mardi 2 août 2016

Saint-Étienne-du-Rouvray : le témoignage des religieuses est un trésor

75263_soeurs-religieuses-eglise-saint-etienne-rouvray-otages-terroristes.jpgGilles Devers            


Un document capital : Huguette Péron, Hélène Decaux, et Danielle Delafosse, les trois religieuses présentes dans l’église où a été assassiné le père Jacques Hamel, témoignent dans La Vie. Ces trois religieuses, des femmes d’expérience et de réflexion, ont vécu la scène du crime. Elles ont assisté à l’assassinat, puis ont parlé avec les criminels, et expliquent comment ils sont morts, sans armes face à la police.

Nous ne devrions parler que de ces témoignages, car enfin nous accédons à la connaissance des faits. Or on en parle à peine, et franchement, ça ne me surprend pas.
Notre esprit n’est pas organisé pour comprendre, je veux dire analyser, le crime. Nous n’avons ni les mots, ni les codes, ni le raisonnement : tout ce que nous avons en nous rejette le crime. Je ne veux pas dire que nous sommes des esprits purs, il y a des adorateurs perpétuels de la loi. Nous avons tous nos faiblesses, nos zones d’ombre, nos territoires sans référence, et cette amie confidente qu’est la facilité de la lâcheté. Donc la question n’est pas « glorieux ou pas glorieux », et bienvenue en zone grise, notre territoire commun. La question, c’est le crime. Le crime dénué de tout contexte, je veux dire l’acte criminel.
Une victime ne meurt pas du racisme, pas plus qu’elle n’est violée par les malheurs d’enfance de l’agresseur. Elle meurt d’un geste violent, et elle est violée par un sexe qui a pénétré le sien sans son consentement. L’acte criminel marqué par l’intention. Intention de tuer, de violer. Un temps, plus ou moins long, un être humain se convainc qu’il est assez supérieur à un autre pour le tuer ou le violer. C’est ça le crime, et c’est d’abord ça qui doit nous préoccuper. La question, c’est comment l’esprit humain peut-il se dérégler à ce point, c’est-à-dire pas pour se mettre une poubelle dans la tête, mais pour passer à l’acte, tuer ou violer ? En maintes occasions, le criminel aurait apprécié la compagnie de la victime, mais ce jour-là il la tue ou il la viole. Pourquoi ? Comment ?
Pour comprendre, il faut évidemment élargir le cercle, s’intéresser au contexte, à la psychologie de l’auteur, aux dérèglements sociaux qui ont fracassé sa pensée, peut être à la maladie. Cette extension de l’analyse est indispensable mais attention, l’acte criminel nous est tellement difficile à aborder que nous trouvons mille facilités pour échapper, zapper ou faire semblant d’en avoir parlé. Alors, gardons-nous de la facilité de nous passionner pour le contexte pour ne pas parler de l’acte criminel.
Les avocats qui pratiquent les assises connaissent cela parfaitement. Tant qu’on évoque les personnalités, les parcours de vie, le contexte, les contradictions des témoins, la psy, tout va bien, ou tout ne va pas si mal. Mais quand il faut entrer dans la scène du crime, décortiquer minute après minute le geste qui a tué ou qui a violé, s’installe une incroyable pesanteur. Il faut que les magistrats, l’accusé et la victime trouvent les mots pour décrire la scène du crime, pour dire le chemin de cette violence criminelle, et c’est une difficulté insondable, même pour des professionnels du droit, rodés par des années d’expérience. Et dès que l’on quitte ce point noir, ce terrifiant abîme, on trouve aussitôt le moyen pour se remettre à parler du reste, et le ton se détend.
Dans les réactions qui suivent les crimes terroristes, d’origine si diverse, qui ont bouleversé le pays, je vois aussitôt ce mécanisme du refus d’admettre le crime se mettre en place. On ne sait rien des faits, mais peu importe, il faut immédiatement parler, conceptualiser pour s’éloigner du crime. Anesthésistes de la scène criminelle, débarquent de tous côtés les ignorants phraseurs, qui ne savent rien mais parlent de tout. Le besoin de connaissance devrait conduire à ne rien dire que nous n’avons pas des descriptions crédibles de la scène criminelle, et de l’analyse des intentions.

Or, le barrage médiatique et politique est entier pour nous divertir de cette réflexion. Il s’agit de créer des contre-feux pour empêcher de réfléchir à l’acte criminel, et parce que cette réflexion est très difficile, tous les bonimenteurs, qui évitent cette réflexion, sont les bienvenus.  
Je n’en dis pas plus aujourd’hui.

Voici, le texte publié par La Vie... en cliquant sur Actualités du Droit


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