La question a miraculeusement échappé au déboisage final des thèmes du « débat » de TF1. Il s’agit de la soi-disant Europe de la défense.
Mais j’y reviens car ce que je dis sur le sujet est central dans mon
esprit même si ce n’est pas l’actualité retenue par les commentateurs.
L’Union européenne s’enfonce dans une option de militarisation que
renforcent l’un après l’autre rapports et résolutions adoptés au
Parlement ou aux sommets des pays de l’Union. Celle-ci se présente
d’abord comme une intégration toujours plus avancée dans l’OTAN. En
France, pas un mot plus haut que l’autre sur le sujet. Pourtant, il y a
51 ans, sur ordre du Général De Gaulle, la France sortait du
commandement intégré de l’OTAN. Comme ils sont nombreux ceux qui
voudraient oublier. Rafraîchissons ici les mémoires.
Le 21 février 1966, lors d’une conférence de presse à Paris, De
Gaulle annonce le retrait de la France du commandement intégré de
l’OTAN. Il en explique ses raisons rationnelles. Je juge qu’elles sont
toujours valables. Voyons.
Tout d’abord la structure intégrée de l’Alliance engage la France contre son gré dans les guerres des États-Unis : « Des
conflits où l’Amérique s’engage dans d’autres parties du monde, comme
avant-hier en Corée, hier à Cuba, aujourd’hui au Viêt Nam, risquent de
prendre, en vertu de la fameuse escalade, une extension telle qu’il
pourrait en sortir une conflagration générale. Dans ce cas, l’Europe,
dont la stratégie est, dans l’O.T.A.N., celle de l’Amérique, serait
automatiquement impliquée dans la lutte lors même qu’elle ne l’aurait
pas voulu. ». Cet argument reste valable aujourd’hui où l’OTAN et
les USA poussent l’Europe à dégrader ses relations avec la Russie. Il
ajoute également que la détention de l’arme nucléaire est incompatible
avec les structures intégrées de l’Alliance : « Au surplus, notre
pays, devenant de son côté et par ses propres moyens une puissance
atomique, est amené à assumer lui-même les responsabilités politiques et
stratégiques très étendues que comporte cette capacité et que leur
nature et leurs dimensions rendent évidemment inaliénables. »
Enfin et surtout, l’appartenance au commandement intégré de l’Alliance contrevient à l’indépendance nationale : « la
volonté qu’a la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle
elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être
utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où
elle se trouve subordonnée. » Au final comme le dit justement le Général de Gaulle, « il
s’agit de rétablir une situation normale de souveraineté, dans laquelle
ce qui est français, en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et
tout élément étranger qui se trouverait en France, ne relèveront plus
que des seules autorités françaises. C’est dire qu’il s’agit là, non
point du tout d’une rupture, mais d’une nécessaire adaptation ». Ce
qui motive sa décision, c’est la défense de la souveraineté de la
France, et donc de son autonomie de décision, contre quiconque la remet
en cause, fût-il américain.
Dès lors, les forces armées états-unienne ont été priées de quitter
le sol français. Ce sera chose faite le 14 mars 1967, où, à l’issue
d’une cérémonie de départ, présidée par le général américain Lyman
Lemnitzer, à la fois commandant suprême des forces alliées en Europe et
des forces américaines en Europe, la bannière étoilée est descendue et
soigneusement pliée. Au total, 27 000 soldats et 37 000 employés
répartis sur 30 bases aériennes, terrestres et navales seront évacués.
L’énormité de la décision en pleine guerre froide implique un courage
politique dont sont incapables au centième les pauvres figures
contemporaines totalement aliénées à la domination états-unienne. C’est
même un soi-disant successeur du Général qui organisera la marche
arrière.
En effet, Nicolas Sarkozy, en 2009, actera le retour de la France
dans le commandement intégré de l’OTAN. Il s’en explique dans un
discours prononcé le 11 mars 2009 : « Nous voulons renforcer le partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’OTAN » et « Nous voulons une OTAN plus réactive et plus efficace » car « nos alliés et nos amis, c’est d’abord la famille occidentale ». Cet
alignement sur l’OTAN et le concept fumeux « d’occident » est
d’ailleurs conforté par l’odieux traité de Lisbonne, avalisé par Sarkozy
en dépit du rejet du traité de Constitution européenne par le peuple
français. En effet, ce traité impose qu’en matière de défense « les
engagements et la coopération » soient « conformes aux engagements
souscrits au sein de OTAN qui reste, pour les États qui en sont membres,
le fondement de leur défense collective ». Il me semble important de souligner le reste de la phrase qui suit cet acte d’allégeance. Le texte précise que c’est l’OTAN « …l’instance de leur mise en œuvre. » (Article
27 TUE). C’est exactement le contraire de ce qui avait été dit et
décidé il y a 51 ans. J’étais parlementaire national. J’ai voté contre
en Commission du Sénat.
Ce retour dans le giron de l’OTAN est acté lors du 21ème sommet de l’OTAN de « Strasbourg – Kehl »
des 3 et 4 avril 2009. Cette réintégration de la France dans le
commandement intégré de l’OTAN signifie que les états-majors de l’OTAN
disposeront désormais d’une capacité d’engagement de certaines unités
françaises. Pour cela, celles-ci sont donc rendues directement
interopérables avec celles de l’Alliance. Un changement majeur en
résulte. Les officiers français participant jusque-là aux structures de
l’OTAN continuaient à obéir à une chaîne de commandement strictement
française. Désormais, ils doivent suivre les ordres de la chaîne de
commandement de l’OTAN, c’est à dire des États-Unis, directement. Ce
retour dans le commandement intégré de l’OTAN signe ainsi la fin de la
participation libre de la France aux opérations de l’OTAN. La règle
devient l’alignement systématique sur la politique étrangère
états-unienne. Et la suite logique de cette réintégration est la
réouverture de bases militaires américaines en France, comme dans tous
les pays qui intègrent l’alliance
Mais l’Alliance du Traité de l’Atlantique Nord a, elle aussi, changé
de nature au fil des ans. Le changement est d’abord de nature
stratégique. On est passé d’une alliance strictement défensive à une
alliance y compris à « vocation préventive ». C’est en partant de là
qu’a été décidée par exemple l’intervention en Irak. Faut-il souligner
combien ce glissement est facteur d’instabilité et de tensions ? Il est
aussi, et surtout à mes yeux, contraire aux principes de l’ONU visant à
garantir la « sécurité collective ». Il s’agit aussi d’un
changement de nature géographique : l’Alliance, ne s’arrête plus à la
zone Atlantique, mais est devenue planétaire. Dès lors, que peut-elle
être d’autre que disposée en fonction des seuls intérêts stratégiques
américains ? Et surtout des intérêts pétroliers. Car 60 % de la
consommation de carburant des USA est importée contre 0 % avant 1971.
L’OTAN est ainsi intervenue « hors zone » en Afghanistan. De
plus, à travers son extension aux pays de l’est (adhésion Bulgarie,
Roumanie, Slovaquie et pays baltes en 2004) et en Asie centrale (projets
d’adhésion controversée de l’Ukraine et de la Géorgie), l’OTAN est
désormais utilisée par les États-Unis comme un instrument de rapport de
force face au reste du monde, et notamment face à la Russie.
C’est aussi le projet que soutient l’UE au fil des résolutions
avalisées par le Parlement européen. L’obsession anti-russe n’y connait
plus de limite. On a même pu y voter à propos de la situation
sécuritaire qu’elle « s’est considérablement et progressivement
aggravée au cours de l’année 2014, avec l’apparition et le développement
de l’État islamique (EI) autoproclamé, et en conséquence de l’usage de
la force par la Russie ; » (Rapport Paet, voté en novembre 2016).
Ce rapport propose même de faire des actions européennes
complémentaires, notamment là « où l’OTAN ne veut pas agir » Il demandait même récemment, le « fléchage des dépenses nationales de défense vers les intérêts européens » en rappelant les engagements «
des États à consacrer 2% de leur PIB à des dépenses de défense mais
demande aussi que 20% de leur budget de défense soit consacrés aux
équipements identifiés par l’Agence Européenne de Défense ». Ces 2%
du budget de défense correspondent exactement au budget demandé par
l’OTAN, et que Trump réclamait encore en janvier 2017, en précisant : « Les pays (membres) ne payent pas ce qu’ils devraient ».
L’appartenance de la France à l’OTAN a en effet un coût : plus de 100
millions d’euros par an. Auquel s’ajoute le surcoût lié à la
réintégration du commandement militaire, aux alentours de 70 millions
par an, une lourde charge pour la France, au détriment de ses propres
capacités opérationnelles, déjà limitées.
Le sommet de l’OTAN se tiendra à Bruxelles le 25 mai 2017 en présence
du président Trump. Ce sera une nouvelle occasion pour les États-Unis
d’affirmer leur domination sur l’Europe. À moins que… je sois élu. Dans
ce cas, la rencontre aurait une autre saveur puisque je serai là pour
siffler la fin de l’orgie.
Jean-Luc Mélenchon
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