Emmanuel Macron a déclaré lors du G20 qu'une partie des problèmes de
l'Afrique provenait du taux de fécondité de certains pays. Mais c'est
renverser l'ordre des causes, comme l'expliquent Nicolas Sersiron et
Anouk Renaud, du CADTM.
Lors du G20 des 7 et 8 juillet à Hambourg, Emmanuel Macron a fait part
de sa brillante analyse (encore une…) du sous-développement de
l’Afrique, dont l’une des causes principales seraient les « 7 à 8 enfants des femmes africaines » :
[VIDÉO] Au G20, interrogé sur l'#Afrique, Emmanuel #Macron se lâche sur les «7 à 8 enfants» des Africaines. Un problème «civilisationnel». pic.twitter.com/pJgdaeuuoz— Politis (@Politis_fr) 10 juillet 2017.
Les causes du « sous-développement » africain ne sont apparemment pas
enseignées à l’ENA, pas plus que celles des « sans-dents » de son
prédécesseur. Confondre les symptômes d'une maladie, ou d'un grave
problème comme la surpopulation, avec ses causes, est symptomatique de
ces décideurs néolibéraux qui préfèrent faire porter la responsabilité
des inégalités et des injustices sur les victimes plutôt que sur les
responsables. Mais pour cela il faut ranger l'histoire dans un tiroir
inatteignable de sa mémoire.
Oublier le pillage des ressources naturelles de ce continent par
l'Europe depuis le milieu du XIXe siècle à travers la violente
colonisation d'hier, le dramatique néocolonialisme d'aujourd'hui à
travers les assassinats, la corruption, l'extractivisme, l'ingérence
politique françafricaine et la dette illégitime. Oublier aussi la
tragédie lointaine, de l'extraction de la force de travail durant les
trois siècles précédents de ces dizaines de millions de jeunes
africains, esclaves exportés dans des conditions pires que le bétail.
Cette pensée tellement primaire de Macron sur les femmes africaines
révèle un mépris raciste et sexiste, émanant du président français à
savoir un homme, un blanc et un chef d’État.
Macron semble ignorer cette évidence empirique : la transition
démographique se fait naturellement dès que les femmes et hommes ont
accès à l'éducation, à la santé, à une alimentation sans angoisse du
lendemain, bref à une vie digne. Et comment atteindre cet état, si les
politiques qui sont imposées à ces pays par le FMI, la Banque mondiale
ainsi que par les pays industrialisés réunis au sein du Club de Paris
[2] depuis les années 1980 et la grande crise de la dette, vingt ans
après les décolonisations, sont des plans d'austérité à répétition
couplés à un libre-échange totalement déloyal et une privatisation de
leurs ressources. Dans les plans d'ajustement structurel imposés aux
pays du Sud – ceux-là même qui sont appliqués à la Grèce aujourd'hui –
une mesure phare était la disparition de la gratuité de l'éducation et
de la santé.
Les femmes africaines, premières victimes du néocolonialisme et de l’extractivisme
Loin d’être responsables, les femmes africaines sont en fait les
premières victimes de ce système. En tant que pauvres, africaines mais
aussi en tant que femmes. Les politiques d’ajustement structurel
imposées au nom du remboursement de dettes illégitimes, ont fait
exploser les inégalités entre les femmes et les hommes. Le travail
gratuit des femmes déjà colossal s’est encore accru, puisque les femmes
pallient aux services sociaux démantelés en s’occupant des enfants, des
personnes âgées ou malades. Les coupes dans les budgets de santé ont mis
à mal leurs droits sexuels et reproductifs. Aujourd’hui, 830 femmes
meurent chaque jour de complications liées à leur grossesse ou
accouchement et qui pourraient être évitées. Ces femmes vivent à 99 %
dans les pays en voie de développement.
La violence des politiques extractivistes et impérialistes prend une
couleur bien singulière et amère en ce qui les concerne. Le viol de
masse s’avère une arme politique braquée vers les femmes. Que ce soit
lors du pillage du coltan et de la cassitérite en République
démocratique du Congo (RDC), par exemple. Ou encore lors du génocide
rwandais, auquel la France n’est pas étrangère et durant lequel, l’ONU
estime à au moins 250 000 le nombre de viols de femmes.
Ce sont les discours à la Macron qui alimentent l’idée que les
enfants des pauvres sont une charge pour la société. Ce sont ces mêmes
discours qui ont abouti à des avortements et stérilisations forcées
pratiquées en masse sur des femmes minorisées, notamment dans les
colonies françaises, comme le montre la politologue Françoise Vergès
dans son ouvrage, Le Ventre des femmes (Albin Michel, 2017), cité par Libération.
Le G20 fabrique du sous-développement
Les décisions que prennent vingt chefs d’États industrialisés – parmi
lesquels figurent les anciennes puissances coloniales, dorénavant les
pays les plus pollueurs et pilleurs de la planète – dans leurs salles de
réunion aseptisées, protégés de la colère de la rue par 20 000
policiers et un arsenal répressif colossal, sont précisément la source
de la misère africaine. Le G20 de Hambourg, pourtant placé sous le signe
du soutien à l’Afrique, ne fait pas exception à la règle. Pour répondre
aux problèmes de surendettement des États, le G20 entend renforcer le
rôle des institutions financières internationales, telles que le FMI, la
BM ou encore le Club de Paris, dont on connaît non seulement
l’inefficacité mais aussi le caractère néfaste. L’initiative allemande
Compact with Africa, présentée comme une bonne pratique à suivre,
consiste au renforcement des prêts et investissements privés en Afrique,
autrement dit, ouvre (encore plus) la porte au surendettement des pays
et au pillage de leur économie au profit des banques et multinationales
occidentales. Du haut de leurs cravates et de leurs certitudes, les
chefs d’État présentait cette « aide » à l’Afrique comme un moyen de
freiner l’immigration. N'y a-t-il pas, en effet, dans cette phrase de
Macron la peur de voir les hordes de pauvresses et pauvres africains
faire déborder la Méditerranée de leurs corps engloutis ?
Comme à l’accoutumée dans ce genre de rencontre au sommet, le G20
compte éteindre un feu avec un lance-flammes. Car les vrais responsables
du soi-disant « sous-développement » de l’Afrique sont biens tous les
Macron au pouvoir ainsi que leur monde : le FMI, la BM, les chefs
d’États occidentaux, le G20, le Club de Paris, les gouvernements
français successifs…
[1] Pour en savoir plus sur le Club de Paris, voir : Maud Bailly et Claude Quemar, « Carton rouge pour le Club de Paris ! », CADTM, juillet 2016.
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