Le
vote en faveur du CETA a confirmé la domination, au sein du Parlement
européen, des partisans d’une Europe libérale favorisant les
multinationales au détriment de l’environnement, de la santé, des droits
sociaux et de la transparence démocratique. Le ralliement d’une
majorité de sociaux-démocrates à la droite libérale et conservatrice, a
assuré la victoire du OUI.
Justin
Trudeau, a eu beau venir faire le service après-vente du CETA au
lendemain du vote du Parlement européen, il n’aura pas réussi à
convaincre par des arguments vérifiables, que cet accord était bon pour
les citoyens. On a même frôlé un grand moment de solitude politique
quand le premier ministre canadien - en authentique représentant de
commerce d’une multinationale de luxe - s’est hasardé, devant des
députés au sourire équivoque, à vanter le nouveau tarif des bottes
canadiennes de marque Manitobah qu’allait nous offrir le CETA : « moins
17% ! » ( sic !) Que le premier ministre d’un pays de 36 millions
d’habitants - aussi jeune et sympathique soit-il - profite de la tribune
d’une grande institution internationale pour lancer les soldes de
printemps, n’est pas seulement pathétique, c’est surtout très peu
convaincant - a fortiori quand on constate que le prix moyen des bottes
nationales tant vantées, tourne autour de 250 à 300 dollars la paire…
Comme l’a avoué à plusieurs reprises Justin Trudeau, avec un brin de
naïveté qu’on hésite à mettre sur le compte de sa méconnaissance des
réalités européennes : « Ce sont les classes moyennes que le CETA veut
favoriser. » Des classes moyennes plus-plus, a-t-on envie d’ajouter,
quand même.
Lors du débat précédent le vote de mercredi, la députée hollandaise
Anne-Marie Mineur ( GUE-GVN ) a bien résumé l’enjeu général : « le
commerce mine les bases de la démocratie, » a-t-elle dit , entendant par
là, non pas qu’il fallait se passer du commerce ou l’entraver par
principe ( personne n’y pense ), mais que ce qu’on appelle le «
libre-échange », par son côté sauvage, et par les dérégulations qu’il
instaure, était effectivement une menace pour une société démocratique.
Car comme l’a rappelé Patrick Le Hyaric ( GUE-GVN ), « le CETA n’est pas
un accord commercial, c’est un accord de libre échange. » Sa
particularité, ce n’est donc pas simplement de favoriser le commerce,
c’est très particulièrement de lever toutes les barrières, tant
tarifaires ( les taxes ) que non tarifaires ( les règlements, normes,
etc.. ) entre l’Union européenne et le Canada. C’est ce qu’exigent
d’ailleurs les grandes institutions financières internationales, à
commencer par le FMI. En votant pour le CETA, les parlementaires
européens leur ont simplement obéi.
Avec le CETA disparaîtront effectivement toutes les taxes
appliquées à certains produits en situation de concurrence dominante,
destinées à protéger les producteurs nationaux qui sans cela
risqueraient d’être mis en difficulté ou de disparaître. Le CETA
affaiblira aussi des normes réglementaires, notamment en matière
d’environnement et de droits sociaux. Il s’agit donc là de tout autre
chose que d’un pur accord de commerce. Il s’agit de changer concrètement
la façon dont les gens entendent vivre, dans quel type de société, et
avec quelles règles démocratiques. Le député Vert allemand Klaus Buchner
( Verts-ALE ), l’a expliqué : « le CETA est truffé d’articles qui n’ont
rien à voir avec le commerce, mais avec la destruction de la démocratie,
» exhortant le Parlement à « refuser ce coup d’état institutionnel au
service des puissances financières. » Même Tiziana Beghin, du mouvement «
5 étoiles », a dénoncé « le coup d’état silencieux » que représentait
le CETA qu’elle refuse de qualifier de traité. « Nous allons voter un
accord qui place les droits des multinationales et des investisseurs au
dessus des droits sociaux et environnementaux, » a condamné pour sa part
la députée belge Maria Arena, la première députée du groupe socialiste (
S et D ) à avoir pris la parole dans l’hémicycle pour appeler à voter
contre le CETA. Elle sera suivie par le député français Emmanuel Maurel.
Tous les autres députés sociaux-démocrates, qui interviendront
appelleront au contraire à voter pour le CETA.
Au cours du débat de 4 heures qui a précédé le vote du CETA par le
Parlement européen, un contraste flagrant est en effet apparu dans les
arguments avancés par la vingtaine de députés qui se sont exprimés sur
le sujet. D’un côté des conservateurs et des libéraux défendant une
position purement idéologique qui peut se résumer en une phrase : le
commerce avec le Canada est bon pour l’Europe - on entendait surtout
qu’il est bon pour le commerce. Là encore, aucun preuve tangible pour
justifier cette position. De l’autre, des arguments fondés sur de
multiples rapports, des enquêtes, et des analyses, prouvant que dans de
nombreux domaines, le CETA allait avoir des effets désastreux. Ces
rapports, réalisés sur plusieurs années, sont publics, tout le monde y a
accès, tout le monde peut les contester, mais personne ne les a
beaucoup contredit jusqu’à maintenant. Se basant sur l’une de ces
études, la députée italienne Eleonora Forenza ( GUE-GVN ) a par exemple
rappelé, que 200 000 emplois seraient perdus en Europe à cause du CETA.
Qui a voté quoi ?
« Il y a un goût amer dans ce vote, » nous confiait Younous
Omarjee juste avant le scrutin, « parce que si le groupe des
Sociaux-démocrates en bloc avait rejeté cet accord, il y avait une
majorité pour rejeter le CETA, et ça aurait constitué un moment
fondateur pour une nouvelle politique commerciale européenne. » Le vote a
entièrement confirmé le pronostic du député de la Gauche Unitaire
européenne.
Deux groupes politiques au sein du Parlement européen ont démontré
leur parfaite unité dans le refus du CETA : la Gauche Unitaire
européenne ( GUE-GVN ) et les écologistes ( Verts-ALE ). Aucune
exception dans les rangs de la GUE, les 49 députés présents ont voté
contre le CETA, et parmi eux, les quatre députés français (
Marie-Christine Vergiat, Patrick Le Hyaric, Jean-Luc Mélenchon, et
Younous Omarjee. ) Même chose ( presque ) pour les Verts-ALE, à
l’exception de deux d’entre eux - un député croate, et un Estonien – qui
ont préféré donner dire OUI au CETA.
À droite, pratiquement aucune voix des Libéraux n’a manqué en
faveur du CETA, sauf 4, dont celle - notable - du député français Jean
Arthuis ( ALDE ), qui a été ministre de l’économie et des finances de
1995 à 1997, et qui fait partie des opposants au CETA - il a voté
contre. De même le parti des conservateurs ( PPE ) - parti dominant du
Parlement européen - a voté massivement pour le CETA, sauf 4 députés qui
ont voté contre, tandis que 7 d’entre eux ont préféré s’abstenir. Parmi
eux, Michèle Alliot-Marie, Brice Hortefeux, et Nadine Morano.
C’est au sein du groupe des sociaux-démocrates que le fossé entre
partisans et opposants au CETA a été le plus profond : 96 POUR et 66
CONTRE. Si tous les socialistes européens avaient décidé de s’opposer au
CETA, il n’est pas certain que le NON l’aurait finalement emporté. Mais
en offrant presque 100 voix supplémentaires à l’accord de libre échange
entre l’Union européenne et le Canada, le groupe socialiste ( S et D )
apportait au camp du OUI - celui de la droite et des libéraux - un
renfort qui rendait illusoire la victoire du NON. C’est la raison pour
laquelle de nombreux députés opposés au CETA criaient à la trahison des
sociaux-démocrates dans les couloirs du Parlement européen, à l’issue du
vote. Ne sont cependant concernés, aucun des députés socialistes
français, puisque tous, ont voté CONTRE le CETA, rejoignant ainsi les
Verts et la GUE. À l’extrême-droite de l’hémicycle, une majorité de
députés s’est opposée au CETA, plus par opposition de principe à tout
accord international, ou à tout vote en faveur d’une proposition
européenne.
Au final, le CETA est passé par 408 voix POUR, 254 CONTRE et
33 abstentions. Au cours du débat Jean-Luc Mélenchon ( GUE-GVN ) avait
martelé que le CETA est « un très mauvais coup contre l’Europe, »
ajoutant : « Les générations futures s’en souviendront. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire