Cinquante-huit députés, très
majoritairement de gauche, réagissent à l'utilisation du 49-3 par le
gouvernement pour faire passer la loi Travail en force en dernière
lecture à l'Assemblée. "On aurait tort de croire le débat clos avec
l’adoption de la loi Travail. Il ne fait au contraire que commencer.
Nous y prendrons toute notre part", avertissent-ils.
Voici la tribune des 58 députés : "Ce mercredi 20 juillet, la loi Travail a donc été définitivement adoptée.
Au cœur de l’été, il ne faut pas lâcher,mais continuer à dire pourquoi
ce fut le moment le plus insupportable de ce quinquennat pour qui ne se
résigne pas à la dégradation des droits des salariés français et au déni
de démocratie.
Avec cette loi, le code du Travail
sera plus complexe, et moins favorable aux salariés. Cette loi ne
modernise pas, elle réduit les protections. Et derrière le motif
légitime de favoriser la négociation sociale, en réalité elle fragilise
les travailleurs et affaiblit la démocratie dans l’entreprise. Elle est
adoptée sans dialogue et négociations apaisés avec les partenaires
sociaux.
Sans le soutien des citoyennes et des
citoyens, qui continuent très majoritairement à rejeter un texte aux
antipodes des engagements pris par la majorité pour laquelle ils ont
voté en 2012. Sans un débat parlementaire à la hauteur des
cinquante-deux articles et des nombreux thèmes abordés dans ce projet de
loi, visant à terme la réécriture de l'ensemble de la partie
législative du Code du Travail. Sans même un vote des députés, sur
chaque article ou sur l'ensemble du texte.
"Jamais nous n'aurions imaginé vivre une telle situation"
Mais bien après plusieurs mois de tensions sociales sans précédents pour un gouvernement issu de la gauche, par le biais d'un recours au 49-3,
outil quasi-imparable de verrouillage et de chantage constitutionnel.
Et sans plus de quelques heures de débat dans l'hémicycle de l'Assemblée
nationale, désormais devenu un théâtre d’ombres. Jamais nous n'aurions
imaginé vivre au cours de ce quinquennat une telle situation, tellement
contraire aux valeurs et à l'histoire de la gauche. Elle nourrit la
colère du peuple, et donne des arguments à ceux qui s’emploient à
dévitaliser la démocratie.
Nous, parlementaires
avons à chaque étape décidé de nous mobiliser, pour être à la hauteur de
notre responsabilité : celle d'incarner le pouvoir de faire la loi en
accord avec le mandat que nous a confié le peuple. Nous n'avons cessé de
dénoncer les dangers de ce texte, en considérant que ses quelques
points positifs ne pouvaient servir de prétexte à justifier ses reculs
considérables. Nous avons en permanence recherché et organisé le
dialogue, avec toutes les organisations syndicales, sans ostracisme ni
stigmatisation; relayé les propositions et alternatives; et jusqu'au
bout, œuvré à une sortie de crise, pourtant à portée de main.
"Le gouvernement a fait fi de toutes les oppositions"
Enfin, par deux fois, face au passage en force de l'exécutif sur ce texte fondamental, il a été tenté de déposer une motion de censure de gauche, démocrate et écologiste
: il était de notre responsabilité de députés de la Nation de ne pas
rester sans réaction face à cette situation. Nous le devions à celles et
ceux qui pendant des mois se sont mobilisés par millions.
La
voie autoritaire, aura permis au Président de la République et au
Gouvernement de faire fi de toutes les oppositions, pourtant
majoritaires dans le pays, de toutes les mobilisations, qu'elles soient
citoyennes, syndicales, parlementaires. Mais à quel prix? Au nom de quel
idéal, pour servir quel projet de société? Avec quelles conséquences
pour le pays?
"On altère une nouvelle fois la confiance du peuple"
Comment
ne pas voir, à l'heure où notre société traverse une crise démocratique
majeure, que faire adopter sans vote, par le 49-3 utilisé à deux
reprises, un tel projet de loi, concernant la vie quotidienne de
millions de nos concitoyens, risque d'accroître ce fossé entre citoyens
et gouvernants que nous prétendons tous combattre? Comment ne pas
comprendre, six mois après des débats délétères sur la déchéance de nationalité,
que l'on altère une nouvelle fois la confiance du peuple, en imposant
un texte dont les dispositions vont à rebours des positions toujours
défendues en matière de droit du Travail ? Pourquoi faire le choix de
diviser un pays pour faire passer à tout prix un texte qui de l’avis
même de ses concepteurs n'aura pas d'impact direct sur les créations
d'emplois? Pourquoi imposer des mesures qui aggraveront les logiques de
dumping social entre les entreprises, affaibliront le pouvoir d’achat
des salariés à travers les baisses de rémunération des heures
supplémentaires, et faciliteront les licenciements économiques, ou même
réduiront les missions de la médecine du travail?
Le
Président de la République et le gouvernement devront longtemps faire
face à ces questions. Car cette méthode autoritaire n'éteindra jamais le
débat de fond. Pire, elle est toujours contre-productive, par les
ressentiments qu'elle génère.
Pour notre part,
nous ne renonçons pas à porter la voix des citoyens mobilisés pour
défendre leurs droits, leurs convictions, leur vision de la société et
du monde du travail. Et surtout, nous ne renonçons pas à affirmer
d’autres choix. Pour adapter le droit du travail aux défis du 21e siècle
et aux mutations de l’économie, en le rendant plus protecteur pour les
salariés, en dressant ainsi une véritable barrière contre le dumping
social au sein de l’économie française ; en renforçant le dialogue
social, le rôle des organisations syndicales, et la place des salariés
dans les organes de décision des entreprises ; en renouant avec une
démarche de partage juste et choisi du temps de travail, levier d’une
lutte efficace contre le chômage; en se donnant tous les moyens de
dessiner effectivement les conquêtes sociales de demain, avec au premier
rang la sécurité sociale professionnelle.
Un code
moderne et vraiment protecteur des salariés est possible. Il doit
s’inspirer des leçons de l’Histoire et affronter les mutations du
salariat. Nous retrouverons ainsi le chemin des réformes qui marquent
utilement leur époque. On aurait tort de croire le débat clos avec
l’adoption de la loi Travail. Il ne fait au contraire que commencer.
Nous y prendrons toute notre part."
Laurence
Abeille, Brigitte Allain, Pouria Amirshahi, François Asensi, Isabelle
Attard, Danielle Auroi, Philippe Baumel, Laurent Baumel, Huguette Bello,
Jean-Pierre Blazy, Michèle Bonneton, Alain Bocquet, Kheira Bouziane,
Isabelle Bruneau, Marie-George Buffet, Jean-Jacques Candelier, Fanélie
Carrey-Conte, Patrice Carvalho, Nathalie Chabanne, Gaby Charroux, André
Chassaigne, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Sergio Coronado, Marc
Dolez, Cécile Duflot, Hervé Feron, Aurélie Filippetti, Jacqueline
Fraysse, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Linda Gourjade, Edith
Gueugneau, Benoît Hamon, Mathieu Hanotin, Christian Hutin, Romain Joron,
Régis Juanico, Jérôme Lambert, Jean Lassalle, Christophe Léonard,
Jean-Luc Laurent, Noël Mamère, Alfred Marie-Jeanne, Jean-Philippe Nilor,
Philippe Noguès, Christian Paul, Michel Pouzol, Patrice Prat, Barbara
Romagnan, Jean-Louis Roumegas, Nicolas Sansu, Eva Sas, Gérard Sebaoun,
Suzanne Tallard, Thomas Thévenoud, Michel Vergnier, Paola Zanetti
(Les intertitres sont de la rédaction)
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