Contrôle
des comptes bancaires, chantage au bénévolat… certains départements
dirigés par la droite organisent un flicage très serré des plus pauvres,
sautant sur le moindre prétexte pour réduire ou supprimer leurs maigres
allocations.
Deux
allocataires du RSA errent en plein désert. Dessins tristes, sombres.
Régis (1), illustrateur de 43 ans, a rangé ses pinceaux de couleur.
Désormais, son quotidien, il le dessine en noir et blanc, miroir d'une
vie qui s'obscurcit. Précaire depuis des années, l'artiste bénéficiait
jusqu'ici sans problème du RSA activité en complément de son travail.
Mais le renforcement des contrôles dans son département du
Maine-et-Loire a transformé ses fins de mois difficiles en descente aux
enfers.
En septembre 2016, Régis reçoit
un courrier et doit tout à coup présenter trois mois de relevés de
comptes, de quittances de loyer et prouver que sa fille est bien
scolarisée. Une intrusion dans sa vie privée qui se poursuit avec la
venue à domicile des contrôleurs de la caisse d'allocations familiales
(CAF). « Ils ont continué leur enquête en remontant l'historique sur
deux ans, raconte Régis. Et là, j'ai dû justifier les chèques que ma
mère m'avait faits pour le Noël de mes deux enfants et pour payer le
trajet en train ! On m'a aussi demandé des comptes sur 1 euro symbolique
que j'avais gagné lors d'un procès. Ça va très très loin. »
Sonné, l'allocataire apprend en mars dernier que le RSA et une
partie de son APL sont suspendus le temps de la « régulation » de son
dossier. Régis se voit aussi réclamer 7 000 euros de trop-perçu. Sa
compagne est entraînée dans la galère. « Comme nous sommes en RSA
couple, elle non plus ne touche plus rien et devient solidaire des
indus. » En compensation, Régis reçoit une aide d'urgence de... 70 euros
octroyée par le département. « Mais je suis tellement traumatisé que je
ne sais pas si on ne va pas me demander de déclarer cette aide. J'ai
aussi eu droit à des bons alimentaires, car pendant un temps, nous avons
eu du mal à manger. » Pour survivre à cette attente insoutenable, il a
fait appel à la solidarité sur Facebook. « On voit bien que le seul
objectif du conseil général est de faire du chiffre. Plein de personnes
précaires de mon entourage se retrouvent dans cette situation. »
Régis n’est pas un cas isolé. Depuis quelques années, certains
départements, pour l’essentiel dirigés par la droite, ont décidé de
renforcer les contrôles des bénéficiaires du RSA. Aux avant-postes du
flicage, le Nord, l’Isère, la Drôme, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin qui,
tous, se sont dotés de fonctionnaires spécialisés dans la chasse aux
fraudeurs, alors même que, pour la plupart, ils s’étaient désengagés de
toute politique d’insertion. « Les mêmes qui n’ont rien fait pour nous
aider à nous en sortir nous accusent maintenant parce qu’il n’y a plus
d’argent », constate, amer, Alain Guézou, fondateur de RSA 38 et qui
avait marché en 2013 jusqu’à l’Élysée pour alerter sur le sort des
allocataires. Le département le plus emblématique reste le Nord.
Autorisé par la Cnil à recouper le fi- chier du RSA avec celui de Pôle
emploi, son service de lutte contre la fraude a identifié 45 000
allocataires qui, faute d’inscription à l’ex-ANPE, risquent de voir leur
RSA réduit ou supprimé.
Ailleurs, c’est la mesure prônée un temps par l’actuel
ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le contrôle des comptes
bancaires des allocataires qui est choisie. Tout revenu annexe pouvant
être retranché du montant des allocations (536,78 euros pour un
bénéficiaire célibataire), la moindre économie, le plus petit cadeau,
peuvent se retourner contre le bénéficiaire du RSA.
C’est ce qui est arrivé à Régis, mais aussi à Alain
Guizou. Ce père célibataire de trois enfants s’est vu retirer un mois de
RSA parce qu’il avait eu la mauvaise idée de déclarer les 800 euros que
son fils avait gagnés l’été en travaillant dans une colonie de
vacances. En principe, demander à quelqu’un au RSA de produire ses
relevés de comptes n’est pas légal, la loi stipulant qu’il doit faire
une déclaration sur l’honneur, mais cela n’a pas arrêté les
départements. « Depuis un an, ça c’est beaucoup durci. On doit justifier
absolument tout ce qu’on perçoit et, dans certains cas, on nous demande
nos relevés de comptes », confirme François Garnier, du Mouvement
national des chômeurs et précaires (MNCP) à Belfort et Thann
(Haut-Rhin).
« Conditionner l’obtention du RSA à des heures de bénévolat contraint »
Même constat en Isère. Depuis le démarrage, en octobre
2016, d’un plan de lutte contre les fraudes, « ils se sont mis à tout
éplucher et à chercher la fraude, y compris en demandant des bulletins
de salaire ou des relevés de banque », raconte Pierre-Louis Serrero,
président de l’association RSA 38. Il n’est pas hostile au principe du
contrôle, mais s’indigne du fait qu’il y ait « une suspicion
systématique » alors qu’il y aurait, selon une étude de la Caisse
nationale des allocations familiales, seulement 2 % de fraudeurs, pour
des montants dérisoires, comparés à la fraude fiscale des entreprises.
Le soupçon de « laisser-aller » alimente d’autres types de
mesures. « Il y a eu une offensive, l’année dernière, déclenchée par le
Haut-Rhin et qui a été depuis suivie par d’autres départements. Ils ont
décidé de conditionner l’obtention du RSA à des heures de bénévolat
contraint », rappelle Florent Gueguen, directeur de la Fédération des
acteurs de la solidarité (FAS). La mesure a été jugée illégale en
octobre 2016 par le tribunal administratif. Mais elle a été réintroduite
sous la forme d’un « contrat d’engagement réciproque » que le demandeur
du RSA est incité à signer et qui comporte l’obligation d’une activité
bénévole.
En principe, il s’agit d’une politique incitative. Mais,
dans les faits, la marge de manœuvre des allocataires est limitée.
« Pour les chômeurs qui signent un contrat d’engagement PPAE (projet
personnalisé d’accès à l’emploi – NDLR), le bénévolat peut être inscrit
dans le dispositif, on présume donc de l’accord de la personne. Dans le
Haut-Rhin, on peut être radié si on refuse d’effectuer ces heures. Dans
le Bas-Rhin, on a obtenu l’engagement de ne pas pouvoir radier les
personnes qui ne respectent pas ce contrat d’engagement », explique Marc
Desplats, responsable du MNCP dans le Grand Est.
À ces mesures, s’ajoute la complexité amenée par la
dématérialisation. « Pour les gens les plus éloignés, ça a compliqué les
démarches en multipliant les risques d’erreurs et en rendant les
recours plus difficiles, faute d’interlocuteurs », estime
Jean-Christophe Sarrot, coauteur du livre Pour en finir avec les idées
fausses sur les pauvres. L’absence d’Internet à domicile, la difficulté à
rédiger ou même à réceptionner un mail, l’incompréhension du langage
souvent alambiqué des documents administratifs… autant de raisons qui
expliquent un rendez-vous raté ou la mauvaise case cochée par le
bénéficiaire. S’y ajoutent des méthodes plus discrètes. « Parfois, des
consignes sont tout simplement données aux services sociaux des
départements pour qu’ils compliquent la tâche aux demandeurs d’aides
sociales », assure Jean-Christophe Sarrot.
« La conséquence, c’est beaucoup de stress et de souffrance »
L’argument derrière ce raidissement est en partie
budgétaire. Depuis la crise de 2008, la courbe des allocataires s’est
envolée, suivant celle du chômage. Entre 2012 et 2014, leur nombre a crû
de 12,5 %, pour atteindre 1,9 million de foyers, selon une étude de la
Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des
statistiques (Drees). Parallèlement, l’État n’a cessé de réduire le
montant de ses dotations, laissant les départements payer seuls la
majorité des coûts. Faute de système de péréquation, « ce sont les
départements les plus pauvres qui ont à la fois le plus de chômeurs et
le moins de rentrées fiscales », souligne Florent Gueguen.
Mais si l’argument budgétaire est réel, il sert surtout à
mettre en avant un discours de suspicion systématique contre les
pauvres, accusés de vivre sur le dos de la collectivité et d’être seuls
responsables de leur situation. « Il y a une volonté de caresser
l’opinion publique dans le sens du poil sur le thème de
‘‘l’assistanat’’ », estime Florent Gueguen. « On considère que les plus
modestes sont a priori malhonnêtes ! » tempête de son côté Pierre-Louis
Serrero, qui s’indigne qu’on laisse courir Pénélope Fillon quand un
allocataire du RSA devient un paria pour quelques euros non déclarés.
Pour les allocataires, cette suspicion croissante est
coûteuse. « La conséquence, c’est beaucoup de stress et de souffrance »,
souligne Jean-Christophe Sarrot. Déjà obligés de remplir quatre
déclarations de revenus par an, les allocataires se sentent
infantilisés. Ils soulignent le caractère intrusif de ces nouvelles
demandes, qui les obligent à dévoiler toute leur vie. Le moindre
courrier devient une source d’angoisse. « On vit du soir au matin dans
la peur », résume Alain Guizou. Pas vraiment des conditions idéales pour
se reconstruire et chercher un emploi. Pour ceux qui sont radiés ou qui
ont vu leurs allocations réduites, c’est rapidement la perte du
logement et la descente aux enfers. « In fine, ces gens, nous allons les
retrouver dans nos structures d’hébergement d’urgence. Cette approche
est une machine à produire de la grande précarité ! » martèle Florent
Gueguen.
Écœurés par le système, certains allocataires ont choisi
de prendre la tangente, alors que, déjà, plus de 30 % de ceux qui
pourraient prétendre au RSA n’en font pas la demande. Daniel fait partie
de ceux qui ont jeté l’éponge. Après de multiples galères pour que la
CAF accepte le cumul de l’allocation avec ses droits d’auteur et une
pension militaire de 56 euros, le compositeur-interprète, artiste
protéiforme, a dit stop : « J’ai été victime d’un véritable acharnement.
De 2009 à 2016, je me suis retrouvé sur plusieurs périodes de trois
mois avec zéro revenu. » Désormais, il vit sur un terrain prêté par un
ami, cultive son potager et a installé son atelier en pleine nature, en périphérie de Strasbourg. « Je me suis enfin stabilisé. »
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