Comme tout le monde j’ai eu un haut le cœur en apprenant que monsieur
Barroso embauchait à Goldman Sachs. Rarement le système oligarchique
européen se sera donné à voir avec autant d’impudence. On le reconnaît
jusque dans les milieux les plus raisonnables.
Le PS et ses ministres en
font même une crise de gauchite aigue avec cris et fièvre. Notons que
nul de ceux-là n’avaient mot à dire quand l’Europe a embauché l’actuel
Président de la banque centrale européenne, monsieur Mario Draghi, qui
était pourtant le représentant pour l’Europe de cette banque à l’époque
où celle-ci conseillait le gouvernement grec pour maquiller ses comptes.
J’ai lu que des naïfs espéraient que Monsieur Barroso respecterait
l’obligation de secret qui est la sienne après son passage à la
présidence de la Commission européenne, parait-il. Naïveté ? Pure
stupidité ? Ou cynisme total ? Monsieur Barroso a été embauché pour
l’unique raison qu’il est l’ancien président de la Commission et en cela
apte à conseiller la banque sur la base de sa connaissance du domaine,
les secrets étant bien évidemment inclus.
En fait, je crois que l’homme ne doit pas vraiment intéresser cette
banque qui a les moyens de se payer les spécialistes dont elle a besoin.
Ce qui doit les intéresser, c’est l’affichage de puissance que cela
donne de pouvoir avoir dans son personnel l’ancien président de la
Commission. Surtout quand plus d’un établissement bancaire se demande
comment gérer le Brexit de la City. La Goldman Sachs a besoin de rouler
les mécaniques. Les banques en Europe ne sont pas si vaillantes qu’il y
parait. Les signes faisant craindre un crash bancaire européen se
multiplient. Et ce n’est pas d’aujourd’hui. Leur capitalisation a baissé
comme l’eau dans un évier. La Deutsche Bank estime que les banques
européennes ont un besoin urgent de liquidités : 150 milliards d’euros
pour boucher le trou. La Deutsche Bank en appelle même à l’Union
européenne, alors que cette dernière se refuse par principe à toute
intervention et renflouement. Pour une banque allemande, c’est un comble.
Le comique de la situation, c’est que la crise bancaire résulte de
l’étranglement de l’économie réelle dont les banques sont responsables à
la fois du fait de leur crise de 2008, et des politiques d’austérité
qu’elles réclament et qui contractent la demande. Dans ce registre, je
note que les cris de la Deutsche Bank confirment ma thèse sur le
caractère trompeur de la stabilité du prétendu modèle allemand. J’avais
écrit dans mon livre « Le Hareng de Bismarck »
que les banques allemandes en particulier étaient parmi les plus
fragiles. L’actualité le confirme. Le cours de Deutsche Bank s’est
effondré de 48% en un an. Bravo le modèle allemand ! On aurait tort d’en
rire, même si les donneurs de leçon le méritent. Car la Deutsche Bank
est la troisième banque européenne du point de vue de ses actifs. Elle
est spécialement mal gérée. Au point que le FMI l’a identifiée comme une
« menace majeure pour le système financier mondial ».
En lisant sur ce sujet j’ai trouvé au hasard d’un article un
pronostic très pessimiste d’un banquier qui nous intéresse. Il s’agit de
monsieur Lorenzo Bini Smaghi, et ancien administrateur de la Banque
Centrale Européenne. Pour lui, le secteur bancaire européen « est
gravement malade et doit s’attaquer à ses problèmes très rapidement,
sinon on court à la catastrophe. Je ne suis pas un prophète de malheur,
je suis juste réaliste», a prévenu le monsieur. Si ce réalisme m’a
frappé, c’est que l’homme qui parle est aujourd’hui un cadre
d’état-major de la Société Générale. Bonne occasion de revenir sur notre
contribution aux malheurs de cette entreprise. Vous avez été plus de
cent mille à signer la pétition
dont j’ai pris l’initiative pour faire rendre gorge a cette banque qui
doit 2 milliards aux contribuables français à la suite de l’affaire
Kerviel. Je m’amuse quand je vois les journalistes qui sautent sur le
moindre ragot contre moi se taire avec zèle sur ce genre d’initiative.
Il est vrai que… enfin bon !
Je reviens donc sur cette affaire. En 2008, la Société Générale a
bénéficié d’une « ristourne fiscale » de 2,2 milliards d’euros, accordée
par Christine Lagarde, ministre de Nicolas Sarkozy. Pourquoi ? Parce
que la banque avait annoncé avoir perdu 4,9 milliards d’euros sur les
marchés financiers « à cause » de son trader Jérôme Kerviel. La loi
prévoit en effet ce type d’indemnisation pour les entreprises
financières en cas de perte exceptionnelle, à condition que les
contrôles internes n’aient pas failli. Or, les contrôles ont failli. Ce
n’est pas moi qui le dis mais la Commission bancaire qui a condamné la
Société Générale pour ses contrôles internes défaillants et ses
manquements aux règlements de la profession à une amende de 4 millions
d’euros. J’ajoute de surcroît que la banque n’a jamais prouvé le montant
de sa perte et que celle-ci n’a jamais été évaluée par un expert
indépendant. J’ajoute encore qu’elle n’a pas non plus prouvé la
culpabilité de Jérôme Kerviel ; le tribunal des Prud’homme a d’ailleurs
affirmé le 7 juin dernier qu’il avait été licencié « sans cause réelle et sérieuse ».
La cour de cassation a annulé en 2014 les dommages et intérêts demandés
à Jérôme Kerviel au motif que la responsabilité de la banque n’avait
pas été prise en compte. En juin dernier, le réquisitoire du procureur
de la république à la cour d’appel de Versailles a établi que la banque
n’avait aucun droit à réparation du fait de sa connaissance des
activités dont elle s’est ensuite prétendue victime.
Depuis, un nouvel élément vient d’être révélé le 1er juillet dernier à l’issue d’une enquête menée par Médiapart, 20 Minutes et France Inter :
un rapport daté de mai 2008 affirme que la remise fiscale faite à la
Société Générale n’allait pas de soi et que le fisc aurait dû mener une
enquête complémentaire. Pourtant, ce rapport a mystérieusement disparu.
Pour cause : il a été broyé, comme le révèle Médiapart. Quels intérêts ont pu mener à sa disparition alors qu’il apparaît aujourd’hui comme une pièce accablant la banque ?
Depuis juin 2013, j’alerte. Quoi que ma prise de position ait à l’époque soulevé une certaine incompréhension, j’affirmais que Jérôme Kerviel était innocent
et que l’acharnement de la banque à le faire condamner reposait dans
une large mesure sur l’acquisition de cette ristourne fiscale.
J’écrivais : « Pourquoi ce dédommagement a–t-il été versé alors que
le défaut de surveillance de la banque sur son employé est attesté par
l’organisme professionnel bancaire qui en est chargé, ce qui interdisait
tout dédommagement de la part de l’Etat ? ».
François Hollande lui-même, à l’époque premier secrétaire du PS, affirmait en 2010 : « On
apprend que finalement la Société Générale va se faire rembourser.
Comment admettre que lorsqu’une banque fait une erreur, ce soit le
contribuable qui paye ? ». Il est aujourd’hui président de la
République.
Pourquoi ne demande-t-il pas au ministre des Finances,
Michel Sapin, de lancer une enquête de l’administration fiscale ? Oui ou
non, la Société Générale a-t-elle indûment touché 2,2 milliards d’euros
de ristourne fiscale, c’est à dire d’argent public ? Oui ou non, ce
sont nos impôts qui ont couvert les pertes de la banque et ses erreurs
de gestion ? C’est ce qu’il faut savoir. Et, le cas échéant, récupérer
notre argent.
Jean-Luc Mélenchon
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