Entretien.
Militant révolutionnaire et antisioniste, Michel Warschawski a fondé
avec d’autres militants de gauche le Centre d’information collective.
Avec lui, nous revenons sur la situation du pouvoir israélien ces
dernières semaines et les perspectives pour les militants pour la
Palestine.
Netanyahou est en passe d’être inculpé pour « abus
de confiance » dans l’affaire des « cadeaux illégaux » (plusieurs
dizaines de milliers d’euros) qu’il aurait perçus de la part d’hommes
d’affaire... Comment réagit l’opinion publique ?
Sur ce sujet,
comme sur tout le reste, l’opinion publique israélienne est divisée en
deux. Il y a d’une part ceux qui sont choqués – mais pas surpris – par
le degré de corruption de la classe politique, en particulier de
l’entourage du Premier ministre, et, d’autre part, une majorité de la
population qui voit dans ces affaires une volonté de délégitimation, par
ceux qu’ils appellent « les élites », d’un gouvernement élu par le
peuple, contre la volonté de ces élites. Les médias, la justice, et dans
une certaine mesure la police, sont, pour l’électorat de l’extrême
droite, les expressions de ces élites, et c’est la raison de la décision
de la ministre de la Justice Ayelet Shaked de réformer en profondeur le
système juridique de sorte à ce qu’il « reflète davantage la volonté de
la majorité »...
Il n’est pas exagéré d’affirmer que nous sommes
dans une période de transition du régime politique, au détriment à la
fois des règles d’un régime parlementaire, et des libertés publiques, en
commençant par celles de la minorité palestinienne d’Israël et de ses
élus.
La situation économique et sociale paraît assez sombre pour le gouvernement : montée de la pauvreté, colonisation coûteuse, ralentissement des candidats à « l’alyah », industrie militaire en recul...
La situation économique et sociale paraît assez sombre pour le gouvernement : montée de la pauvreté, colonisation coûteuse, ralentissement des candidats à « l’alyah », industrie militaire en recul...
La montée de la pauvreté est indéniable, avec un tiers
des enfants israéliens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cela dit,
pauvreté de la majorité ne signifie pas, et c’est bien là le sens du
capitalisme, mauvaise situation économique. Comparée aux économies
européennes, celle d’Israël se porte bien : taux de croissance
supérieure à la majorité des pays de l’OCDE, taux de chômage inférieur à
4 %, budget en équilibre, balance commerciale bénéficiaire, exportation
à travers le monde entier de capitaux et de technologies de pointe
– Israël ne connaît pas la crise, son économie est AAA pour les agences
de notation internationales. Dans le capitalisme néolibéral, économie
performante n’est pas contradictoire avec augmentation du nombre de
pauvres, bien au contraire.
Sur le plan international, la
situation n’est pas brillante. Quelles conséquences peut avoir le vote
du 23 décembre au Conseil de sécurité de l’ONU qui, pour la première
fois depuis des décennies, exige l’arrêt de la colonisation ?
Le
vote du Conseil de sécurité contre la colonisation en Cisjordanie,
reflète d’abord le ras-le-bol que ressent l’ensemble de la communauté
internationale envers l’intransigeance d’Israël, l’arrogance de ses
dirigeants et leur surdité face aux mises en garde généralisées de pays
qui entretiennent des relations amicales avec l’État juif. L’isolement
croissant d’Israël sur la scène internationale a longtemps pu être éludé
a cause du soutien inconditionnel des administrations étatsuniennes,
démocrate comme républicaine.
La décision de Barack Obama de ne
pas utiliser le droit de veto est une première : si l’Assemblée générale
des Nations unies a adopté des dizaines de résolutions contre la
politique coloniale israélienne, c’est la première fois depuis 1983 que
le Conseil de sécurité a voté contre cette dernière sans se heurter au
blocage des États-Unis. À la veille de son départ, Obama a voulu faire
payer Israël pour les nombreuses humiliations dont il a été l’objet de
la part des gouvernements Netanyahou. Rappelons cependant que face à ces
humiliations – y compris devant le Congrès – Obama n’a pas été
rancunier : il y a deux mois, il signait un traité de coopération
militaire de 35 milliards de dollars pour la décennie à venir. C’est du
bout des lèvres que Netanyahou avait dit merci, n’hésitant pas à
déclarer qu’il attendait avec impatience la victoire de Donald Trump.
Le
15 janvier se tient à Paris une conférence pour la paix au
Proche-Orient. Israël n’y participera pas... Quelles suites peut-il y
avoir ?
Initiée par la France, la conférence internationale
pour la paix au Proche-Orient n’aura absolument aucune suite, et Israël a
d’ores et déjà annoncé qu’elle n’y participera pas, ne craignant pas
d’humilier ainsi les autorités françaises. Si Obama n’a pas réussi à
faire bouger d’un pouce le gouvernement israélien, ce n’est pas
Jean-Marc Ayrault qui y parviendra... Cela dit, la conférence de Paris
pourra être une occasion supplémentaire de mettre l’État colonial
israélien au banc des accusés pour ses violations récurrentes du droit
international et des droits humains des Palestiniens. Ne rêvons pas :
tout sera fait pour en rester à ce que nos camarades belges appellent
« l’équidistance », partageant les responsabilités entre les « deux
parties », et n’oubliant jamais de dénoncer la soi-disant violence
palestinienne. Renvoyer dos à dos bourreau et victime, colonisateur et
colonisé, est la formule clef de la diplomatie internationale… et la
raison de son impuissance.
Les difficultés intérieures et le
contexte diplomatique compliqué pour Israël ne donnent-ils pas une
nouvelle opportunité à la campagne BDS ? Au-delà, quelles perspectives
cela peut-il ouvrir pour la solidarité avec la Palestine ?
Le
problème le plus important que pose la diplomatie internationale
concernant la question coloniale en Palestine, n’est pas tant dans les
prises de position – la résolution du Conseil de sécurité le confirme –
que dans le refus de traduire ces résolutions par des moyens de pression
efficaces. Ladite communauté internationale laisse Israël dans un
statut d’impunité pour ses crimes. C’est dans ce contexte que se situe
l’importance capitale de la campagne BDS : s’il y avait « S »,
c’est-à-dire si la communauté internationale utilisait des « sanctions »
– comme elle l’a souvent fait, que ce soit contre l’Apartheid en
Afrique du Sud ou contre la répression des libertés démocratiques en
Chine – nul n’aurait besoin de « B » (boycott) ou de « D »
(désinvestissement), et notre bataille pour les droits des Palestiniens
serait proche d’être gagnée. C’est la lâcheté de cette communauté
internationale, et souvent même sa collusion avec le régime colonial
israélien, qui exige la mobilisation active des sociétés, à travers la
campagne BDS. Et cette dernière a fait, en une décennie, des pas
considérables : du boycott des oranges « Jaffa » au désinvestissement
d’Orange dans ses contrats avec son ancien partenaire israélien, ou la
rupture du partenariat entre la compagnie des eaux hollandaise et
Mekorot, la compagnie des eaux israélienne.
Les pressions
populaires sur les gouvernements pour que ceux-ci prennent des
initiatives diplomatiques fortes, sont importantes, même si celles-ci ne
dépassent pas encore le cadre déclamatoire. Mais pour faire plier
Israël, il en faudra beaucoup plus, à savoir la mise en œuvre de
sanctions concrètes, dans le domaine économique et commercial, mais
aussi culturel, universitaire et sportif. C’est là aussi une leçon de
l’expérience du peuple sud-africain.
Pour conclure cette
interview, je voudrais insister sur la nécessité de redonner, en France
comme ailleurs en Europe, un coup de fouet au mouvement de solidarité
avec la Palestine. L’écroulement, programmé par les néoconservateurs de
l’ordre Sykes-Picot au Moyen-Orient, a créé un vide que remplissent les
nouveaux barbares que représente Daech. Cette réalité régionale a pour
effet la marginalisation de la question palestinienne. Elle reste
pourtant la clef si ce n’est de la réalité politique régionale, du moins
de son éventuelle solution progressiste. Si on ne peut ni ne doit
réduire les problèmes du monde, que ce soit à Alep ou à Bruxelles, à la
seule question palestinienne, il reste néanmoins que celle-ci reste un
abcès purulent qui, s’il n’est pas résorbé, continuera à alimenter non
seulement les combats pour la justice, mais aussi leurs dérives
terroristes barbares.
Propos recueillis par Alain Pojolat et Alain Krivine
npa2009.org
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