Dans les derniers jours des civilisations qui s’écroulent, les idiots
prennent la relève.
Des généraux idiots mènent des guerres
interminables et ingagnables qui mettent la nation en faillite.
Des
économistes idiots appellent à réduire les impôts des riches, et à
couper les programmes sociaux des pauvres, en prévoyant une croissance
économique basée sur un mythe.
Des industriels idiots empoisonnent
l’eau, le sol et l’air, suppriment les emplois et réduisent les
salaires.
Des banquiers idiots jouent sur les bulles financières qu’ils
ont eux-mêmes créées et réduisent les citoyens à l’esclavage en vertu
d’une dette qui les écrase.
Des journalistes et des intellectuels idiots
prétendent que le despotisme est la démocratie.
Des agents de
renseignement idiots orchestrent le renversement de gouvernements
étrangers pour créer des enclaves sans loi où prospèrent des fanatiques
fous-furieux.
Des professeurs, des « experts » et des « spécialistes »
idiots s’occupent, avec un jargon inintelligible et des théories
obscures, à soutenir la politique des dirigeants.
Des animateurs et des
producteurs idiots créent des spectacles scabreux, pleins de sexe, de
sang et de fantasmes.
Dans la checklist bien connue de l’extinction, nous sommes en train de cocher toutes les cases.
Les idiots ne connaissent qu’un seul mot : « plus ». Ils ne
s’encombrent pas de bon sens. Ils accumulent richesse et ressources
jusqu’à ce que les travailleurs ne puissent plus gagner leur vie et que
l’infrastructure s’effondre. Ils vivent dans des enceintes privilégiées
où ils commandent des tirs de missiles en mangeant du gâteau au
chocolat. Ils voient l’Etat comme la projection de leur vanité. Les
dynasties romaine, maya, française, habsbourgeoise, ottomane, romaine, wilhelminienne, pahlavi et soviétique se sont effondrées parce que les caprices et les obsessions des idiots au pouvoir faisaient la loi.
Donald Trump est le visage de notre idiotie collective. Il est ce qui
se cache derrière le masque de civilisation et de rationalité que nous
pratiquons : un mégalomane chancelant, narcissique et sanguinaire. Il
brandit des armées et des flottes contre les damnés de la terre, il
ignore gaiement la misère catastrophique causée par le réchauffement
climatique et les pillages au nom des oligarques mondiaux ; et la nuit,
il s’assoit bouche-bée devant un téléviseur puis ouvre son « joli »
compte Twitter. Il est notre version de l’empereur romain Néron, qui a
engagé de vastes dépenses de l’État pour avoir des pouvoirs magiques ;
de l’empereur chinois Qin Shi Huang,
qui a financé à tire-larigot des expéditions vers l’île mythique des
immortels pour rapporter la potion qui lui donnerait la vie éternelle ;
et d’une royauté russe en décomposition qui s’asseyait autour d’une
table pour se faire lire les tarots, tandis que la nation était décimée
par la guerre et que la révolution fermentait dans les rues.
Ce moment de l’Histoire marque la fin d’un long et triste récit
d’avidité et de meurtre par la race blanche. Il était inévitable que
pour le spectacle final, nous vomissions une figure grotesque comme
Trump. Les Européens et les Américains ont passé cinq siècles à
conquérir, piller, exploiter et polluer la terre au nom du progrès
humain. Ils ont utilisé leur supériorité technique pour créer les
machines de destruction les plus efficaces de la planète, dirigées
contre n’importe quoi et n’importe qui, en particulier les cultures
indigènes qui se trouvaient sur leur chemin. Ils ont volé et accumulé la
richesse et les ressources de la planète. Ils croyaient que cette orgie
de sang et d’or ne finirait jamais, et ils le croient toujours. Ils ne
comprennent pas que l’incessante expansion capitaliste et impérialiste,
et son éthique sinistre, condamne les exploiteurs aussi bien que les
exploités. Mais alors même que nous sommes sur la voie de l’extinction,
nous manquons d’intelligence et d’imagination pour nous libérer de notre
passé évolutif.
Plus les signes avant-coureurs se font palpables – l’accroissement
de la température, les effondrements financiers mondiaux, les migrations
de masse, les guerres sans fin, les écosystèmes empoisonnés, la
corruption rampante dans la classe dirigeante – plus nous nous tournons
vers ceux qui chantent, soit par idiotie, soit par cynisme, le mantra
que ce qui a fonctionné dans le passé fonctionnera à l’avenir et que le
progrès est inéluctable. Les preuves factuelles, parce ce qu’elles font
obstacle à notre désir, sont écartées. Pour les entreprises et les
riches, qui ont désindustrialisé
le pays et transformé beaucoup de nos villes en terrains vagues, on
réduit les impôts ; pour les travailleurs américains blancs, on supprime
les régulations afin de faire revenir l’âge d’or prétendu des années
50. Des terrains publics sont ouverts à l’industrie du pétrole et du
gaz, tandis que les émissions de carbone condamnent notre espèce. Les
baisses de rendement résultant des vagues de chaleur et des sécheresses
sont ignorées. La guerre est l’activité principale d’un État
kleptocratique.
En 1940, au moment de la montée du fascisme européen et de la guerre mondiale imminente, Walter Benjamin écrivait :
Un tableau de Klee nommé Angelus Novus montre un ange qui semble sur le point de se détourner de quelque chose qu’il contemple fixement. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes écartées. Voilà comment on peut imaginer l’Ange de l’Histoire. Son visage est dirigé vers le passé. Là où nous percevons une chaîne d’événements, il voit une unique catastrophe, qui empile épave sur épave et les jette à ses pieds. L’Ange voudrait rester debout, réveiller les morts et restaurer tout ce qui a été brisé. Mais une tempête souffle depuis le Paradis ; elle se prend dans ses ailes avec une telle violence que l’ange ne peut plus les fermer. La tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que, à ses pieds, le tas de débris monte jusqu’aux cieux. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès.
La pensée magique ne se limite pas aux croyances et aux pratiques des
cultures pré-modernes. Elle définit l’idéologie du capitalisme. Les
quotas et les ventes prévues peuvent toujours être atteints. Les
bénéfices peuvent toujours être augmentés. La croissance est inévitable.
L’impossible est toujours possible. Les sociétés humaines, pourvu
qu’elles s’inclinent devant les diktats du marché, seront admises au
paradis du capitalisme. Il n’y a qu’à avoir la bonne attitude et la
bonne technique. Lorsque le capitalisme prospère, nous sommes confiants,
nous prospérons. La fusion du Soi avec le collectif capitaliste nous a
volé notre pouvoir, notre créativité, notre capacité d’auto-réflexion et
notre autonomie morale. Nous définissons notre valeur non pas par notre
indépendance ou notre caractère, mais par les normes matérielles
définies par le capitalisme –richesse personnelle, marques, statut et
progression de carrière. Nous nous moulons dans un conformisme
collectif refoulé. Cette conformité de masse est caractéristique des
États totalitaires et autoritaires. C’est la Disneyfication de
l’Amérique, terre de pensées éternellement heureuses et d’attitudes
positives. Et quand la pensée magique ne fonctionne pas, on nous dit, et
nous l’acceptons souvent, que c’est nous qui sommes le problème. Il
nous faut avoir plus de foi. Il nous faut avoir la vision de ce que
nous voulons. Il nous faut essayer plus fort. Il ne faut jamais faire de
reproches au système. Nous avons échoué. Ce n’est pas lui qui nous a
fait échouer.
Tous nos systèmes d’information, depuis les gourous du développement
personnel et depuis Hollywood, jusqu’aux monstruosités politiques comme
Trump, tous nous vendent des remèdes de charlatan. Nous nous cachons
les yeux devant l’effondrement imminent. En nous réfugiant dans les faux
espoirs, nous offrons des opportunités de carrière aux baratineurs qui
nous disent ce que nous voulons entendre. La pensée magique qu’ils
manient est une forme d’infantilisme. Elle discrédite les faits et les
réalités qui défient le brillant des slogans creux, tels que « Rendre sa
grandeur à l’Amérique. (Make America great again) ». La réalité est
bannie pour un optimisme sans fin et sans fondement.
La moitié du pays peut bien vivre dans la pauvreté, nos libertés
civiles peuvent bien nous être supprimées, la police militarisée peut
bien assassiner dans la rue des citoyens désarmés, nous pouvons bien
gérer le plus grand système pénitentiaire du monde et la machine de
guerre la plus meurtrière, toutes ces vérités sont soigneusement
ignorées.
Trump incarne l’essence de ce monde en décomposition, en
faillite intellectuelle et morale. Il est son expression naturelle. Il
est le roi des idiots. Et nous sommes ses victimes.
Source : Chris Hedges, Truthdig, le 30/04/2017
Les Crises
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire