Avec les accents charitables du prêche, Emmanuel Macron s’est livré en
réalité devant le Congrès à une charge violente contre toutes les
valeurs collectives.
Au Président la haute philosophie, au Premier ministre les comptes
d’apothicaire. Entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe, la division du
travail est simple comme bonjour. Ce n’est même plus le « je décide, il
exécute » de Chirac et Sarkozy, c’est « la tête et les jambes ».
L’ennui, c’est que « la tête » n’a pas vraiment atteint les hauteurs que
promettaient les fastes Grand Siècle déployés pour la circonstance.
Lundi, en une heure et demie de discours devant le Congrès, le président
de la République a administré à la France entière une leçon de morale
finalement assez nunuche, plus proche de la chanson de Jacques Dutronc «
Fais pas ci, fais pas ça ! » que de Machiavel ou de Tocqueville. Une
leçon qu’un mot résume : individualisme. Ou si on préfère : un « chacun
pour soi » fondé sur un concept de responsabilité mis à toutes les
sauces. Une rhétorique enflée qui n’avait pour but que d’inviter nos
concitoyens à « se désintoxiquer de l’interventionnisme public », les pauvres à se libérer tout seuls de « l’aliénation de la misère », et chacun de nous à briser les chaînes de « l’aliénation financière » pour… réduire la dette. Beaucoup de circonlocutions pour ne pas prononcer le mot tabou : « austérité ».
Dans le discours macronien, « responsabilité » et « liberté »
signifient « débrouillez-vous tout seuls ». C’est un peu le libéralisme
raconté aux enfants. Une autre leçon a été administrée à l’opposition
qui a « déserté » l’hémicycle. Et une autre encore à la presse qui doit cesser de faire du « scandale ». Sans que l’on sache très bien s’il s’agit de tancer les magazines people ou Le Canard enchaîné enquêtant sur les turpitudes de certains élus.
Sous les douces apparences de la leçon de morale, on aperçoit par
instants un inquiétant directeur de conscience. Avec les accents
charitables du prêche, Emmanuel Macron s’est livré en réalité à une
charge violente contre toutes les valeurs collectives, usant de formules
parfois très rudes comme ces « aides qui transforment les faibles en mineurs incapables ».
Tout cela non sans naïveté d’ailleurs. Car ces injonctions oublient la
véritable nature des conflits d’intérêts qui travaillent naturellement
toute société. Il nous a refait le coup de la pédagogie. Si les Français
« se cabrent » face aux « réformes », ce n’est pas
parce que leur pouvoir d’achat est amputé, ou leurs droits de salariés
menacés, c’est parce qu’ils ne les ont pas comprises, ou qu’elles leur
ont été mal expliquées. Dans la pensée macronienne, les conflits ne sont
rien d’autres que des malentendus qu’une bonne explication de texte ou
une admonestation règleront sans peine. Fallait-il convoquer les
parlementaires en Congrès pour nous infliger un discours aussi convenu ?
C’est peu dire qu’Emmanuel Macron a donné raison aux boycotteurs de la
France insoumise, du PC et d’Europe écologie. Finalement, il avait mieux
résumé le fond de sa pensée sociale deux jours auparavant en vantant
les vertus des halls de gare où se croisent « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien ». Comme un léger mépris de classe… Avec l’épaisseur d’un tweet, la formule valait mieux qu’un long discours.
Disons un mot tout de même des « annonces » que le
Président a volées à son Premier ministre. La réduction d’un tiers du
nombre de parlementaires ouvre la voie à de possibles règlements de
comptes : députés de La République en marche, tenez-vous à carreau !
L’introduction d’une (petite) dose de proportionnelle irait dans le bon
sens, si elle n’était pas seulement cosmétique. En revanche, la
suppression de la Cour de justice de la république, qui ramène les
ministres au rang de justiciables comme les autres, est vraiment une
bonne chose. Hélas, au chapitre des libertés, il faut dénoncer le tour
de passe-passe sur l’état d’urgence. Emmanuel Macron en a bien promis sa
levée pour le mois de septembre. Mais non sans qu’auparavant
l’essentiel du dispositif ait été intégré à la loi commune. Pire que
tout.
Lundi, le discours présidentiel a été précédé d’une
minute de silence en hommage à Simone Veil, décédée trois jours plus
tôt. Nos confrères ont consacré des cahiers entiers à la vie de cette
femme remarquable. Un hommage national lui été rendu aux Invalides et
une pétition recueille déjà des milliers de signatures pour son
transfert au Panthéon.
Un consensus immédiat et spontané s’est formé pour louer son courage
face aux épreuves de la vie, et des plus cruelles. On en oublierait
presque qu’elle fut la cible d’attaques violentes lorsqu’en 1974 elle a
défendu la loi sur l’IVG. Le consensus s’explique aussi par le fait que,
personnalité politique de tout premier plan (et de droite), elle n’a
jamais été impliquée dans les querelles de pouvoir. En tout cas pas à
son profit. Que dire de plus, que dire de mieux ? Si, un souvenir.
C’était en mai 2010, Simone Veil était venue impromptu au pot d’adieu de
la déléguée de Palestine en France, Hind Khoury.
Solidarité féminine ?
Sûrement. Mais un peu plus que ça sans doute. Le geste d’une femme
libre.
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