vendredi 26 mai 2017

La bêtise

François Taillandier         

Écouter les mots par François Taillandier.

Contrairement à une représentation superficielle que l’on pourrait s’en faire, la bêtise n’est pas un manque, une carence, une incapacité à comprendre. Je ne pense pas qu’il y ait des gens qui seraient naturellement bêtes comme on est blond ou brun, petit ou grand. La bêtise n’est pas une qualité négative.
Non. La bêtise est dans notre monde une force active, vigoureuse. Volontaire. Entreprenante. « La bêtise au front de taureau » : Baudelaire a parfaitement imagé la chose.
J’y songeais en considérant le tollé provoqué par le nommé Cyril Hanouna dans son émission Touche pas à mon poste. Pour odieuse qu’ait été sa prétendue « blague » envers les homosexuels, je me suis étonné qu’on s’en scandalise. N’avait-on donc pas remarqué que ce personnage, depuis qu’il sévit, se caractérise par une bêtise assumée, délibérée, raffinée même ? Qu’il travaille sur la vulgarité, les rires idiots, le potin, avec une inventivité qu’on pourrait même juger diabolique ?
Mais indépendamment du cas de cet animateur, il y a là un mystère qui est celui de la télévision elle-même, depuis qu’elle existe. Axiome : si vous laissez faire la télé, elle va vers la bêtise comme la rivière suit la pente, comme le fleuve va à la mer. Si vous laissez faire la télé, elle produira fatalement Loft Story, les sous-produits américains, les plateaux où l’on coupe la parole aux invités, les séquences publicitaires incessantes et bruyantes, les jeux dont on ridiculise les participants, le sport-spectacle à dose massive. Si vous laissez faire la télé, elle repoussera de toutes ses forces les belles œuvres, la pensée, la connaissance, aux heures où personne ne regarde. Si vous laissez faire la télé, elle orientera insidieusement et obstinément le spectateur vers la passivité, la facilité, l’imbécillité au sens étymologique du terme. Elle se justifiera ensuite par les nécessités de « l’audience », en écartant radicalement l’hypothèse que , si les gens regardent des sottises, c’est peut-être parce qu’on ne leur propose rien d’autre.

Je le répète, c’est à mes yeux un mystère, mais il n’est pas accidentel, il est structurel. La seule manière de dompter le monstre étant que la collectivité publique lui impose… Lui impose quoi, au juste ? La seule réponse qui me vient à l’esprit serait peut-être ce que George Orwell appelait « common decency ».

humanite.fr

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