Environ 300 000 Palestiniens ont la citoyenneté israélienne mais vivent
encore comme des « réfugiés internes » au sein des frontières d’Israël.
Je suis retournée à Haïfa il y a deux
semaines et j’ai immédiatement été attirée vers le quartier palestinien
abandonné de Wadi Salib, situé entre le quartier animé de Hadar et le
port de Haïfa. À Wadi Salib, la vie s’efface.
Les habitants de la région ont été chassés par la guerre de 1948 – la
Nakba (« catastrophe ») selon les Palestiniens – et ne furent jamais
autorisés à revenir. La repopulation de la zone avec des juifs mizrahim
dans les années 1950 a lamentablement échoué et, depuis, Wadi Salib a
été abandonné à son sort.
Des plans actuels pour ranimer la région ont cependant commencé à
prendre forme. La création d’un bureau pour les soldats démobilisés à
l’une des entrées de Wadi Salib, juste à côté de l’ancien cimetière, est
l’une des grandes ironies d’Israël et de ses rapports avec son
histoire.
La question des réfugiés palestiniens s’est posée suite à la Nakba de
1948 et l’expulsion par les forces juives de 750 000 citoyens arabes de
la Palestine mandataire. Cependant, au cours de cette même guerre, un
deuxième groupe de personnes déplacées a été créé, lequel a largement
échappé à l’attention du public. Ce groupe était composé d’environ 25
000 Palestiniens qui ont été déplacés à l’intérieur du pays pendant la
guerre de 1948. Ils ont été contraints de quitter leurs foyers, mais ont
réussi à rester dans les frontières de l’État nouvellement créé
d’Israël. Après la guerre, ils ont été empêchés de rentrer chez eux. Ce
groupe de personnes est souvent désigné comme « réfugiés internes » ou
« Palestiniens déplacés internes (PDI) » et représente environ un quart
de la communauté palestinienne en Israël aujourd’hui.
Ces déplacés internes, estimés à environ 300 000 personnes, entrent
dans une catégorie différente des Palestiniens non déplacés de
nationalité israélienne parce qu’ils ont un passé distinct qui est
connecté à un ensemble unique de revendications. Dans le même temps, ils
ne doivent pas non plus être traités comme des réfugiés palestiniens
car ils sont le seul groupe de Palestiniens déplacés à avoir reçu la
citoyenneté israélienne.
De toute évidence, les déplacés internes constituent « une minorité
au sein d’une minorité ». Un équilibre sain devrait être recherché
entre, d’une part, insister sur leur caractère unique et aborder les
injustices qui ont été commises à leur égard et, d’autre part, placer
leur lutte au sein de la lutte de la communauté palestinienne dans son
ensemble.
En fin de compte, aliéner une communauté palestinienne par rapport à
une autre sur la base de l’unicité de son sort ne fera pas avancer, mais
entravera plutôt, la lutte pour la justice que partagent tous les
Palestiniens.
Racines historiques et implications
Tout de suite après la cessation des combats en 1948, Israël a imposé
la loi martiale à l’ensemble de la population palestinienne demeurant à
l’intérieur d’Israël. Cette loi est restée en place jusqu’en 1966 et
restreignait drastiquement la circulation des Palestiniens et les
activités collectives. Parmi les autres mesures prises par les autorités
israéliennes pour empêcher le retour des déplacés internes figurent la
déclaration de villages abandonnés comme zones militaires, la
repopulation des villages abandonnés par des colons juifs, la
destruction des maisons restantes ou la plantation d’arbres et le
changement de nom de ces villages pour enfouir leur passé.
À la fin de la guerre de 1948, 167 villages palestiniens dans le nord
étaient abandonnés ou détruits. Sur les 70 villages restants, 47 ont
accueilli les 25 000 déplacés internes venant de 44 villages au total.
Tandis que les Palestiniens des villages d’accueil étaient généralement
très réceptifs envers les personnes cherchant refuge dans leurs
villages, quand il est lentement devenu évident qu’un retour rapide des
personnes déplacées était impossible, des tensions sont apparues dans
les villages d’accueil.
Hormis la situation économique discriminatoire à l’égard des
Palestiniens, tant locaux que déplacés, par rapport aux citoyens
israéliens juifs, les déplacés internes constituent véritablement une
communauté distincte au sein de leurs villages d’accueil.
Premièrement, les communautés déplacées se sont installées dans des
quartiers distincts ou en marge des villages d’accueil. Restant dans les
limites étroites de leur communauté familiale et villageoise étendue,
les Palestiniens déplacés ont cherché à conserver leur identité en tant
que communauté originaire d’un autre endroit et désirant y retourner.
Dans le même temps, cette séparation géographique a empêché la véritable
intégration des personnes déplacées au sein des communautés locales.
Deuxièmement, les communautés déplacées, ainsi que les zones dans
lesquelles ils ont emménagé, ont été renommées d’après le village d’où
ils étaient originaires. Par exemple, les Palestiniens déplacés du
village Mi’ar vivent dans des quartiers appelés Mi’ari dans leurs
villages d’accueil. L’existence de quartiers appelés Mi’ari dans
plusieurs villages d’accueil suggère que les personnes déplacées
originaires de ce village s’identifieraient plutôt avec d’autres
quartiers Mi’ari qu’avec la communauté de leur village d’accueil. Cette
politique consistant à renommer les lieux empêche une fois de plus
l’intégration totale des déplacés dans leurs villages d’accueil et
renforce leur identité distincte en tant que réfugiés internes.
Troisièmement, l’identité de ces déplacés internes se compose d’une
notion positive (« Je viens de là ») et d’une notion négative (« Je ne
suis pas d’ici »). Ces deux aspects de l’identité existent simultanément
et distinguent les déplacés internes de la communauté locale. Bien que
la notion positive puisse coexister avec une tentative d’intégration
dans le village d’accueil, la notion négative ne le peut pas car elle
met l’accent sur le caractère distinctif de la personne déplacée comme
appartenant à un autre endroit.
Chansons des dépossédés
Après une longue période d’absence presque totale de la lutte des
déplacés internes dans l’arène politique, ces derniers ont commencé à se
faire entendre dans les années 1990. En 1992, ils ont créé
l’Association pour la défense des droits des Palestiniens déplacés
internes (ADRID) comme forum représentatif, lequel fonctionne encore
aujourd’hui. L’objectif principal de l’association est la mise en œuvre
intégrale de la résolution 194 des Nations unies, qui comprend le droit
au retour des déplacés internes ou une compensation. En outre, l’ADRID a
souligné que les déplacés internes constituent un groupe unique au sein
de la communauté palestinienne générale car ils sont à la fois déplacés
et citoyens d’Israël.
On trouve une expression récente de cette identité de déplacés
internes parmi les jeunes militants du village déplacé d’Ikrit. En 2012,
des membres de la troisième génération de déplacés internes dont les
ancêtres ont été déplacés d’Ikrit sont retournés dans le village afin de
s’y réinstaller. Lorsque cette tentative a échoué et que les jeunes ont
été expulsés de force deux ans plus tard, ils ont trouvé une autre
façon d’exprimer leur lien avec leur foyer familial inaccessible : ils
ont produit un album avec une musique faite de sons du village et des
paroles sur le village. Dans son ensemble, cet album est un témoignage
unique et puissant de l’identité de la génération actuelle de déplacés
internes qui désire rentrer.
Malgré tout cela, Israël a toujours nié que les déplacés internes
aient une identité distincte au sein de la société israélienne. Le refus
d’Israël d’aborder séparément la question des déplacés internes est
délibérée et reflète la réticence de l’État à reconnaître l’existence de
ce problème au sein de ses frontières. Israël empêche également les
déplacés internes de retourner dans leurs foyers et, en même temps,
tente d’effacer le souvenir de leur vie antérieure, ainsi que leur
identité fortement tributaire de leurs villages.
En négligeant les déplacés internes et en niant leurs demandes de
retour, Israël passe à côté d’une chance unique de rétablir la justice
et, à la place, continue de prendre des mesures qui entraveront très
certainement toute négociation de paix à venir. Au lieu de saisir cette
occasion de détente, Israël est en train de faire exactement le
contraire : le déplacement interne de faible intensité en cours a été
une caractéristique distincte du traitement par Israël de ses citoyens
palestiniens au cours des 68 dernières années.
Alors que le retour physique de la plupart des déplacés internes
serait probablement possible, le cœur de cette question se situe, bien
entendu, dans la sphère idéologique.
La reconnaissance du droit au
retour des déplacés internes par Israël impliquerait la reconnaissance
des événements de 1948 dans leur intégralité, y compris le processus de
nettoyage ethnique qui a été mené intentionnellement. Une telle
reconnaissance est encore cependant un rêve appartenant à un avenir
lointain.
* Mona Bieling est une étudiante de troisième cycle
en histoire internationale à l’Institut universitaire de hautes études
internationales et du développement (IHEID) à Genève, en Suisse.
Photo : vue de Wadi Salib à Haïfa, le 5 mars 2011 (Hanay/Wikimedia).
Info Palestine
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