Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ne feront pas candidature commune à
la présidentielle. L’auteure de cette chronique propose quelques
réflexions à ceux dont le désir de l’unité a été déçu, en assurant
qu’une union sans un accord réel n’aurait pas été efficace.
On m’a fait remarquer que mes chroniques se faisaient de plus en plus poétiques et contemplatives, empreinte de nature et de paysages, de moins en moins « politiques ».
C’est vrai, je l’admets. Et franchement, j’aurais préféré continuer,
tant en ce moment mes merveilleux insignifiants m’aident à respirer.
Mais avec l’allocution de François Fillon, ce 1er mars,
convoqué en vue d’une mise en examen et qui se maintient, l’atmosphère
irrespirable de cette élection est montée d’un cran anxiogène et tout
semble pouvoir arriver, pour le meilleur comme pour le pire.
J’ai essayé de résister au tourbillon, me tenant légèrement en
retrait, en observatrice active, bienveillante et critique. Je ne tiens
pas à me rejeter à corps perdu dans l’animation d’une campagne
électorale, j’en ai vécu six en sept ans. Mais, au vu de la période, des
sollicitations — légitimes — pour faciliter ou commenter les pas de
deux, et donner mon analyse, je me suis fait violence. La dégradation de
la vie publique dans notre pays devient tellement inquiétante, et j’ai
tant l’impression parfois qu’on perd de vue les vrais enjeux… Alors
voilà, quelques avis. Ils n’engagent que moi, mais le nez dans le guidon
produisant rarement de bonnes stratégies, ceux-ci ont au moins le
mérite d’être empreints de Vercors et de poésie.
Au PS, « la rupture annoncée par Benoît Hamon n’est pas encore arrivée »
D’abord, sur le débat qui a agité nos réseaux et pris tant d’énergie : l’« unité ».
Sincèrement, j’adorerais savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il fallait
faire. J’y aurais mis toute mon énergie. Mais ce n’est pas si simple.
J’entends celles et ceux qui, à gauche, appellent à l’unité avec Benoît
Hamon. Ce désir d’unité s’exprime, il est réel. Il est sincère et
légitime. Je l’entends parce qu’à force de dire qu’il y a urgence,
climatique et sociale, on n’a plus envie d’attendre. Et je l’entends
parce que je vois moi aussi le danger montant du FN. On a malheureusement dépassé ce que le « vote utile »
pouvait représenter en 2012, les barrières volent entre libéraux de
toutes rives, et je ne crois plus au plafond de verre qui empêcherait
Marine Le Pen d’accéder au pouvoir. Je vois au contraire grandir le
nombre de celles et ceux qui ne retiennent plus leurs mots sur les
réseaux sociaux. Je vois les jeunes, les classes populaires. Je vois les
digues rompues par Nicolas Sarkozy entre la droite et le FN
laisser un flot de haine s’écouler, bercé par la précarité que le
quinquennat Hollande qui vient de s’écouler n’a fait que renforcer. Mais
précisément, pour cette même responsabilité, j’entends aussi celles et
ceux qui ne veulent plus entendre parler du PS, quand bien même il changerait de nom et s’appellerait Benoît Hamon. Bien sûr, la primaire du PS
a changé la donne, et Benoit Hamon ne porte pas le même programme que
Manuel Valls ou Jean-Christophe Cambadelis. Bien sûr. Mais pardon, en
2012, François Hollande aussi déclarait la guerre à la finance, promettait la proportionnelle et un début de sortie du nucléaire.
C’est là où le bât blesse. Parce que le PS, ce
n’est pas que des individus de plus ou moins bonne volonté. C’est un
appareil, avec des enjeux de pouvoir, des salariés, de l’argent, composé
de responsables qui ont commencé la politique à quinze ans, formatés au
biberon des MJS [Mouvement des jeunes
socialistes] et de l’Unef [Union nationale des étudiants de France]. Une
machine avec des intérêts si étroitement croisés que tous ces gens-là
se tiennent par le nez. Et la rupture annoncée par Benoit Hamon n’est
pas encore arrivée. Car sinon, pourquoi n’aurait-il pas été possible
d’accéder aux garanties demandées par Jean-Luc Mélenchon pour engager le débat ?
Pourquoi retrouverait-on dans l’équipe de campagne et dans les
candidats aux législatives adoubés par Benoit Hamon, ceux-là mêmes que
nous n’avons eu de cesse de combattre pendant cinq années… Ceux-là mêmes
qu’il n’a cessé de pourfendre lorsqu’il était frondeur ?
Comment imaginer que Myriam El Khomri, candidate aux législatives,
portera l’abrogation de la loi El Khomri, de son nom de ministre ? Même au PS, il y a des limites à la schizophrénie.
Je garde, comme de nombreux militants sincères, l’espoir que le PS
finira par se scinder et j’aurais aimé, clairement, qu’à la suite de
cette primaire, tous les libéraux partent chez Emmanuel Macron. On
aurait pu alors discuter sur des bases partagées. Mais on n’y est pas et
les rapports de forces internes au PS n’ont, je le crains, pas fini de tourner…
Ni baguette magique ni manichéisme
Alors oui, il y a un désir d’unité, qu’on ne peut mépriser, mais il y
a aussi des raisons de fond qui l’aurait rendu politiquement caduque
aujourd’hui, voire contre-productif pour demain. Les solutions
immédiates ne sont pas toujours les meilleures, combattre n’est pas
insulter, et on peut entendre sans approuver… Ça vaut pour les deux
côtés. Ce serait plus facile de se dire qu’on a raison et que les autres
n’ont rien compris. Mais en politique, il n’y a ni baguette magique ni
manichéisme. C’est parfois compliqué de faire simple, mais ce n’est pas
une raison pour sombrer dans la facilité. C’est pourquoi je suis
toujours stupéfaite de ceux qui savent exactement ce qu’il convient de
faire et tranchent à grands coups de « oui ! », de « non ! »
et de pétitions. De ces certitudes qui s’étalent sous forme d’insultes
sur Twitter. Non, les choses ne sont pas si évidentes, et refuser d’en
voir la complexité ne la rend pas plus simple, de même que crier plus
fort ne rend pas une idée meilleure. J’entends, donc… Je lis, je
rencontre, je consulte et j’écoute. Tous les avis.
La tentation est grande d’en rabattre pour combattre, face au péril
brun. Mais c’est dans ces moments complexes qu’il est important de
disposer de lignes rouges, car à se précipiter, on prend le risque que
le remède se révèle pire que le mal : cette unité, si elle se fait sans
principes forts sur le fond, sans garanties, ne peut que ternir
davantage la politique, et achever de briser toute confiance des
citoyens dans leurs représentants. Les lignes rouges, ce ne sont pas des gadgets cosmétiques :
ce sont ces fondamentaux qui garantissent de ne pas se retrouver dans
la situation d’un Alexis Tsipras en Grèce, signant le mémorandum que le
peuple grec venait de refuser par referendum. La situation de l’Italie,
où la gauche a fini par disparaître du Parlement. La situation de toutes
celles et ceux qui, sincères ou non, ont peu à peu tué l’idée même de
gauche par leurs renoncements.
Les lignes rouges, c’est ce qui nous permet d’affirmer que jamais
nous ne reviendrons devant les électeurs une fois au pouvoir pour leur
dire : « Ah non, pardon, ce qu’on vous disait pendant la campagne, en fait, on ne peut pas. »
Voilà le pourquoi de nos positions que d’aucuns jugent trop dures sur
l’Union européenne : être prêts à la rupture avec les traités, se mettre
en capacité de sortir de la zone euro dans le cadre d’un « plan B » [1],
si les négociations n’aboutissent pas, tout ça en fait c’est juste la
condition de mise en œuvre de notre programme. D’une confiance retrouvée
avec les citoyens. La garantie de ne pas revenir leur dire que,
désolés, on est pieds et poings liés.
Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du
Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.
reporterre.net
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