L’avantage, avec Hillary Clinton, c’est qu’elle annonce clairement la
couleur.
À grand renfort de rhétorique chauvine, la candidate démocrate
galvanise les énergies du complexe militaro-industriel, du lobby
sioniste et de la finance mondialisée. Elle est fière comme un Artaban
de ses exploits guerriers en Libye. Elle promet de liquider sans délai
Bachar Al-Assad. Elle couvre d’injures le président de la Russie et
l’accuse de comploter contre son élection. D’une arrogance à toute
épreuve, Hillary version 2016 incarne cette fraction de l’oligarchie
yankee qui est prête à tout pour étendre sa domination. Mais pour bien
comprendre cette séquence politique que j’appellerai le « moment Hillary
», il faut la resituer dans un continuum historique.
Clinton,
Bush Jr, Obama : depuis 1992, les trois présidents qui se sont succédé à
la Maison Blanche n’ont pas ménagé leur peine pour servir une
oligarchie qui se gave des prodigieux dividendes de la merveilleuse
mondialisation libérale. Le plus décrié des trois, George W. Bush, n’a
pas eu besoin, pourtant, d’inféoder la politique de son pays aux majors
pétrolières et aux magnats de l’armement : elle était déjà sous leur
coupe depuis longtemps ! Prototype du guerrier pacifiste, redoutable
expert en communication, son prédécesseur Bill Clinton a largement
contribué à cette inféodation, et il a légué un héritage politique dont
on a parfois tendance à oublier l’importance.
Cet héritage, il
faut le rappeler, est inséparable des circonstances exceptionnelles qui
l’ont vu naître. L’élection de Bill Clinton eut lieu au lendemain d’un
événement majeur, l’effondrement de l’URSS. Cette disparition de la
superpuissance rivale ouvrit la voie à l’instauration d’un monde
unipolaire. Poussant les feux de la globalisation économique, servant
docilement les intérêts du capital financier, cet apôtre décontracté du
mondialisme conforta la domination sans partage de Washington. Bill
Clinton n’a pas inventé l’impérialisme, mais il l’a étendu à la planète.
De quelle manière ? En réalisant trois avancées hégémoniques auxquelles
Hillary compte bien s’arc-bouter pour repousser encore plus loin les
limites du leadership US.
Lourde de conséquences, la première
avancée hégémonique fut la transformation de l’OTAN en machine de guerre
agressive. Bras séculier d’une alliance défensive destinée à parer à la
« menace soviétique », cet appareil guerrier survécut à son ennemi
potentiel. Au lieu de le dissoudre, les dirigeants US en firent une
machine à émasculer les vieilles nations occidentales et l’instrument
d’une offensive permanente contre Moscou. Provocation sans précédent,
cette alliance belliqueuse élargie aux pays de l’Est européen a atteint
les frontières occidentales de la Russie.
La deuxième avancée
hégémonique de l’ère Clinton est de nature idéologique. Pour justifier
l’intervention militaire contre un Etat souverain, on invoquerait
désormais le prétexte des droits de l’homme. Cette doctrine fut
expérimentée dans les Balkans, où la propagande humanitaire servit de
paravent à l’ingérence dans les affaires intérieures de la Serbie, ce
petit Etat au nationalisme ombrageux et jaloux de son intégrité
territoriale. On inventa alors au Kosovo un génocide qui n’eut jamais
lieu, on bombarda les infrastructures serbes, puis on confia le service
après-vente de ce désastre à Bernard Kouchner, dont le don pour le
maniement de la serpillière est de notoriété mondiale.
Cette
opération militaire eut pour résultat de créer un Etat voyou, livré clé
en main à une mafia particulièrement glauque dont le ralliement à
l’Occident lui permit d’accroître les marges bénéficiaires de ses
trafics en tout genre. Pour la première fois, un Etat-croupion fut porté
sur les fonts baptismaux par une intervention militaire de l’OTAN en
l’absence de mandat de l’ONU et en violation flagrante de la loi
internationale. On croyait naïvement que l’intangibilité des frontières
était un principe de droit international. C’est fini. La politique des
droits de l’homme lui a tordu le cou.
Troisième avancée
hégémonique, enfin : le génie inventif de la présidence Clinton porta
sur la façon de faire la guerre. Avec les bombardements frénétiques
infligés à la Somalie, à l’Irak et à la Serbie, le Pentagone expérimenta
sa « révolution dans les affaires militaires ». Au lieu d’expédier sur
place des troupes risquant de se faire hacher menu, Washington frappa
ses ennemis, du haut du ciel, en déchaînant attaques aériennes et
missiles de croisière. D’une parfaite asymétrie, ces frappes
chirurgicales cumulaient les avantages de l’ubiquité, de la précision et
de l’absence de pertes dans le camp du bien.
Embrigadement des
alliés dans une OTAN sans frontières, droit-de-l’hommisme en casque
lourd et déchaînement du feu céleste contre les récalcitrants : ces
trois sauts qualitatifs ont fourni un modèle inoxydable de politique
étrangère. Même les détracteurs républicains de Bill Clinton ont retenu
la leçon. Ses successeurs George W. Bush et Barack Obama n’y ont pas
dérogé. Le premier a profité du 11 septembre pour lâcher les faucons du
Pentagone sur le Moyen-Orient, mais cet interventionnisme a fait l’effet
d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Devant ce fiasco, le
peuple américain élut en 2008 un démocrate plutôt avenant qui avait pour
carte de visite son opposition à cette aventure guerrière. Hélas
l’illusion fut de courte durée, et la politique néo-conservatrice
continua de plus belle.
Afin de limiter l’envoi de troupes sur le
champ de bataille, Barack Obama a préféré le « leading from behind » à
l’intervention directe. Mais il a aussi intensifié la guerre des drones
et maintenu le bagne de Guantanamo. Jouant avec le feu, il a pactisé
avec Al-Qaida, fait détruire la Libye par ses larbins européens et
vainement tenté d’anéantir la Syrie, où il est tombé sur un os nommé
Poutine. C’est pourquoi il a installé en Europe un bouclier anti-missile
qui menace Moscou, favorisé un coup d’Etat à Kiev et imposé à la Russie
des sanctions que rien ne justifie.
La campagne au lance-flammes
d’Hillary Clinton montre que la fraction belliciste de l’oligarchie est
décidée à poursuivre cette politique agressive. Le secrétaire à la
Défense, Ashton Carter, a récemment déclaré que les Etats-Unis se
réservaient le droit d’utiliser l’arme nucléaire en première frappe.
Sans état d’âme, les Docteur Folamour du néoconservatisme évoquent une
future guerre avec la Russie ou la Chine. Une chose est sûre. Cette
stratégie de la tension l’emportera si la candidate démocrate gagne
l’élection du 8 novembre. Et le « moment Hillary » mettra la planète au
bord du gouffre.
Bruno Guigue, ex-haut
fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de
La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002, et de centaines d’articles.
arretsurinfo.ch
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