La nouvelle convention sur l’assurance chômage va s’imposer la semaine
prochaine dans l’indifférence générale. Hélène Crouzillat, membre du
collectif les Matermittentes, et Rose-Marie Pechallat, présidente de
l’association de défense des chômeurs Recours radiation, tentent
d’alerter sur les dangers de ce texte.
À l’heure
où les consignes de vote pour le second tour des présidentielles
fleurissent comme des coquelicots, une course de vitesse se joue dans
les salons de la République pour l’agrément par la ministre du Travail
de la nouvelle convention d’assurance chômage. Vous n’êtes pas au
courant ? C’est normal. Personne n’a intérêt à vous informer de ce qui
vous attend si, par malchance, le marché du travail ne voulait plus de
vous.
Cette nouvelle convention d’assurance chômage fait suite à un
protocole d’accord signé le 29 mars dernier, par les « partenaires
sociaux » gestionnaires de l’Unédic, l’organisme qui gère et encadre les
conditions d’indemnisation des chômeurs. Il prévoit l’économie de 900
millions par an sur les trois prochaines années pour pallier un déficit
estimé à 4 milliards d’euros par an.
Quelques voix – des organisations de chômeurs – à peine audibles,
annoncent le tableau : les premiers chômeurs touchés par les économies
sont les femmes, les seniors et les salariés sous contrat courts ou
travaillant à temps partiel, du public comme du privé. On aurait pu
penser qu’une hausse des cotisations patronales, un déplafonnement des
cotisations sur les hauts salaires ou encore une hausse du salaire des
femmes pour atteindre celui des hommes, pourraient suffire à remplir la
caisse. Que nenni ! Les précaires, les vieux et les femmes sont
démasqués : ils sont responsables de la dépense ; ils devront donc
avaler des couleuvres et manger des clous en attendant des jours
meilleurs.
En juin dernier, les négociations entre les partenaires sociaux
s’étaient interrompues, le Medef refusant catégoriquement de supporter
une hausse des cotisations patronales sur les contrats courts, sujet au
cœur des tractations. Faut dire que des contrats courts, il y en a
beaucoup. On parle même d’« explosion » des CDD. Il n’est pas inutile de
rappeler ici la définition d’une explosion : une rupture violente et
accidentelle provoquée par une pression excessive. Presque la moitié des
chômeurs qui s’inscrivent à Pôle emploi le font à la suite d'un CDD.
Ces chômeurs grèveraient les finances de l’assurance chômage, quand ils
font les choux gras des employeurs sur le marché du travail (86 % des
nouvelles embauches se font en CDD).
Opération blanche pour les entreprises
Ce type de salariat n'est pas accidentel, il est le fruit d'une
volonté farouche des organisations syndicales siégeant à l'Unédic,
salariées et patronales réunies (exceptée la CGT), de transformer le
marché du travail. Violent, il l’est assurément quand la protection
sociale des salariés repose sur le fantasme du plein emploi et des
contreparties alignées sur la règle du CDI. Quant à la pression, elle
est certes excessive tant par l’idéologie qu’elle charrie que par
l’absence réelle d’un contre-pouvoir des salariés, tant ceux qui
devraient les représenter ont vendu leur âme au diable.
Avec le mouvement contre la loi travail, il s’en fallait de peu pour
que les opposants au projet, mesurent la nécessité de défendre d’une
même voix les droits des chômeurs et ceux des salariés, les deux étant
indissociables pour qui comprend qu’un niveau d’indemnisation chômage
élevé et réellement protecteur donne des ailes et du pouvoir aux
salariés. Dans ce climat, les négociations ont cessé, le Medef quittant
la table, et l’État a prolongé la précédente convention.
Mais revenons aux oiseaux de mauvais augures. La loi travail
promulguée, les partenaires sociaux ont remis le couvert en mars dernier
et négocié une hausse de 0,05 % des cotisations à la charge des
employeurs sur les contrats courts, symbole d’un effort des employeurs
salué par le gouvernement, qui a pu à cette occasion se féliciter d’un
dialogue social vivifiant.
Sauf que les efforts annoncés ne sont ni plus ni moins qu'un tour de
prestidigitation. De l’aveu même de l’entourage de Pierre Gattaz
(président du Medef) se voulant rassurant dans les pages du Figaro du 29 mars : «
Les chefs d'entreprise verront bien que la hausse des cotisations à
l'assurance chômage est temporaire et qu'elle va de pair avec une baisse
de la cotisation aux AGS [organisme payant notamment les rémunérations des salariés d'entreprises en défaillance, NDLR], et avec une suppression, en deux temps, de la taxation des contrats courts. »
Donc, la hausse est compensée et produit une opération blanche pour
les entreprises, mais qui plus est, les baisses du montant de
l’indemnisation des chômeurs continuent, et s'amplifient de convention
en convention, tandis que la hausse des cotisations, elle, devient
temporaire !
« On n’est jamais mieux servi que par soi-même »
Mieux. Là où le gouvernement s’enorgueillit des avancées du dialogue
social, il fait mine d’ignorer que les partenaires sociaux pourront
désormais, à travers un nouveau comité de pilotage – comité tout
spécialement créé à l’occasion de cette dernière convention –, décider
de la baisse des contributions des employeurs comme des salariés : «
Les taux des contributions des employeurs et des salariés au
financement du régime d'assurance chômage seront réduits à compter du
1er janvier ou du 1er juillet de chaque année si, au cours des deux
semestres qui précèdent, le résultat d'exploitation de chacun de ces
semestres est excédentaire d'au moins 500 millions d'euros et à
condition que le niveau d'endettement du régime soit égal ou inférieur à
l'équivalent de 1,5 mois de contributions calculé sur la moyenne des 12
derniers mois. »
En clair, ce groupe dont la légitimité est contestable et sans aucun
contrôle des premiers concernés, pourra vider à loisir la caisse de
l’assurance chômage si par bonheur davantage de cotisations entraient à
l’Unédic. Autrement dit, le déficit tant décrié, qui sert de soupe aux
commentateurs en tout genre (économistes, journalistes, politiques..),
est savamment organisé et instrumentalisé par les mêmes – en tête, le
Medef et la CFDT – qui usent abondamment de l’argument, et s'en servent
de levier pour réduire les droits des chômeurs.
La boucle est bouclée, mais l’entourloupe ne s’arrête pas là. Elle se
niche dans le détail des textes de la convention qu’il serait bien
difficile de résumer ici sans que le lecteur ne sombre dans une parfaite
somnolence. Car, c’est un véritable cauchemar de lire ces textes
réglementaires, et il ne suffit pas de s’armer de patience pour y
survivre.
Pour avoir un ordre d’idée, il faut se plonger dans les quelque 160
pages réparties entre la convention elle-même, le règlement intérieur,
une notice explicative, les annexes et une vingtaine d’accords
d’application, se référant les uns aux autres. Nous avons eu accès à
plusieurs moutures dont certaines étaient illisibles tant les
modifications, ratures, ajouts, et bariolage ajoutaient à la confusion.
Si la lecture des textes est si difficile, nous direz-vous, pourquoi
ne pas laisser ça aux spécialistes ? Parce que c'est exactement ce que
ces spécialistes-là espèrent en jargonnant de la sorte : faire leur
tambouille seuls en camouflant les ingrédients qui la composent. Parce
que l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » frappe ici
mieux qu’ailleurs. Nous en avons fait l’expérience lorsque nous avons
contesté la dernière convention devant le Conseil d’État, qui l’a
retoquée en octobre 2015 ; une première dans l’histoire de l’assurance
chômage.
Mais, si nous avons plongé patiemment ces derniers temps dans les
arcanes de la convention, nous avons manqué cruellement de temps pour
aiguiser nos vues. La raison en est simple : le calendrier était serré ;
sciemment serré. À peine les partenaires sociaux avaient-ils signé leur
accord, à l’exception de la CGT, que la transcription juridique
effectuée par l’Unédic était déjà sur la table, passant de 15 à 160
pages. Nous pourrions supputer une collusion entre certains membres de
la direction de l’Unédic et les principaux syndicats patronaux et
salariés, alors qu’à peine les textes posés sur la table, la cavalcade
commence : les documents quasi définitifs sont lus à une telle rapidité
qu’il n’y a pas le temps d’assimiler ou de contester certaines
formulations, ou de repérer des mesures non discutées en amont.
Intérêt général
Les syndicats qui ne sont pas dans la confidence des préparatifs,
peuvent, s'ils ont tout saisi au vol, agir à la marge et, s'ils sont
intègres, refuser de faire payer aux chômeurs la dette de l'Unédic, en
ne signant pas les textes. Faut-il rappeler que les négociations se font
au siège du Medef à huis clos, sans aucune forme de contrôle
démocratique, alors qu’elles concernent directement quelque 5,52
millions de personnes et indirectement 28 millions de travailleurs ?
Deux séances de lecture pour acter la version définitive et les
documents ont atterri bien vite sur le bureau de la ministre, tout juste
avant le premier tour de l'élection présidentielle. Avant le second
tour, madame El Khomri doit désormais jouer de son pouvoir
d’appréciation concernant l’intérêt général et l’équilibre financier du
régime d’assurance chômage, pour agréer les fameux textes. En vérité, la
ministre est sous pression : l’Union européenne, Hollande et les
partenaires sociaux scrutent attentivement sa décision et il est très
probable que de petites notes tranchantes s’amoncellent sur son bureau
au point d’étouffer le moindre souffle critique.
La notion juridique d'intérêt général, elle pourra opportunément la
défendre, songeant que cette nouvelle convention vise principalement les
catégories de chômeurs les plus désarmés, et sécher une larme à leur
mémoire. Tant pis si seuls les jours travaillés seront indemnisés, tant
pis pour les plus jeunes, les plus de 50 ans, les femmes, les plus
vulnérables. Quant à l’équilibre financier, elle constatera avec candeur
et respect pour le dialogue social que le nouveau comité de pilotage
mené par les partenaires sociaux se charge de tout.
On pourrait nommer ces différents acteurs – l’Union européenne, le
gouvernement, les partenaires sociaux – les liquidateurs, si on voulait
titrer le film qui se déroule sous nos yeux. Dans le cas où la ministre
voudrait se racheter d’avoir porté une loi travail qui fait honte à
notre justice sociale et refusait d'endosser le rôle principal, elle
n'agréerait pas la convention d'assurance chômage. Elle ne modifierait
en rien les sombres intentions de Macron ou Le Pen vis-à-vis des
chômeurs, mais au moins, cet acte apporterait un autre regard sur les
responsabilités de chacun concernant ces populations sacrifiées à l'aune
d'une économie dite en crise, alors qu'elle est loin de l'être pour
tout le monde.
Nous sommes très nombreux à vivre de miettes, mais nous connaissons
notre incroyable puissance quand nous prenons en main nos propres
affaires. Et puis, il y a la rue. Nous battrons le pavé et pas seulement
pour nous tenir chaud.
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