Un
document capital : Huguette Péron, Hélène Decaux, et Danielle
Delafosse, les trois religieuses présentes dans l’église où a été
assassiné le père Jacques Hamel, témoignent dans La Vie.
Ces trois religieuses, des femmes d’expérience et de réflexion, ont
vécu la scène du crime. Elles ont assisté à l’assassinat, puis ont parlé
avec les criminels, et expliquent comment ils sont morts, sans armes
face à la police.
Nous
ne devrions parler que de ces témoignages, car enfin nous accédons à la
connaissance des faits. Or on en parle à peine, et franchement, ça ne
me surprend pas.
Notre
esprit n’est pas organisé pour comprendre, je veux dire analyser, le
crime. Nous n’avons ni les mots, ni les codes, ni le raisonnement : tout
ce que nous avons en nous rejette le crime. Je ne veux pas dire que
nous sommes des esprits purs, il y a des adorateurs perpétuels de la
loi. Nous avons tous nos faiblesses, nos zones d’ombre, nos territoires
sans référence, et cette amie confidente qu’est la facilité de la
lâcheté. Donc la question n’est pas « glorieux ou pas glorieux », et
bienvenue en zone grise, notre territoire commun. La question, c’est le
crime. Le crime dénué de tout contexte, je veux dire l’acte criminel.
Une
victime ne meurt pas du racisme, pas plus qu’elle n’est violée par les
malheurs d’enfance de l’agresseur. Elle meurt d’un geste violent, et
elle est violée par un sexe qui a pénétré le sien sans son consentement.
L’acte criminel marqué par l’intention. Intention de tuer, de violer. Un
temps, plus ou moins long, un être humain se convainc qu’il est assez
supérieur à un autre pour le tuer ou le violer. C’est ça le crime, et
c’est d’abord ça qui doit nous préoccuper. La question, c’est comment
l’esprit humain peut-il se dérégler à ce point, c’est-à-dire pas pour se
mettre une poubelle dans la tête, mais pour passer à l’acte, tuer ou
violer ? En maintes occasions, le criminel aurait apprécié la compagnie
de la victime, mais ce jour-là il la tue ou il la viole. Pourquoi ?
Comment ?
Pour
comprendre, il faut évidemment élargir le cercle, s’intéresser au
contexte, à la psychologie de l’auteur, aux dérèglements sociaux qui ont
fracassé sa pensée, peut être à la maladie. Cette extension de
l’analyse est indispensable mais attention, l’acte criminel nous est
tellement difficile à aborder que nous trouvons mille facilités pour
échapper, zapper ou faire semblant d’en avoir parlé. Alors, gardons-nous
de la facilité de nous passionner pour le contexte pour ne pas parler
de l’acte criminel.
Les
avocats qui pratiquent les assises connaissent cela parfaitement. Tant
qu’on évoque les personnalités, les parcours de vie, le contexte, les
contradictions des témoins, la psy, tout va bien, ou tout ne va pas si
mal. Mais quand il faut entrer dans la scène du crime, décortiquer
minute après minute le geste qui a tué ou qui a violé, s’installe une
incroyable pesanteur. Il faut que les magistrats, l’accusé et la victime
trouvent les mots pour décrire la scène du crime, pour dire le chemin
de cette violence criminelle, et c’est une difficulté insondable, même
pour des professionnels du droit, rodés par des années d’expérience. Et
dès que l’on quitte ce point noir, ce terrifiant abîme, on trouve
aussitôt le moyen pour se remettre à parler du reste, et le ton se
détend.
Dans
les réactions qui suivent les crimes terroristes, d’origine si diverse,
qui ont bouleversé le pays, je vois aussitôt ce mécanisme du refus
d’admettre le crime se mettre en place. On ne sait rien des faits, mais
peu importe, il faut immédiatement parler, conceptualiser pour
s’éloigner du crime. Anesthésistes de la scène criminelle, débarquent de
tous côtés les ignorants phraseurs, qui ne savent rien mais parlent de
tout. Le besoin de connaissance devrait conduire à ne rien dire que nous
n’avons pas des descriptions crédibles de la scène criminelle, et de
l’analyse des intentions.
Or, le barrage médiatique et politique est
entier pour nous divertir de cette réflexion. Il s’agit de créer des
contre-feux pour empêcher de réfléchir à l’acte criminel, et parce que
cette réflexion est très difficile, tous les bonimenteurs, qui évitent
cette réflexion, sont les bienvenus.
Je n’en dis pas plus aujourd’hui.
Voici, le texte publié par La Vie... en cliquant sur Actualités du Droit
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire