mercredi 5 octobre 2016

Fin de partie


Olivier Cabanel         

Chaque jeu possède sa fin de partie, et comme la vie, elle aussi, est une sorte de jeu, elle a aussi, comme chacun sait, une date de péremption.

« Fais plaisir ! » lança Pierrot, avec cet accent fatalement marseillais qui lui allait comme un gant, et dont il n’avait pu se départir malgré toutes ces années.
Jacques pris place dans le cercle prévu, les 2 pieds bien joints comme de règle, bien à plat sur le sol, le corps droit...
Son bras tendu soupesait la boule lourde et tiède.
Il était concentré, évaluant la distance, étranger aux quolibets amusés en tout genre de l’équipe adverse tentant de le déstabiliser.
Tel l’archer zen qui se substituait à la flèche pour atteindre, les yeux fermés, le cœur minuscule de la cible, il était « dans » la boule...Il était « la boule ».
Les secondes s’égrenaient, puis il la lâcha, totalement détendu, étranger à ce qui allait se passer.
La boule roula, doucement, parcourant tranquillement les quelques 9 mètres qui la séparaient du but final, comme si elle était vivante, téléguidée, dotée de sa propre énergie, s’approchant de la boule de l’adversaire, la dépassant, la contournant, et vint se placer tout contre le but, comme un bébé qui voudrait téter sa mère.
« 13 !  » crièrent les joueurs.
La partie était finie.
Jacques n’eut pas le loisir de se réjouir très longtemps, le ciel se mit soudain à s’assombrir, passant du bleu au violet sombre, puis au pire des noirs, un violent souffle de souffre s’engouffra dans ses poumons, et parmi les 7 milliards d’êtres humains qui habitaient cette planète, il ne restera bientôt que quelques milliers d’humains encore vivants.
L’hyper volcan du Yellowstone venait d’imploser, plongeant la planète entière dans une longue nuit froide et interminable.
On y était...la tragédie du Toba, ce volcan indonésien, venait de se reproduire, 75 000 ans après.
Il faudra probablement quelques siècles, voire millénaires, pour que le niveau technologique développé par la race humaine se retrouve...
On se souvient qu’à l’époque, d’après les scientifiques, seuls 2000 humains avaient survécu sur notre planète. lien
« Game over ! ».
Pour revenir au Yellowstone, les chercheurs sont convaincus, après avoir analysé des carottes volcaniques, qu’une explosion s’est déjà produite il y a 640 000 ans, et qu’elle aurait été assez puissante pour recouvrir de cendres la moitié des États-Unis, la colonne de cendre dégagée par l’explosion s’étant élevée à près de 30 000 mètres. lien
Quant au Toba, les cendres et le souffre de cet hyper volcan ont fait le tour complet de la Terre, alors que la surface du cratère, aujourd’hui un lac, fait 100 km sur 60 km, à comparer avec le Yellowstone : 85 km par 45 km.
Plus près de nous, il est intéressant aussi de découvrir la catastrophe liée à un autre volcan, le Tambora  qui, lors son éruption a mis entre autres en émoi la bonne ville de Genève, en 1816, puisque ses habitants ont appelé cette année, « l’année sans été  », ainsi que le relate Emmanuel Garnier, dans son passionnant et très documenté ouvrage « Genève face à la catastrophe 1350-1950  » (éditions Slatkine-2016). lien
Ce volcan, indonésien lui aussi, dont l’explosion fut entendue 1400 km à la ronde, se manifesta un certain 10 avril 1815. lien
Il perdit en quelques heures 1500 mètres de hauteur et provoqua un an après, de nombreuses famine en Europe, et donc aussi à Genève.
Extraits de l’ouvrage d’Emmanuel Garnier :
« Sa puissance est estimée de nos jours à 8 fois celle d’Hiroshima et Nagasaki réunies. Sous la forme d’une colonne gigantesque, puisqu’elle atteignit une altitude de 44 km, il aurait projeté 150 km3 de poussières dans l’atmosphère qui entraînèrent une baisse conséquente de l’insolation de la terre. Météorologiquement parlant, il s’ensuivit un brutal « changement » climatique, avec un déclin des températures moyennes de 0,5°. (...) l’été humide et froid hypothèque les récoltes, au point de menacer la survie des populations. (...) un peu partout en Europe éclatent des mouvements sociaux, généralement réprimés dans le sang par les états. En Grande Bretagne, mais plus encore en Allemagne et en Suisse, pays privés d’accès à la mer, les événements ébranlent l’ordre social. Au slogan des soyeux londoniens « le pain ou le sang », répondent les incendies de fermes en Belgique et dans les cantons suisses. (...) ailleurs, la crise climatique engendrée par le volcan suscite des réactions sociales plus dramatiques encore. Dans le royaume Zoulou d’Afrique du Sud, le roi Shaka engage une vague de persécution contre les « sorciers » et « sorcières » accusés d’avoir provoqué la sécheresse, à l’instar de ce qu’avaient fait les souverains européens durant le petit âge glaciaire au 17ème siècle ».
Pour la petite histoire, on pourrait aussi noter l’apparition d’un des 1er réfugiés climatique lié à cette catastrophe : un certain Aimé Barbier, helvète d’origine, avait quitté son petit village suisse de Boudry, poussé par la misère ambiante, et s’était installé non loin de Lyon, à Heyrieux, où sa descendance vit encore.
Restons encore un peu à Genève.
Entre 2012 et 2013, des scientifiques, portés par la volonté d’établir une cartographie très précise du fond du lac Léman, ont fait d’étranges découvertes.
Au-delà de cratères inexpliqués faisant parfois 200 mètres de diamètre, ils ont découvert des lignes de cassures de glissements de terrain, lesquels ont du provoquer des tsunamis avec des vagues de plusieurs mètres de haut. lien
Cocasse aussi de découvrir que cette éruption volcanique indonésienne a donné naissance à un autre monstre, celui imaginé par Marie Shelley, accompagnée du poète Byron, lesquels s’étaient réfugiés à la villa Diodati, sur la commune suisse de Cologny, pour échapper aux pluies incessantes du mois de juillet, et s’étaient lancés le défi d’écrire une œuvre à la hauteur de la météorologie ambiante.
Marie Shelley l’emporta manifestement avec son Frankenstein,  face au non moins célèbre Darkness, le poème de Byron.
« J’eus un rêve qui n’était pas tout-à-fait un rêve. L’astre brillant du jour était éteint ; les étoiles, désormais sans lumière, erraient à l’aventure dans les ténèbres de l’espace éternel ; et la terre refroidie roulait obscure et noire, dans une atmosphère sans lune... » lien
Au-delà de ces événements passés et de cette fiction moins qu’improbable, voilà notre situation bien relativisée...d’autant que si nous pouvons agir encore un peu sur le climat, sur notre vie, sur notre santé, il reste un domaine dans lequel nous ne pouvons rien.
La nature aura toujours le dernier mot.

Comme avait dit Claude Levi Strauss à mon vieil ami africain : « le Monde a commencé sans l’homme, et il s’achèvera sans lui ».

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