mais il faut admettre qu’on ne peut pas être une personne dotée de conscience et acheter des produits des colonies. Au même titre où des personnes soucieuses de respecter la loi n’achèteraient pas des produits volés doivent de même éviter d’acheter des biens produits sur des terres volées et tenter de dissuader les gens de le faire. On a le droit d’encourager les gens à boycotter de tels produits. Mais c’est très difficile, car il est devenu impossible d’établir une distinction claire entre les colonies et Israël, ce qui a estompé la Ligne verte [établie par l’Etat Israélien après 1967].
Israël est totalement investi dans l’entreprise d’occupation, au point qu’il est devenu impossible de distinguer entre l’Etat d’Israël et l’occupation. Quelle banque israélienne n’a pas des comptes en Cisjordanie ? Quelle structure de santé n’a pas une branche à Ariel [colonie établie en Cisjordanie] ? Quelle chaîne de supermarchés n’a pas des filiales desservant les colons ?
Même ceux qui ne croient pas au boycott ou qui pensent qu’il y a de meilleures manières de combattre l’occupation (lesquelles ?) ne doivent pas se joindre à cette entreprise dévastatrice de criminalisation. Le boycott est un moyen légitime, non-violent, qui a été – et est encore – utilisé par de nombreux Etats, y compris par Israël.
En effet, que sont les sanctions internationales contre Hamas, encouragées par Israël, sinon un boycott ? Et qu’en est-il des mesures contre l’Iran ? Est-ce qu’Israël n’a pas également violé la loi internationale ? Les propagandistes israéliens se délectent des réussites contre BDS. La semaine passée, le commandant de ce combat, l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations Unies, Danny Danon, a tenu une conférence propagandiste dans le bâtiment de l’ONU, où ses efforts visaient à briefer quelque 1500 étudiants juifs crédules en récitant : « Chaque deuxième mot qui sort de vos bouches doit être “paix” ».

Cela est bien sûr très émouvant. Mais l’heure de vérité arrivera et alors tous ceux qui ont agi pour criminaliser le boycott devront répondre honnêtement à quelques questions : Qui est le criminel ici ? Quel est le véritable crime, et qu’avez-vous entrepris pour lutter contre ce crime ?

Note

[1] Selon l’article du Monde du 6 novembre 2015 : « Pour la haute juridiction française, cela est néanmoins constitutif du délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée » (article 24 alinéa 8 de la loi sur la presse).» (Réd. A l’Encontre)

Article publié dans le quotidien Haaretz, le 9 juin 2016.
Traduction : À l’Encontre

alencontre.org

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