vendredi 10 mars 2017

L’unité de la gauche ne peut se faire que sur des principes forts

Corinne Morel Darleux            

Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ne feront pas candidature commune à la présidentielle. L’auteure de cette chronique propose quelques réflexions à ceux dont le désir de l’unité a été déçu, en assurant qu’une union sans un accord réel n’aurait pas été efficace.

On m’a fait remarquer que mes chroniques se faisaient de plus en plus poétiques et contemplatives, empreinte de nature et de paysages, de moins en moins « politiques ». C’est vrai, je l’admets. Et franchement, j’aurais préféré continuer, tant en ce moment mes merveilleux insignifiants m’aident à respirer. Mais avec l’allocution de François Fillon, ce 1er mars, convoqué en vue d’une mise en examen et qui se maintient, l’atmosphère irrespirable de cette élection est montée d’un cran anxiogène et tout semble pouvoir arriver, pour le meilleur comme pour le pire.
J’ai essayé de résister au tourbillon, me tenant légèrement en retrait, en observatrice active, bienveillante et critique. Je ne tiens pas à me rejeter à corps perdu dans l’animation d’une campagne électorale, j’en ai vécu six en sept ans. Mais, au vu de la période, des sollicitations — légitimes — pour faciliter ou commenter les pas de deux, et donner mon analyse, je me suis fait violence. La dégradation de la vie publique dans notre pays devient tellement inquiétante, et j’ai tant l’impression parfois qu’on perd de vue les vrais enjeux… Alors voilà, quelques avis. Ils n’engagent que moi, mais le nez dans le guidon produisant rarement de bonnes stratégies, ceux-ci ont au moins le mérite d’être empreints de Vercors et de poésie.

Au PS, « la rupture annoncée par Benoît Hamon n’est pas encore arrivée »

D’abord, sur le débat qui a agité nos réseaux et pris tant d’énergie : l’« unité ». Sincèrement, j’adorerais savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il fallait faire. J’y aurais mis toute mon énergie. Mais ce n’est pas si simple. J’entends celles et ceux qui, à gauche, appellent à l’unité avec Benoît Hamon. Ce désir d’unité s’exprime, il est réel. Il est sincère et légitime. Je l’entends parce qu’à force de dire qu’il y a urgence, climatique et sociale, on n’a plus envie d’attendre. Et je l’entends parce que je vois moi aussi le danger montant du FN. On a malheureusement dépassé ce que le « vote utile » pouvait représenter en 2012, les barrières volent entre libéraux de toutes rives, et je ne crois plus au plafond de verre qui empêcherait Marine Le Pen d’accéder au pouvoir. Je vois au contraire grandir le nombre de celles et ceux qui ne retiennent plus leurs mots sur les réseaux sociaux. Je vois les jeunes, les classes populaires. Je vois les digues rompues par Nicolas Sarkozy entre la droite et le FN laisser un flot de haine s’écouler, bercé par la précarité que le quinquennat Hollande qui vient de s’écouler n’a fait que renforcer. Mais précisément, pour cette même responsabilité, j’entends aussi celles et ceux qui ne veulent plus entendre parler du PS, quand bien même il changerait de nom et s’appellerait Benoît Hamon. Bien sûr, la primaire du PS a changé la donne, et Benoit Hamon ne porte pas le même programme que Manuel Valls ou Jean-Christophe Cambadelis. Bien sûr. Mais pardon, en 2012, François Hollande aussi déclarait la guerre à la finance, promettait la proportionnelle et un début de sortie du nucléaire.
C’est là où le bât blesse. Parce que le PS, ce n’est pas que des individus de plus ou moins bonne volonté. C’est un appareil, avec des enjeux de pouvoir, des salariés, de l’argent, composé de responsables qui ont commencé la politique à quinze ans, formatés au biberon des MJS [Mouvement des jeunes socialistes] et de l’Unef [Union nationale des étudiants de France]. Une machine avec des intérêts si étroitement croisés que tous ces gens-là se tiennent par le nez. Et la rupture annoncée par Benoit Hamon n’est pas encore arrivée. Car sinon, pourquoi n’aurait-il pas été possible d’accéder aux garanties demandées par Jean-Luc Mélenchon pour engager le débat ? Pourquoi retrouverait-on dans l’équipe de campagne et dans les candidats aux législatives adoubés par Benoit Hamon, ceux-là mêmes que nous n’avons eu de cesse de combattre pendant cinq années… Ceux-là mêmes qu’il n’a cessé de pourfendre lorsqu’il était frondeur ? Comment imaginer que Myriam El Khomri, candidate aux législatives, portera l’abrogation de la loi El Khomri, de son nom de ministre ? Même au PS, il y a des limites à la schizophrénie.
Je garde, comme de nombreux militants sincères, l’espoir que le PS finira par se scinder et j’aurais aimé, clairement, qu’à la suite de cette primaire, tous les libéraux partent chez Emmanuel Macron. On aurait pu alors discuter sur des bases partagées. Mais on n’y est pas et les rapports de forces internes au PS n’ont, je le crains, pas fini de tourner…

Ni baguette magique ni manichéisme

Alors oui, il y a un désir d’unité, qu’on ne peut mépriser, mais il y a aussi des raisons de fond qui l’aurait rendu politiquement caduque aujourd’hui, voire contre-productif pour demain. Les solutions immédiates ne sont pas toujours les meilleures, combattre n’est pas insulter, et on peut entendre sans approuver… Ça vaut pour les deux côtés. Ce serait plus facile de se dire qu’on a raison et que les autres n’ont rien compris. Mais en politique, il n’y a ni baguette magique ni manichéisme. C’est parfois compliqué de faire simple, mais ce n’est pas une raison pour sombrer dans la facilité. C’est pourquoi je suis toujours stupéfaite de ceux qui savent exactement ce qu’il convient de faire et tranchent à grands coups de « oui ! », de « non ! » et de pétitions. De ces certitudes qui s’étalent sous forme d’insultes sur Twitter. Non, les choses ne sont pas si évidentes, et refuser d’en voir la complexité ne la rend pas plus simple, de même que crier plus fort ne rend pas une idée meilleure. J’entends, donc… Je lis, je rencontre, je consulte et j’écoute. Tous les avis.
La tentation est grande d’en rabattre pour combattre, face au péril brun. Mais c’est dans ces moments complexes qu’il est important de disposer de lignes rouges, car à se précipiter, on prend le risque que le remède se révèle pire que le mal : cette unité, si elle se fait sans principes forts sur le fond, sans garanties, ne peut que ternir davantage la politique, et achever de briser toute confiance des citoyens dans leurs représentants. Les lignes rouges, ce ne sont pas des gadgets cosmétiques : ce sont ces fondamentaux qui garantissent de ne pas se retrouver dans la situation d’un Alexis Tsipras en Grèce, signant le mémorandum que le peuple grec venait de refuser par referendum. La situation de l’Italie, où la gauche a fini par disparaître du Parlement. La situation de toutes celles et ceux qui, sincères ou non, ont peu à peu tué l’idée même de gauche par leurs renoncements.
Les lignes rouges, c’est ce qui nous permet d’affirmer que jamais nous ne reviendrons devant les électeurs une fois au pouvoir pour leur dire : « Ah non, pardon, ce qu’on vous disait pendant la campagne, en fait, on ne peut pas. » Voilà le pourquoi de nos positions que d’aucuns jugent trop dures sur l’Union européenne : être prêts à la rupture avec les traités, se mettre en capacité de sortir de la zone euro dans le cadre d’un « plan B » [1], si les négociations n’aboutissent pas, tout ça en fait c’est juste la condition de mise en œuvre de notre programme. D’une confiance retrouvée avec les citoyens. La garantie de ne pas revenir leur dire que, désolés, on est pieds et poings liés.

Corinne Morel Darleux est secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne - Rhône-Alpes.

reporterre.net



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