Écouter les mots par François Taillandier.
Contrairement
à une représentation superficielle que l’on pourrait s’en faire, la
bêtise n’est pas un manque, une carence, une incapacité à comprendre. Je
ne pense pas qu’il y ait des gens qui seraient naturellement bêtes
comme on est blond ou brun, petit ou grand. La bêtise n’est pas une
qualité négative.
Non. La bêtise est dans notre monde une force active, vigoureuse.
Volontaire. Entreprenante. « La bêtise au front de taureau » :
Baudelaire a parfaitement imagé la chose.
J’y songeais en considérant le tollé provoqué par le nommé Cyril Hanouna dans son émission Touche pas à mon poste.
Pour odieuse qu’ait été sa prétendue « blague » envers les homosexuels,
je me suis étonné qu’on s’en scandalise. N’avait-on donc pas remarqué
que ce personnage, depuis qu’il sévit, se caractérise par une bêtise
assumée, délibérée, raffinée même ? Qu’il travaille sur la vulgarité,
les rires idiots, le potin, avec une inventivité qu’on pourrait même
juger diabolique ?
Mais indépendamment du cas de cet animateur, il y a là un mystère qui
est celui de la télévision elle-même, depuis qu’elle existe. Axiome :
si vous laissez faire la télé, elle va vers la bêtise comme la rivière
suit la pente, comme le fleuve va à la mer. Si vous laissez faire la
télé, elle produira fatalement Loft Story, les sous-produits
américains, les plateaux où l’on coupe la parole aux invités, les
séquences publicitaires incessantes et bruyantes, les jeux dont on
ridiculise les participants, le sport-spectacle à dose massive. Si vous
laissez faire la télé, elle repoussera de toutes ses forces les belles
œuvres, la pensée, la connaissance, aux heures où personne ne regarde.
Si vous laissez faire la télé, elle orientera insidieusement et
obstinément le spectateur vers la passivité, la facilité, l’imbécillité
au sens étymologique du terme. Elle se justifiera ensuite par les
nécessités de « l’audience », en écartant radicalement l’hypothèse que ,
si les gens regardent des sottises, c’est peut-être parce qu’on ne leur
propose rien d’autre.
Je le répète, c’est à mes yeux un mystère, mais il n’est pas
accidentel, il est structurel. La seule manière de dompter le monstre
étant que la collectivité publique lui impose… Lui impose quoi, au
juste ? La seule réponse qui me vient à l’esprit serait peut-être ce que
George Orwell appelait « common decency ».
humanite.fr
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