L’un des aspects les plus inquiétants de la réalité en Palestine, c’est sa normalité.
Il est devenu normal de voir des Palestiniens se faire assassiner, même des enfants. Les visages de jeunes Palestiniens
apparaissent quotidiennement sur les réseaux sociaux, ceux de garçons
et filles, sur lesquelles des soldats ont tiré, faussement accusés
d’avoir tenté de poignarder un soldat.
Il est devenu normal de voir des soldats israéliens lancer de l’eau puante et des gaz lacrymogènes,
des tireurs d’élite tirer à balles réelles sur des manifestants non
armés qui réclament la terre qui fut la leur et la liberté qu’ils n’ont
jamais eue.
Et il est devenu normal pour nous de prendre part au débat stérile et
sans fin sur la question de savoir si c’est de la violence quand des
Palestiniens lancent des pierres sur les soldats israéliens armés qui
envahissent leur maison, ou si le sionisme – qui a produit cette
violence – est une idéologie raciste. Et pendant tout ce temps la
souffrance et l’oppression de millions de Palestiniens se poursuivent
quasiment sans répit.
Ce n’est un secret pour personne que les Israéliens et les Palestiniens vivent deux réalités différentes.
Même lorsque nous, Israéliens privilégiés, allons au village de Nabi Saleh
le vendredi pour participer à la manifestation hebdomadaire, à la fin
de la journée nous sommes libres de quitter le village, de quitter
l’occupation et de retourner dans notre sphère propre, sécurisée et bien
pavée. Contrairement aux Palestiniens que nous laissons derrière nous
notre maison ne sera pas prise d’assaut, nos routes ne seront pas
barrées et nos enfants ne devront pas se cacher pendant des jours voire
des semaines de peur de se prendre une balle, d’être arrêtés et
torturés.
Nous rentrons chez nous en sueur et fatigués, couverts de gaz lacrymogène et d’eau puante,
et nous avons le sentiment d’avoir fait notre part. Mais qu’avons-nous
fait ? Quel est le rôle des militants israéliens privilégiés dans la
résistance et pourquoi accomplissons-nous si peu de choses ?
Premièrement il nous faut reconnaître qu’il est question de résistance et nous demander si nous sommes prêts à y prendre part.
Un vendredi ordinaire il peut y avoir environ une dizaine de manifestants israéliens, que ce soit à Nabi Saleh ou Bilin,
actuellement les deux principaux lieux de manifestation du vendredi en
Cisjordanie occupée. Certains Israéliens marchent à l’arrière d’autres
devant.
Rien de plus que des ombres ?
Certains aiment dire qu’ils ne font que collecter des infos/preuves.
La plupart, tels des ombres, ne semblent pas savoir où est leur place et
ne veulent pas intervenir. Peu affrontent les forces israéliennes. Donc
la question qui se pose est celle-ci, qu’accomplissons-nous?
Si nous n’utilisons pas notre privilège pour pousser le bouchon et
affronter les autorités israéliennes, alors nous ne sommes rien de plus
que des ombres.
La dernière fois que je me suis rendu à Nabi Saleh c’était le 26 mai,
exactement deux semaines après que Saba Abu Ubaid, 23 ans, y a été tué
par les forces israéliennes au cours d’une manifestation.
La manifestation du 26 a démarré, comme toujours, avec des gens qui
descendent la colline venant de la mosquée après la prière de midi,
portant des drapeaux et scandant des slogans. Il y avait environ 30 à 40
personnes (bien que dans les accusations qui allaient être portées
contre moi, la police israélienne prétendit qu’il y avait 200
manifestants), principalement des Palestiniens et quelques habitués
israéliens et des étrangers.
Quelques minutes plus tard, nous étions face aux forces israéliennes qui nous ont donné l’ordre de nous disperser.
Par où commencer pour décrire ces actes scandaleux ? Des soldats
armés jusqu’aux dents en terre occupée disant aux gens dont ils ont
envahi le village qu’ils doivent se disperser. Mais en Palestine, ceci
est normal donc il y a peu d’indignation.
« Tirez leur dans les jambes »
Puis, les brutalités habituelles ont commencé, suivies de tirs de
gaz lacrymogène, d’eau puante, et assez rapidement de balles réelles.
Etant donné ce qui s’était passé, pas plus tard que deux semaines
auparavant, la vue des tireurs d’élite se mettant en position et
mettant en joue les gamins sur les collines suscita de graves
inquiétudes. J’entendis quelqu’un que son badge identifiait comme Raja
Keyes donner l’ordre aux tireurs d’élite de « tirez leur dans les jambes.
»
Les habitants de Nabi Saleh se sont alors assis devant les tireurs
d’élite pour leur bloquer la vue. Puis ce fut plus de gaz lacrymogènes,
plus d’eau puante et plus de tireurs d’élite.
Keyes était à côté de moi quand il se dirigea vers un groupe de
femmes et d’enfants qui regardaient les événements du bord de la route
et, avec le sourire aux lèvres, leur lança une grenade lacrymogène.
L’une des mères remonta un dénivelé en courant pour interférer avec les
tireurs d’élite et fut bousculée par les soldats. Je me précipitai dans
sa direction, contournai un jeune soldat qui essayait de m’arrêter et
lorsque j’arrivai à sa hauteur ils sont venus m’attraper.
Quatre ou cinq agents, dont Keyes m’agrippaient fortement. Les
agents appartenaient au Magav – bien que souvent décrit comme « police
des frontières, » Magav est une unité de l’armée israélienne.
Dès lors, les agents avaient de bonnes raisons de ne pas apprécier ma présence et voulaient me faire dégager.
Les photos et vidéos de mon arrestation se sont retrouvées sur les
réseaux sociaux, il suffit donc de dire qu’ils ne se sont pas montrés
tendres et je ne me suis pas laisser faire. (On peut voir mon
arrestation à environ 12 :10 de la vidéo des évènements de la journée ICI réalisée par le militant palestinien Bilal Tamimi.)
Après mon arrestation, Keyes s’est présenté à moi officiellement en
tant que « commandant militaire » et m’a demandé ma pièce d’identité,
que je n’avais pas sur moi.
Plus tard, lorsque j’ai été emmené dans le véhicule blindé, il était
assis à l’avant et je lui ai dit qu’il usurpait le titre de « commandant »
et qu’il ne dirigeait pas une « unité militaire » mais plutôt un gang
de brutes armées.
Mais il ne s’agit pas de moi, ni de quelque militant individuel. Il
s’agit du rôle que nous Israéliens pouvons jouer, qui est unique parce
que la loi israélienne nous apporte une protection dont ne jouissent pas
les Palestiniens et les militants internationaux.
Notre rôle n’est pas de jouer aux spectateurs objectifs ou de
documenter les évènements, ni de faire du suivisme. Nous pouvons nous
opposer aux commandants et aux soldats et perturber leur travail. De
fait, l’un des commentaires que font les commandants en permanence
c’est que nous « perturbons leur travail, et serons arrêtés en
conséquence. »
Ma réponse est que c’est précisément l’objectif ! Pourquoi venir
manifester si nous les laissons faire ? Quand nous nous faisons arrêter
nous sommes toujours accusés d’entrave à agents en service, même lorsque
ce n’est pas le cas, mais c’est exactement ce que nous devons faire.
Sur la voie rapide 443 – parfois connue sous de nom de « voie de
l’apartheid » – il y a un panneau en hébreu qui dit : « Par ordre du
Général en chef, il est interdit aux Israéliens de pénétrer dans les
villages se trouvant le long de cette route. » Quand des militants se
rendent dans ces villages, ils contreviennent à cet ordre. Néanmoins, la
protection que notre identité israélienne nous apporte peut être
utilisée pour perturber le cours normal de l’occupation partout.
Les Israéliens, même ceux qui sont dévoués, bien intentionnés, en
font bien trop peu et nous n’utilisons que trop peu notre privilège pour
dénoncer et combattre l’injustice infligée aux Palestiniens. La plupart
des militants Israéliens ne veulent même pas appeler au refus de servir
dans l’armée israélienne parce qu’ils considèrent que c’est trop
radical.
Personne n’aime être arrêté , surtout lorsque cela veut dire passer
une nuit ou deux en prison, partager une pièce enfumée sans ventilation
avec pour seule compagnie celle de cafards et de criminels à deux
balles qui détestent les militants encore plus qu’ils ne détestent les
Arabes.
S’il nous appartient de contribuer à renverser l’injustice, et si
nous voulons un jour voir la fin de l’oppression de plus de la moitié de
ceux avec qui nous vivons, alors nous devons utiliser notre privilège
et agir afin de mettre un terme à la normalité et à l’oppression.
12 juin 2017 – The electronicintifada – Traduction: Chronique de Palestine – MJB
Chronique de Palestine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire