Certain de la défaite du candidat du PS, le philosophe Patrice Maniglier lui demande de retirer sa candidature dans une lettre ouverte.
Monsieur Hamon,
Je fais partie de ces gens qui ont souhaité votre victoire aux
primaires de feu la « Belle alliance populaire », de ceux qui ont appelé à
une candidature unique de cette dernière, des écologistes et de La
France Insoumise, quand il semblait naturel que vous la représentiez,
quand vous deviez la représenter, de ceux qui ont été agacés par
l’attitude de M. Mélenchon lorsqu’il paraissait s’opposer à cette fusion
pour des raisons que je croyais alors d’ambition personnelle.
C’est dans la continuité de ce mouvement d'adhésion que je m’adresse à
vous pour vous prier d’envisager sérieusement l’hypothèse d’un retrait
de votre candidature en faveur de M. Mélenchon.
Nous savons tous combien cette décision paraît invraisemblable, même a
priori scandaleuse. Mais seuls les gestes qui trouent la vraisemblance
ouvrent des espaces authentiquement politiques, car ils découvrent
soudain une brèche dans laquelle s’engouffre l’enthousiasme collectif,
celui qui nous donne la force d’inventer ensemble au lieu de nous
condamner à gérer la nécessité.
Nous sommes devant une situation exceptionnelle. Aujourd’hui, la
perspective d’une victoire de la réorientation de la gauche de
gouvernement dans le sens d’une résistance plus décidée aux lois des
puissants, que nous avons tant attendue, semble à portée de main. Cette
orientation, vous la représentez. C’est elle qui vous a mis dans la
position exacte où vous êtes actuellement. Ne pas tout faire pour lui
permettre de s’accomplir est tout simplement trahir l’esprit même de
votre candidature actuelle.
Or, dans la situation où nous sommes, il semble clair que votre
campagne n’a pas su convaincre les électeurs. Certes, vous me direz que
les sondages sont incertains, qu’on a toujours des surprises, etc. Mais
vous savez bien que, si les sondages ne peuvent pas prédire l’avenir,
ils donnent en revanche du présent une image assez exacte ; et surtout,
ils ne se trompent jamais du point de vue des tendances. Or les
tendances ne laissent aucun doute : votre candidature s’effondre, celle
de Jean-Luc Mélenchon explose. À deux semaines de l’élection
présidentielle, nous ne pouvons pas nous abuser nous-mêmes en nous
faisant croire à un retournement. Vous perdrez, et vous perdrez
durement.
Que se passera-t-il à l’issue de votre défaite ? Les cadres du Parti
socialiste qui vous ont si honteusement trahi et ont à la fois vidé la
primaire de son sens et rendu votre campagne impossible (car comment
faire confiance à un homme en qui son propre parti ne fait pas
confiance ?) vous attribueront la responsabilité de la défaite. Ils
reprendront le Parti socialiste, qui leur appartient, et tout l’effort
de rénovation dont vous êtes porteur s’évaporera. Ils auront pour eux la
victoire de M. Macron. Vous connaissez votre appareil : c’est un parti
d’élus, l’essentiel de ses forces ira vers les forts, ceux qui
paraissent les plus susceptibles de les faire élire ou réélire, qui
seront ceux qui se sont ralliés à la « majorité présidentielle ». Vous
serez balayé, vous et tout ce que vous représentez, à quoi, justement,
nous tenons.
Il y a une autre hypothèse : vous renoncez maintenant à votre
candidature en faveur de Jean-Luc Mélenchon ; la dynamique que ce
dernier a acquise lors des dernières semaines sera confirmée à tel point
qu’un certain nombre d’électeurs anticipés de M. Macron se diront qu’il
n’y a plus lieu de céder à l’argument du vote utile en renonçant à
leurs convictions profondes et que Jean-Luc Mélenchon peut, tout aussi
bien que l’ancien ministre des Finances, nous éviter un second tour
entre ces deux nuances de la droite extrême que sont M. Fillon et Mme Le
Pen ; ce mouvement se nourrissant de lui-même, la confiance attirant la
confiance, le candidat de La France Insoumise pourra alors très
vraisemblablement gagner l’élection présidentielle. C’est vous, et non
pas M. Valls et ses amis, qui serez alors en mesure de suggérer à votre
parti de rejoindre une alliance autour de la «majorité présidentielle»,
une majorité de gauche avec des nuances et des couleurs variées. Ne
craignez pas de céder tout à M. Mélenchon. L’élection présidentielle est
une chose ; les législatives, une autre. Vous pourrez au contraire
encourager les Français à doter l’exécutif présidentiel d’une force
législative constructive et critique, portée par un Parti socialiste
rénové.
Je conçois les objections de principe nombreuses qui vous viennent à
l’esprit. Comment pourrais-je priver de candidat les millions de
citoyens qui m’ont désigné pour les représenter ? Mais ceux qui ont voté
pour vous l’ont fait justement parce qu’ils souhaitaient une
authentique alternative au sein de la gauche de gouvernement dont les
ont privés depuis des décennies les cadres du Parti socialiste contre
lesquels vous avez vous-même lutté. C’est en ne vous retirant pas, et
donc en empêchant la victoire de cette réorientation, que vous les
trahissez. Et vous ne nous ferez pas croire que M. Mélenchon n’incarne
pas cette réorientation : lorsque vous vous croyiez le favori, vous le
disiez assez. Certes, il y a d’importantes nuances tant de fond que de
forme entre vos deux propositions, mais elles ne sont pas du genre qui
méritent de nous condamner à reconduire la situation politique que nous
connaissons depuis si longtemps, coincés entre des politiques
d’alignement néolibéral et une menace néofasciste toujours croissante,
l'une alimentant l'autre.
Vous ne nous ferez pas croire non plus que le même parti qui s'est
retiré à l'unisson du deuxième tour des élections régionales pour « faire
barrage au Front national », parfois au profit de droites très dures,
n’est pas capable d’envisager de se retirer pour des raisons qui ne sont
pas, pour une fois, uniquement négatives, qui ne tiennent pas
exclusivement à l’épouvantail frontiste, mais visent à construire
véritablement quelque chose, porter une espérance et ouvrir une
perspective. Brisons la malédiction qui semble mettre depuis tant
d’années le Parti socialiste du mauvais côté de l’histoire, du côté qui
la rend toujours plus désespérante.
J’entends d’ailleurs avec surprise beaucoup de fidèles électeurs
socialistes parmi mes amis s’indigner soudain qu’on les appelle au vote
utile. Mais votre candidature n’est pas comme celle de M. Poutou une
candidature de témoignage ou d’agit-prop. Cela a des avantages (il vous
arrive d’être élu), mais aussi des inconvénients : la cohérence (et donc
l’honnêteté véritable) exigent de vous que vous cédiez à l’esprit de
responsabilité dont la gauche de gouvernement se revendique depuis
toujours, autrement dit que vous fassiez des compromis douloureux pour
faire gagner dans les urnes les grandes orientations que vous défendez.
Certes, en prenant seul cette décision, vous court-circuitez les
appareils qui ont organisé la primaire. Mais ce sont les têtes
dirigeantes du Parti socialiste, et d’abord M. Valls, qui ont vidé la
primaire de son sens. L’appareil n’a pas su se défendre, il est même en
réalité complice, vous ne lui devez rien. D’ailleurs, vous lui rendrez
service. Reste la question des frais de campagne. Mais vous pouvez
lancer une souscription populaire et je crois sincèrement que vous
verrez alors quel bel élan populaire vous accompagne dans ce geste.
Monsieur Hamon, j’en appelle à votre esprit de responsabilité, à
votre rigueur et à votre courage. Je crois en toute bonne foi qu’à la
réflexion, vous devez vous-même vous rendre compte qu’aucune des
objections au retrait de votre candidature ne tient à l’examen. Ne
privez pas ceux qui vous ont porté d’une opportunité historique.
Si vous n’avez pas le courage d’accomplir ce geste d’espoir, alors ce
n’est plus à vous que nous devons nous adresser mais à tous vos
électeurs, pour les inviter à prendre, eux, cette responsabilité que
vous n’avez pas le courage de prendre, pour qu’ils vous abandonnent
massivement à la défaite certaine qui vous attend et portent leur
suffrage sur le seul candidat aujourd’hui en mesure de rouvrir l’espace
politique, Jean-Luc Mélenchon.
liberation.fr
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