Qui
sait où peut nous mener la dérive autoritaire qui se met en place peu à
peu dans un contexte politique si particulier ?
La convocation du Congrès à Versailles le 3 juillet par le Président est un pas de plus vers un pouvoir personnel inquiétant. Seuls les groupes France Insoumise et PCF ont annoncé leur refus de participer à cette mascarade coûteuse et inutile.
La convocation du Congrès à Versailles le 3 juillet par le Président est un pas de plus vers un pouvoir personnel inquiétant. Seuls les groupes France Insoumise et PCF ont annoncé leur refus de participer à cette mascarade coûteuse et inutile.
Sous
la Ve République, réunir le Parlement en Congrès (les deux chambres,
députés et sénateurs) permettait de voter les modifications
constitutionnelles sans passer par un référendum.
Voire de passer
outre le vote populaire comme ça a été le cas le 4 février 2008 où les
parlementaires se livraient à un véritable coup d’Etat : adopter le
Traité de Lisbonne pourtant rejeté par référendum par près de 55 % des
Français !
Mais la réforme constitutionnelle de 2008 (adoptée avec
une seule voix d’avance) permet désormais au président de la République
de "prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en
congrès". Un discours qui ne peut faire l’objet d’aucun débat ni d’aucun
vote.
Les opposants à cette réforme y voyaient bien sur une
volonté d’américanisation de notre vie politique avec cette copie du
Discours de l’Union. Mais aussi un retour aux pratiques en vigueur dans
les monarchies. Et à Versailles ... tout un symbole !
Depuis cette réforme, deux discours présidentiels ont été tenus :
- par
Nicolas Sarkozy le 22 juin 2009 avec des annonces déjà lourdes de
sens : remaniement, retraites, prisons, Hadopi, burqa, emprunt ...
- et
par François Hollande le 16 novembre 2015 avec la déchéance de
nationalité de sinistre mémoire. Dans l’euphorie de la mise en scène, le
grandiose du lieu et le sentiment de pouvoir exacerbé, le président est
ovationné, debout, à l’issue de son discours de près d’une heure, avant
de chanter La Marseillaise avec les parlementaires présents dans
l’hémicycle. Pourtant son projet ne résistera pas au débat public et ne
verra finalement jamais le jour.
- un troisième aura donc lieu le 3 juillet que le nouveau Président envisage de reconduire chaque année
Outre
l’atteinte à la séparation des pouvoirs (exécutif et législatif) ces
discours politiques devant les parlementaires font, de fait, du Chef de
l’Etat également le Chef du Gouvernement, niant le rôle du Premier
Ministre. C’est une évolution insidieuse, et inquiétante, de nos
institutions déjà bien mal en point.
Mais ce n’est pas la première fois.
Le
17 février 1871 Adolphe Thiers est élu, à la quasi unanimité, par
l’Assemblée Nationale réunie à Bordeaux "Chef du pouvoir exécutif de la
République française" c’est à dire à la fois Chef de l’Etat et du
Gouvernement. Le 18 mars le peuple de Paris se soulève, c’est la
Commune. Depuis Versailles où le Gouvernement s’est retiré, Thiers
organise alors le siège de la capitale et ordonne l’écrasement de
l’insurrection : "qu’on les fusille" !
Il ne fait jamais bon mettre trop de pouvoirs dans les mêmes mains.
Et c’est depuis cette date que le Congrès se réunit au Château de Versailles. Mauvais présage !
Il faut aussi se souvenir que le régime "de Vichy" est né d’un vote du Parlement.
C’est
en effet dans le plein respect de la Constitution de l’époque que dans
la nuit du 16 au 17 juin 1940, le Président de la République charge le
Maréchal Pétain de former un gouvernement. Celui-ci, d’abord replié à
Bordeaux déménage ensuite en zone dite "libre" à Vichy.
Et c’est
là que le 10 juillet 1940 le Maréchal Pétain réunissait le Parlement
afin de se faire voter les pleins pouvoirs. Seuls 80 parlementaires s’y
opposèrent et refusèrent ainsi de mettre fin à la République. L’Histoire
leur a donné raison : le régime de l’État français qui allait
s’installer s’engagera, jusqu’à l’irréparable, dans la voie funeste de
la collaboration avec l’occupant nazi.
Il faut rendre hommage à
ces parlementaires courageux et lucides qui eurent, après le Général de
Gaulle, le mérite de dire non. Certains payèrent leur engagement au
prix du sang. Deux d’entre eux furent assassinés, dix envoyés en
déportation, dont cinq ne revinrent jamais.
Dès l’obtention des
pleins pouvoirs, Philippe Pétain et ses ministres allaient transformer
la France, jadis terre d’asile, en un pays infréquentable pour toutes
les diversités qui en avaient fait sa richesse. Rappelons quelques unes
de ses mesures :
Dès le 15 juillet, c’est une loi relative à la procédure de déchéance de la qualité de Français.
Le
17 juillet, les citoyens français nés de père étranger n’ont désormais
plus le droit d’exercer un emploi dans l’administration.
Le 27
septembre, une loi relative à la « situation des étrangers en surnombre
dans l’économie française » est promulguée. Plus de 40 000 travailleurs
étrangers sont regroupés dans des camps, sous la surveillance des
gendarmes.
Le 3 octobre, c’est la promulgation de la première loi
portant statut des Juifs de France, suivie, le 4 octobre, d’une loi
complémentaire sur les ressortissants étrangers de « race juive ».
Et le pire était à venir...
Alors
bien sûr, il ne s’agit pas de comparer des contextes historiques
différents, mais de comprendre qu’on doit toujours se prémunir d’autres
malheurs à venir en étant vigilants. Car les institutions, quelles
qu’elles soient, peuvent toujours se voir détournées, utilisées par des
hommes avides de pouvoir ou même ... dépassés par les évènements.
Alors
nous ne devons laisser s’installer ni le pouvoir autoritaire, ni
l’intolérance, ni les atteintes à nos libertés. Pas plus que nous ne
devons tolérer de voir mettre à bas les valeurs de la République car les
ferments du pire sont toujours là, tapis dans l’ombre.
Et qui
sait où peut nous mener la dérive autoritaire qui se met en place peu à
peu dans un contexte politique si particulier : institutions obsolètes,
privilèges inouïs des politiciens professionnels, parti unique tout
puissant, droitisation généralisée, propagande médiatique et "formatage"
des populations, majorité écrasante de députés "godillots", corps
intermédiaires ignorés, pressions sur la presse, gouvernement par
ordonnances, tentations plébiscitaires du Président ...
Les signes
ont été nombreux, pendant la longue séquence électorale passée, qui
auraient du nous alerter sur les dangers du pouvoir personnel en train
de se mettre en place. Et tout particulièrement la façon de constituer
un Parlement "à la botte" du Prince. Citons-en deux particulièrement
significatifs :
- le recrutement massif des candidats/députés En Marche par un casting et une sélection de type télé-réalité
- le
message répété à l’infini par les media qu’il fallait "donner une
majorité au Président pour lui permettre de mener SA politique"
On
nous l’a dit clairement en fait : cette immense majorité de députés ne
sont pas là pour représenter les citoyens mais sont au seul service du
monarque. Un homme ambitieux, pétri d’américanisation, qui utilise tous
les moyens que lui offre une Constitution bien peu démocratique, se
coule dans les traditions monarchiques et mise sur une
communication/spectacle relayée par des media courtisans. Un cocktail
inquiétant.
Face à cette dérive absolutiste, des députés ont déjà
annoncé qu’ils ne se rendraient pas à Versailles. C’est le cas des
groupes France Insoumise et PCF. Et à titre personnel, deux UDI et une
EELV.
C’est bien peu pour défendre la République. Mais comme dans
d’autres moments de notre Histoire ce sont eux qui sauvent l’honneur et
permettent une lueur d’espoir.
Photo : Le Serment du Jeu de Paume à Versailles, dessin de David.
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