samedi 8 octobre 2016

Tandis que les extrémistes juifs de Lehava terrorisent Jérusalem, la police regarde ailleurs

Benzion Gopstein, leader du groupe d'extrême-droite Lehava, rassemble ses militants à Jérusalem (25 décembre 2014).  – Ph. REUTERS/Nir Elias Shlomi Eldar         

Les propriétaires de restaurants de Jérusalem expliquent que des membres du groupe radical d’extrême-droite Lehava – un acronyme hébreu pour “prévention de l’assimilation en terre sainte” (le mot Lehava signifie aussi “flamme”) – les menacent de violences s’ils emploient des travailleurs arabes.

Outre des menaces, les militants de Lehava se sont aussi livrés à Jérusalem à une série d’attaques violentes contre des travailleurs arabes, des chauffeurs de taxi et des passants.
Ces attaques ont commencé, selon des prestaurateurs, peu après que trois jeunes Israéliens aient été kidnap­pés et assassinés par des Palestiniens en Cisjordanie, en juin 2014 [1]. Depuis lors, le nombre des agressions est allé croissant.
Ils racontent que des douzaines de voyous de Lehava se livrent à une “chasse aux Arabes”, particulièrement chaque jeudi, au moment où les étudiants des yeshivas [2] entament leur congé pour le shabbat, et les samedis en soirée, lorsqu’ils regagnent leurs séminaires.
C’est devenu de la routine”, raconte le propriétaire d’un des restaurants les plus réputés de Jérusalem, qui a requis l’anonymat.
Tous les patrons de restaurant savent que les jeudis et les samedis, les nuits sont terribles, durant lesquelles nous déclarons l’état d’alerte”. Les patrons des entreprises et leurs employés juifs sont obligés de défendre physiquement les travailleurs arabes et d’affronter les militants d’extrême-droite, ce qui n’est pas sans danger. “On ne peut pas relâcher la vigilance jusqu’à ce que le dernier des militants de Lehava ait quitté le centre de la ville et la zone commerciale piétonne, et nous devons nous assurer que nos employés ne rentrent pas chez eux par leurs propres moyens”, explique encore ce restaurateur.
Nous essayons toujours de trouver des arrangements pour éviter une catastrophe. C’est le samedi soir que c’est le pire. Ils [les étudiants des yeshivas] ne retournent pas dans leurs écoles aussi longtemps qu’ils n’ont pas passé leur rage contre le personnel arabe et menacé leurs employeurs”. Et il ajoute : “une série d’attaques brutales par des militants de Lehava ont eu lieu dans mon restaurant ces dernières semaines, parce que la plupart de mes employés sont arabes.” Et les appels à la police sont la plupart du temps accueillis avec indifférence.
 Le mouvement a été fondé en 2009 par l’extrémiste de droite Ben Zion “Benzi” Gopstein, avec l’objectif déclaré d’empêcher l’assimilation des Juifs. Au fil du temps, et de l’arrivée dans ses rangs de centaines de personnes qui l’ont rejoint ou le soutiennent, ses activités se sont élargies à d’autres cibles. Actuellement le groupe proclame ouvertement sur son site web qu’il fait de l’agitation en faveur du “travail juif en Terre Sainte” [3]. Il considère l’embauche de travailleurs arabes par des patrons juifs, ou dans tout endroit où des employés juifs sont au travail, comme devant conduire à “l’assimilation”, qu’ils se sont jurés d’empêcher à tout prix. C’est la raison pour laquelle ils attaquent les travailleurs palestiniens et menacent leurs patrons.
Dan Biron, propriétaire du restaurant Birman, à Jérusalem, rapporte que ses employés ont peur, et que c’est la raison pour laquelle ils ne s’exprimeront pas devant la presse. Une peur que lui-même ne partage pas.
Il y a quelques semaines, un de mes employés est sorti pour vider les poubelles“, raconte-t-il. “Soudain, il a pris un coup violent à la face. Quand il s’est retourné, deux autres lui ont sauté dessus et l’ont battu. Il a abandonné là les poubelles et s’est enfui. Je suis sorti, et j’ai vu deux policiers motocyclistes. Je leur ai dit ce qui venait de se passer, et ils m’ont répondu qu’ils allaient envoyer une voiture de patrouille. Jusqu’à ce jour pas la moindre voiture de police n’est apparue ici.
Depuis cet épisode, raconte Biron, quatre autre attaques violentes ont eu lieu contre des membres de son personnel arabe. Désormais, il les accompagne quand ils quittent le restaurant.
Un autre patron de restaurant raconte que lui aussi a reçu des menaces pour le dissuader d’engager du personnel arabe, mais c’étaient des menaces voilées. «Ils ne vous disent pas “on va mettre le feu à ton restaurant”, mais ils s’arrangent pour que vous compreniez que ça pourrait bien arriver», dit-il.
Après un certain nombre d’attaques et avoir constaté que les restaurateurs étaient persuadés que la la police de Jérusalem avait décidé de pratiquement ignorer la violence et les menaces de ces extrémistes de droite, l’organisation “Israel Religious Action Center”, que dirige le mouvement du Judaïsme réformé, a lancé une campagne sur le thème “Lehava brûle Jérusalem”. L’objectif est d’informer mieux l’opinion publique et d’exercer une pression sur les autorités afin de combatte le phénomène. Le centre a interviewé et filmé des travailleurs arabes, qui racontent qu’ils ont été menacés et battus par des militants Lehava, et décrivent leurs expériences terrifiantes. Ils expliquent, par exemple, qu’ils ont été abordés par une personne qui leur posait une question banale comme “quelle heure est-il ?”, probablement afin d’entendre leur voix et de s’assurer ainsi à leur accent qu’ils sont bien arabes. Aussitôt que l’interlocuteur a eu la confirmation qu’il est bien face à un Arabe, il se met à cogner avec une extrême violence, jusqu’à ce que la victime soit en sang.
Itamar Gvir, un avocat militant de Lehava, affirme que les patrons de restaurant mentent. “S’ils ont des preuves qu’ils ont été menacés, pourquoi ne pas déposer une plainte officielle auprès de la police ?”, dit-il. Selon lui, ces restaurateurs cherchent simplement à se faire de la publicité.
Mais Biron, pour sa part, affirme que s’il n’y a pas de plaintes, c’est par peur des représailles. “Même sans la violence de Lehava, les affaires sont difficiles à Jérusalem. Les patrons de restaurant ne veulent pas prendre le risque d’affronter ces voyous enclins à la violence. Personne n’a envie de voir son restaurant partir en fumée ou être endommagé.
Ne rencontrant guère de résistance, Lehava élargit encore ses cibles. Le 22 septembres, des membres du groupe, sous la direction de Gopstein, ont provoqué la bagarre au Festival des Arts Manofim, pour s’opposer à la participation d’une chorale de l’église arménienne. Les envahisseurs hurlaient “ce sont des tueurs de Juifs” et “fichez le camp en Syrie”.
En riposte, l’organisation anti-raciste Tag Meir a organisé un autre spectacle de chorales. Le président de l’organisation, Gadi Gvaryahu, affirme : “Nous allons nous manifester pour faire jaillir la lumière et répandre la joie partout où les voyous de la droite viennent pour répandre la haine”.
Mais peut-être les premiers à se manifester devraient-ils quand même être les policiers de Jérusalem ?

Source : Al Monitor (30 septembre 2016) – Traduction : Luc Delval- Photo : Benzion Gopstein, leader du groupe d’extrême-droite Lehava, rassemble ses militants à Jérusalem (25 décembre 2014). – Ph. REUTERS/Nir Elias

Notes
 
[1] ces enlèvements, suivis de meurtre, ont servi de prétexte à l’agression israélienne contre Gaza, le gouvernement israélien ayant choisi d’en imputer la responsabilité au Hamas, alors qu’il savait pertinemment qu’il n’en était rien – NDLR
[2] Une yeshivah est un centre d’étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme. Chaque yeshiva est généralement dirigée par un rabbin. L’enseignement y est destiné aux hommes exclusivement. – NDLR
[3] Ceci fait partie de la doctrine du sionisme depuis ses origines. Par exemple, Haïm Weizmann écrivait en 1927 : «Durant la dernière décade de notre travail de colonisation, une tendance s’est manifestée de plus en plus de remplacer les travailleurs arabes par des travailleurs juifs, sans tenir compte des pertes qu’occasionnait cet échange. Et je voudrais que les Arabes sachent que nous ne faisons pas cela par inimitié à leur égard, mais parce que nous sommes allés au devant de l’avertissement de Sir Mark Sykes et parce que nous voulons faire de la Palestine un pays réellement juif. Nous voulons que les colonies deviennent juives et que le travail y soit un travail juif, et je voudrais que nos amis arabes comprennent que pour ceux qui veulent construire un pays juif, c’est un principe élémentaire que le travail soit fait avec des mains et des têtes juives, et pas seulement avec de l’argent juif.» – Voir “Le sionisme dans les textes” (p. 271) – CNRS Éditions (2008) – NDLR

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