mercredi 29 mars 2017

L’immigration, une farce ? Une force ?

Olivier Cabanel           

Des vents mauvais nous alertent : les immigrants seraient aux portes de l’Europe, menaçant nos travailleurs, leurs emplois, et certains partis combattent l’immigration, mais qu’en est-il réellement ?

Il y a beaucoup d’exagération, de mensonges, voire de manipulation au sujet de l’immigration, dont quelques candidats présidentiels font leur choux gras, maniant la peur, la désinformation, prêts à refermer énergiquement les frontières du pays pour « protéger le travailleur français », et faisant un amalgame discutable entre musulmans et terroristes, comme on va le constater...
Il s’agit donc de se livrer à une tache précise, séparer le mythe d’avec la réalité...
C’est à quoi s’est livré un économiste et chercheur en sciences sociales, le professeur El Mouhoub Mouhoud, dans son dernier ouvrage, « l’immigration en France  », (Fayard éditeur 2017) que l’on pouvait entendre dans l’émission de France Culture, « l’économie en question », le 25 mars 2017. lien
On sait que les pays de l’OCDE ont tous besoin d’immigration, suite à une baisse de la démographie, et à un évident besoin de relance économique et d’emplois.
Pour l’auteur, il ne s’agit pas de défendre l’immigration, car il entend seulement faire vivre le débat sur ce sujet crucial, souvent au cœur du programme des candidats à la présidentielle, sur la base d’un diagnostic réel, vérifié et donc sérieux.
Les chiffres avancés par certains candidats sont pour certains totalement erronés, et ceux-ci font une mauvaise approche de la réalité.
Contrairement aux assertions lancées par d’aucuns, le flux d’immigration en France n’est que de 200 000 immigrants par an, il y en a 100 000 qui repartent, et 20 000 sont des migrations de travail.
Sur ces 20 000, on décompte 10 000 immigrés qui sont des étudiants, lesquels transforment leur statut d’étudiant en celui de travailleur.
En réalité, les flux d’immigration en France sont extrêmement faibles, et placent notre pays en queue de peloton parmi les pays de l’OCDE.
On est aujourd’hui à 0,3% d’immigration de notre population contre 0,7% pour la moyenne de l’OCDE.
« Affirmer que nous sommes un pays sur lequel déferlerait une vague d’immigrant est donc un pur mensonge », déclare le chercheur, ajoutant que « si on supprimait tout flux d’immigration, on ne règlerait pas pour autant le problème du chômage en France ».
Il précise qu’il est totalement erroné de déclarer que nous recevons « toute la misère du monde  », car dans les années 60/70, si les immigrés venaient, c’est qu’on était allé les chercher, on les sélectionnait pour leur santé physique.
En réalité aujourd’hui, les pays pauvres sont les pays qui ont les taux de migration les plus bas, et les pays à revenus moyens sont les pays qui ont les taux de d’expatriation les plus élevés, ajoutant que le niveau de qualification des nouveaux migrants est plus élevés que celui des natifs.
Selon le MEDEF, il y a 300 000 emplois qui ne sont pas pourvus, et  200 000 selon Pole Emploi. lien
Autre chiffre surprenant, près d’un immigré sur 2 entré en France en 2012 est né dans un pays européen, majoritairement portugais, britannique, espagnol, italien, ou allemand. lien
Quant aux réfugiés, là aussi, il y a beaucoup d’exagération, voire de désinformation, ou de manipulation malsaine, car en réalité, depuis de début de la guerre en Syrie, nous avons accueilli moins d’un réfugié par commune dans notre pays, pays qui compte rappelons-le, 35 755 communes.
La France, loin derrière d’autres pays européen, s’était engagée à accueillir 30 700 réfugiés d’ici fin 2017, et nous sommes actuellement très loin du compte. lien
Par comparaison, l’Allemagne en a accueilli en 2015, 441 800, la Suède 156 100, de quoi faire rougir la république française qui défendait auparavant sa légendaire « terre d’accueil ».
Étalé dans le temps, si l’on prend la définition d’un immigré « toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né », 5,5 millions d’entre eux provient de pays extérieurs à l’Union Européenne, lesquels sont au total 7,4 millions, soit 11,6% de la population totale.
À titre de comparaison, ce pourcentage est de 15,9 pour la Suède et l’Irlande, 15,7 pour l’Autriche, 13,8 pour l’Espagne, 12,4 pour le Royaume Uni, et 11,9 pour l’Allemagne.
Cette situation vient du fait de la situation récente du marché du travail, languissante depuis de longues années, alors qu’avant 1975, il était considéré parmi les plus attractifs. lien
Il est intéressant de regarder de plus près l’impact de l’immigration sur les finances du pays, car contrairement à une idée reçue, le solde est largement positif, et il se monte à 12,4 milliards d’euros. lien
Allons un peu plus loin...
Que serait la France aujourd’hui sans ces immigrés qu’elle a accueilli et qui l’ont couvert de gloire ?
Que serait la France sans Georges Charpak, sans Marie Curie, sans Le Corbusier, sans Frédéric Chopin, sans Samuel Beckett, sans Émile Zola, sans Guillaume Apollinaire (né en Italie de son vrai nom : Kostrowilsky), Tahar Ben Jelloun (né au Maroc), Milan Kundera (né en Tchécoslovaquie)...
Et quid de Serge Gainsbourg, Yves Montand, Charles Aznavour, Jacques Offenbach, Michel Jonasz, Serge Reggiani, Pablo Picasso, Marc Chagall, Jean Luc Godard, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Romy Schneider, Joséphine Baker, Lino Ventura, Roger Vadim (Plemmianikov), Henri Verneuil, de son vrai nom Malakian, Georges Ionescu, François Cavana, Vladimir Kosma, Blaise Cendrars, du cardinal Lustiger ... ?
Quid aussi, dans le domaine politique, de Léon Gambetta, de Robert Schuman, de Pierre Bérégovoy, d’Alain Minc...
Quid, dans le domaine des médias, de Christine Ockrent, Raymond Zitrone, Michel Drucker, Antoine Sfeir...
Dans le domaine sportif on pourrait aussi évoquer Raymond Kopa, Tony Parker, Nikola Karabatic, Yannick Noah...
Dans le domaine de la mode, domaine bien français, Pierre Cardin, Karl Lagerfeld.
Quant à Uderzo et Goscinny, pères d’Astérix et d’Obélix, héros de ce village « qui résiste toujours et encore à l’envahisseur  », s’ils sont venus au monde, c’est bien grâce à 2 enfants de l’immigration : les parents d’Albert Uderzo étaient italiens, et ceux de René Goscinny étaient des émigrés juifs polonais.
Idem pour Robert Badinter qui doit sa nationalité à la naturalisation de ses parents...
De combien de futurs Uderzo et Goscinny les xénophobes d’aujourd’hui priveront la France de demain ?
La liste de ces « étrangers » qui ont fait la France est si longue que Pascal Ory, aidé de Marie-Claude Blanc-Chaléard, en ont fait un dictionnaire : « dictionnaire des étrangers qui ont fait la France » (Robert Laffont éditeur).
Cette belle image d’une « France terre d’asile », généreuse, ouverte, semble donc bien avoir un sérieux coup dans l’aile.
À St Hilaire-du-Rosier, en Isère, des coups de feu ont été tirés sur le futur centre d’accueil, lequel a la vocation d’héberger une soixantaine de réfugiés, issus de « la jungle de Calais »...idem à St Brévin-les-Pins. lien.
Le conseil municipal FN d’Hénin-Beaumont, Pas de Calais, a voté en février 2016 une motion : « ma commune sans migrants »...depuis d’autres communes FN ont suivi : Beaucaire, Fréjus...lien
2 maires lorrains, ceux d’Etival-Clairefontaine, et Pexonne refusent aussi de les accueillir.
Ils n’étaient pourtant qu’une quinzaine de jeunes gens, âgés de 18 à 25 ans destinés à occuper le chalet de Bellefontaine, situé en périphérie de la commune.
Interrogé, un commerçant d’Etival, Christophe Gantelet, déclarait : « personnellement je ne suis ni pour ni contre, mais la plupart de mes clients ne sont pas favorables (...) ils pensent que les migrants ne vont pas s’intégrer, ils craignent que ça tourne à la délinquance »...mais bien sur, les habitants de la commune ne sont « ni racistes, ni xénophobes  ». lien
Christian Fegli, maire d’Etival avance comme argument « ils vont vouloir sortir, se rendre dans les débits de boisson » et il ajoute qu’il « voudrait éviter de potentiels heurts entre des gens »... lien
Pour un homme qui a fait toute sa carrière dans la gendarmerie, et qui a fini officier, ça peut paraitre étrange. lien
Pourtant, avant l’arrivée de ces migrants, le département des Vosges affichait un bilan mitigé sur le chapitre de la délinquance, avec 4726 vols par an, classant le département 16ème sur 97 au niveau national des départements où la délinquance est la plus faible. lien
Pas étonnant des lors que des citoyens aient été émus par de telles décisions, et aient déposé une plainte pour « provocation à la discrimination ». lien

Comme dit mon vieil ami africain (et Bernard Werber) : « ce n’est pas parce que vous êtes nombreux à avoir tort que vous avez raison ». 

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