Thomas Hollande étant momentanément indisponible (cf. Gala, 13/04/17),
c’est finalement Emmanuel Macron qui a été nommé président de la
République, à notre grand soulagement car pour un peu nous replongions
dans les heures les plus sombres de notre histoire.
Artistes et créatifs en tous genres, porteurs d’un regard sur le monde et résolument ancrés à gauche,
nous allions sans aucun doute finir parqués entre des miradors, au beau
milieu d’une foule de Maghrébins, de Roms et autres victimes naturelles
de la société, à cause de l’audace invétérée de nos convictions. C’est
dire si nous avons eu chaud !
L’hypothèse invraisemblable
« Tout le monde nous disait que c’était impossible, mais ils ne connaissaient pas la France ! »,
beuglait notre sauveur au Carrousel du Louvre, le soir du 7 mai
dernier. En effet, tel un chien famélique à qui on aurait balancé deux
gamelles de viande avariée, le peuple français vient d’exercer son choix
souverain : « une hypothèse invraisemblable il y a encore un an », renchérit Le Monde du 08/05/17,
comme si l’invraisemblable était entre-temps devenu vraisemblable, par
un effet de la grâce divine. Pourtant, certains n’arrivent pas à se
défaire de l’impression étrange qu’on leur a enfoncé un président dans
la gorge, et s’étonnent qu’un candidat aussi pathétique, à la tête d’un
mouvement en carton-pâte, ait pu se frayer si facilement un chemin
jusqu’à la première place du podium. Ils vont même jusqu’à se demander
si l’avalanche surprenante de catastrophes qui ont neutralisé ses
principaux adversaires – explosion de Fillon en plein vol (si l’on peut
dire), sabordage en règle de la primaire du PS, suicide télévisé de
Marine Le Pen, etc. – n’aurait pas quelque peu aidé le destin. Là où
chacun s’accorde à ne voir qu’une suite banale de coïncidences plus
énormes les unes que les autres, ils subodorent une main invisible (ou
pour mieux dire, parfaitement visible), comme par exemple dans les
radiations massives des listes électorales constatées le jour même du
vote (plus de 16 000 rien qu’à Strasbourg). Toujours fidèle au poste, la normalosphère veille au grain : « C’est normal ! Quand on change d’adresse il faut prévenir la mairie ! » soutient Chtimi79,
qui a repéré instantanément les 16 000 fautifs à l’origine de ce
micmac. Mais il règne tout de même un parfum de suspicion,
principalement chez ceux qui contre toute raison, persistent à croire
qu’il s’agissait d’une élection. (1)
Le vertige démocratique
Nous
sommes si accoutumés à ce qu’on ne nous demande pas notre avis que
l’idée de choisir qui va nous gouverner ressemble à un canular, qu’on le
veuille ou non. Dans la vraie vie, choisissons-nous notre patron ?
Choisissons-nous celui qui va nous braquer dans la rue, ou la maladie
que nous allons attraper ? Tous les cinq ans, il nous faut cependant
puiser dans notre inculture pour recruter un président de la République.
Nous nous y attelons avec les moyens du bord, en tâchant de nous
assurer qu’il présente bien, qu’il n’a pas dit de gros mots, et qu’il ne
s’enfuira pas avec les napperons de la salle à manger. Cette
opportunité qui nous est offerte, d’examiner des candidats à la
magistrature suprême comme s’ils postulaient à une place de chauffeur ou
de majordome, ne va pas sans une certaine honte secrète, qui est le
propre des satisfactions solitaires.
D’où notre hâte à faire de ce droit un devoir,
pour ne pas dire une purge, consistant – lorsque nous avons la chance
de ne pas avoir été radiés des listes électorales – à voter de
préférence pour celui qui nous dégoûte le plus, dans une sorte de
vertige de l’humiliation, au nom du « sauvetage nécessaire de la
démocratie ». Notre mérite citoyen se mesurant à notre envie de
vomir, il va sans dire que Macron a bénéficié d’un confortable avantage
sur ses concurrents : son bilan catastrophique au sein du gouvernement,
sa campagne aussi frelatée qu’hystérique, et son projet de saccage du
droit du travail à coups d’ordonnances ne peuvent que donner la nausée,
tout en consacrant l’effondrement définitif de la démocratie dans ce
pays.
Travail, famille, patrie
Le fait que la France en marche soit un slogan du régime de Vichy
ne doit donc pas nous troubler : capitulation et collaboration sont bel
et bien les deux mamelles de la France, ce qu’illustre à merveille le
réflexe pavlovien de nos candidats, qui courent se faire adouber par la
chancelière allemande dès qu’une campagne électorale se profile à
l’horizon (2). Pour les législatives nous aurons certainement droit à un
nouveau slogan, comme par exemple LE TRAVAIL REND LIBRE, qui comblera
les nostalgiques de tous bords, tout en collant parfaitement à cette
société ubérisée que nous appelons de nos vœux, où le chômage sera
devenu un comportement criminel.
C’est donc en nous vautrant dans le pétainisme (comme à notre habitude) que nous avons finalement échappé au fascisme – mais chacun sait que cette victoire n’est pas gratuite, et nous nous apprêtons à payer le prix de la liberté.
Car il s’est noué entre nous et nos dirigeants une sorte de pacte, aux
termes duquel nous acceptons d’être peu à peu dépouillés de toute
perspective d’avenir, en échange du maintien de notre hochet électoral,
qui nous permet de nous sentir supérieurs au restant de l’humanité (ce
qui n’est pas une mince consolation). Après tout, ne vaut-il pas mieux
une république bananière que pas de république du tout ? Et à tout
prendre, l’esclavage n’est-il pas préférable à la dictature ?
Quand on a la chance de vivre en démocratie, il faut savoir garder
l’esprit large, aussi nous nous abstiendrons de toute raillerie envers
Emmanuel Macron, car nous avons compris que ce serait faire le lit des extrêmes.
Nous adorerons nous faire détrousser et jeter à la rue, sous peine d’être taxés d’obscurantisme. En votant pour lui, nous avons donc perdu toute voix au chapitre. Mais est-ce si grave ?
Notes
1.
Pour le prochain scrutin présidentiel (si d’aventure il y en a un autre
de prévu) aura-t-on la présence d’esprit de faire venir des
observateurs de l’ONU ?
2. Macron, Fillon et Hamon se sont rués tous les trois à Berlin pour s’y livrer à un concours de salamalecs, mais l’inverse n’arrive évidemment jamais, et personne n’imagine un candidat allemand venant ramper devant nos « élites » pour se donner de la crédibilité.
2. Macron, Fillon et Hamon se sont rués tous les trois à Berlin pour s’y livrer à un concours de salamalecs, mais l’inverse n’arrive évidemment jamais, et personne n’imagine un candidat allemand venant ramper devant nos « élites » pour se donner de la crédibilité.
Source : https://normalosphere.wordpress.com/2017/05/15/le-prix-de-la-liberte/
Le Grand Soir
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