Curieux pays que la France.
Ses dirigeants tentent d’abattre depuis
cinq ans, par tous les moyens, le seul régime non confessionnel du
Moyen-Orient.
Ils livrent des armes aux djihadistes au nom de la
démocratie et des droits de l’homme.
Ils bombardent les populations
civiles en prétendant lutter contre le terrorisme qu’ils soutiennent par
ailleurs.
Ils distribuent des médailles honorifiques et vendent des
avions de chasse aux sponsors saoudiens de la terreur planétaire.
Mais
cette absurdité permanente de notre politique étrangère n’offusque
personne. Elle ne suscite dans les médias dominants que des débats
feutrés. Aucun mouvement de foule n’en dénonce la nocivité. Pour peu
elle passerait inaperçue, faisant place à d’autres préoccupations.
Car
ce ne sont pas les événements d’Alep qui passionnent les foules. Ces
affrontements exotiques, auxquels on ne comprend rien, n’intéressent
personne. Loin de nous, ils sont comme frappés d’insignifiance. Le vrai
sujet est ailleurs, son urgence saute aux yeux. Son extrême gravité nous
pétrifie d’angoisse. Le burkini ! Ce costume de bain ne devrait
provoquer, au pire, qu’un sourire narquois ou désabusé. Il ne devrait
susciter, au mieux, qu’une souveraine indifférence. Mais voilà qu’il se
transforme en casus belli pour estivants déchaînés, qu’il devient le
motif extravagant d’une bataille de parasols. Portée à l’incandescence
par l’atmosphère corse, la discorde frôle même le paroxysme, à coups de
jets de canettes et de fléchettes de harpon.
Aurait-on tort de ne
pas prendre au sérieux cette invraisemblable querelle ? Oui, nous
dit-on, car elle serait symboliquement décisive. Elle serait lourde de
signification implicite, grosse d’une menace existentielle. À croire
certains, elle s’élèverait même au rang du combat suprême pour la
défense de nos valeurs. Menacée de submersion, l’identité européenne
jouerait son va-tout dans cette rixe saisonnière aux relents de pastis.
Congédiant la pétanque et les épuisettes, elle reléguerait les passions
vacancières au magasin des accessoires. Alors que dans les piscines
allemandes on s’en moque, ce maudit vêtement émeut l’opinion, chez nous,
avec une singulière intensité.
On a parfaitement le droit, bien
sûr, de ne pas aimer cette tenue de bain pour ce qu’elle représente. Car
cette version balnéaire du voile intégral n’est pas étrangère à un
rigorisme qu’il est légitime de combattre sur le plan des idées. Mais la
vie en société implique aussi l’acceptation de la différence
culturelle. Dès lors qu’elle n’entrave la liberté de personne, une
pratique sociale, vestimentaire ou autre, ne peut faire l’objet d’une
interdiction que si elle déroge à un principe fondamental. Mais dans le
cas d’espèce, lequel ? On peine à le trouver. Et l’on interdit la
pratique des uns parce qu’elle ne plaît pas aux autres. Ce qui soulève
cette question : dans un Etat laïc, les prohibitions légales ont-elles
vocation à épouser les aversions subjectives des uns et des autres ?
Effet
collatéral du climat créé par les attentats, cette interdiction, en
réalité, renvoie sans le dire à la lutte contre le terrorisme. Que le
burkini entretienne un rapport de connivence implicite avec l’idéologie
wahhabite, au demeurant, n’est pas faux. Que cette idéologie soit la
matrice originelle du djihadisme non plus. Mais les femmes qui adoptent
cette tenue par conviction religieuse ne sont pas pour autant des
adeptes du terrorisme. Et le motif de l’interdiction, il faut le
reconnaître, demeure juridiquement faible, puisqu’on ne peut même pas
invoquer le fait que le visage est masqué, contrairement à la burqa.
Il
n’empêche que pour une partie de la population française, cet argument
est de peu de poids. À ses yeux, cette lutte symbolique est le baroud
d’honneur de l’Occident en proie aux barbares. La guerre du maillot
intégral, c’est le choc des civilisations mis à la portée des plagistes,
le grand frisson identitaire à l’heure de l’apéro aux olives. On croit
combattre le fanatisme en faisant la chasse au burkini, mais on ne
poursuit que des ombres, sans voir la diversion à laquelle on prête la
main.
Nourrie par des médias rapaces, cette bataille dérisoire, une fois
de plus, détourne de l’essentiel. Cette vaine dispute est un écran de
fumée dont des politiciens véreux font leur miel. Et elle montre notre
incapacité politique à prendre au sérieux l’islamisme radical pour mieux
le combattre.
Bruno Guigue, ancien
élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA, Haut fonctionnaire
d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie
dans l’enseignement secondaire, chargé de cours en relations
internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq
ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.
Arrêt sur Info
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire