vendredi 7 juillet 2017

Un cerf dans une église

Olivier Cabanel   

Certains trouvent une mouche dans le potage, d’autres posent des lapins, trouvent une anguille sous roche, sautent du coq à l’âne, trouvent un loup dans la bergerie, mais avez-vous déjà vu un cerf se promener dans une église ?

C’est dans l’église de St Eustache qu’on a pu filmer l’intrusion surprenante d’un magnifique cerf, lequel a fait le tour du propriétaire, avant de retourner dans sa forêt...étonnant bien sûr, mais n’est-il pas encore plus étrange que cet événement se soit passé dans l’église de St Eustache ?
Le grand artiste, Albrecht Dürer, probablement le plus grand graveur au Monde, avait réalisé une œuvre basée sur la légende d’un homme tombé nez à nez avec un cerf lequel avait une croix scintillante entre ses bois.
Ainsi commence la légende de St Eustache, qui, avant d’être canonisé, était un vaillant général romain, nommé Placide.
Il portait assez mal ce nom, car il était réputé pour être un solide guerrier avec un palmarès de victoires assez bien fourni.
Un jour, ce Placide, ayant abandonné provisoirement son activité guerrière pour la chasse, tomba nez à nez avec un cerf, une croix scintillante entre ses bois, lequel lui déclara : « Placide, sans le savoir, tu sers le Christ que je représente… », et Placide décida de devenir chrétien.
Or, en même temps, son épouse Théopista reçut la visite d’un ange qui la convaincu à son tour de devenir chrétienne…
Voilà donc nos deux époux devenus chrétiens en quelques heures, et le lendemain, la famille au complet alla se faire baptiser.
2 jours plus tard, le fameux cerf apparu a Placide, lui annonçant que de lourds nuages s’accumulaient au-dessus de sa tête, prêts à lui causer quelques problèmes…les démons de l’enfer allaient se déchaîner contre lui !
En effet, ses esclaves subirent une mortelle peste… une épidémie décima son troupeau…des brigands pillèrent leur maison et y mirent le feu…
Le général romain décida alors de fuir, de prendre un bateau avec femme et enfants, direction l’Egypte.
Mal lui en prit.
Le navire fut attaqué par des pirates, et toute la famille fut réduite en esclavage.
Après de multiples démêlés, l’empereur romain, Trajan en l’occurrence, menacé par les Parthes, fit rechercher son bon général Placide… le retrouva, et l’envoya au front.
Celui-ci repoussa l’adversaire au-delà de ses frontières, mais hélas, lors de la fête célébrant ce triomphe, Placide, en bon chrétien qu’il était, refusa d’honorer les Dieux romains, et l’empereur le condamna à subir une ultime et définitive violence : lui et sa famille furent enfermés dans un immense taureau d’airain, chauffé à blanc.
À la surprise générale, au lieu d’entendre des hurlements de douleur, la légende prétend que les participants entendirent des champs religieux…
Depuis ce jour, Placide, devint St Eustache ainsi que le patron des chasseurs et des gardes forestiers…lien
La dernière page de cette légende vient donc d’être tournée avec l’intrusion d’un cerf, en octobre 2005, dans l’église de St Eustache, dans le 1er arrondissement parisien. Vidéo.
L’animal a-t-il été désireux d’admirer le vitrail animé de Leonora Hamill, installé dans cette église, vitrail dans lequel on découvre le fameux cerf de St Eustache, inauguré en janvier de la même année ? lien
Au-delà de cet épisode troublant, c’est l’occasion de se pencher sur l’origine des légendes, des contes, et des comptines.
C’est ce qu’a fait Nadège Salzmann, publiant aux éditions Slatkine, un joli livre très édifiant, se penchant sur l’origine de certaines comptines. lien
On y apprend, selon Jean-Pierre Poly, que le fameux « am stram gram, pic et pic et ratatam… », serait issu d’une formule chamanique, et qu’il est apparu avant le 9ème siècle, époque à laquelle l’église catholique s’acharnait à supprimer les pratiques chamaniques en cours à l’époque. lien
D’après Karolina Resztak, « am stram gram » viendrait d’une incantation nordique qui permettrait la prise de possession de l’esprit loup.
La traduction donnerait : « toujours fort Grain/ viens donc viens, j’appelle Grain/ surviens car je mande au brin, / toujours fort Grain, même si le chanteur Rémi Guichard affirme qu’il s’agirait de la déformation de « as, roi, dame pique, et pique et cœur de dame ».
Quant à la « souris verte qui courrait dans l’herbe », les avis sont partagés sur son origine, et Nadège Salzmann en propose une signification qui serait du domaine de la métamorphose.
L’auteur s’interroge aussi sur les différentes versions… « Je la mets dans ma culotte, elle me mange ma petite carotte…je la mets dans ma chemise, elle me fait trois petites bises »…ce qui donne à la comptine un sens bien différent. chanson
Passons au petit cochon pendu au plafond, censé donner du lait, pondre des œufs, voire de l’or…
Là aussi, plusieurs explications sont proposées.
S’il est vrai que le cochon ne donne pas seulement de la viande et du cuir, que viendraient faire ici les œufs et le lait ?
Il faudrait prendre le lait au sens symbolique, puisqu’il signifie abondance et fertilité… la Bible n’évoquait-elle pas un Moïse conduisant son peuple vers « un pays ruisselant de lait et de miel », promesse de grandeur et de richesse ?
Quant à l’œuf, il est symbole de création : c’est d’un œuf que la mythologie finlandaise fait naître le monde.
Voilà donc comment il faudrait comprendre ce « cochon pendu au plafond ».
Passons du cochon au furet, « qui court, qui court », et « qui passe par ici, et repassera par là »…
Contre toute attente, cette comptine, due au compositeur Jean-Baptiste Weckherlin, était une raillerie destinée au cardinal Guillaume Dubois.
Pour la comprendre, il faut la penser en contrepèterie : «  il fourre, il fourre, le curé ».
Ce cardinal avait au cours des années acquis une solide réputation de coureur de jupons, avant qu’il eut prononcé ses vœux, mais continuant par la suite, ce qui fit naître cette comptine.
Il en va de même pour l’innocent « au clair de la lune », qui en réalité a un double sens : la plume étant le sexe masculin, et la lune étant une paire de fesses…ce qui explique l’expression « battre le briquet » que l’on trouve dans la chanson, signifiant avoir une relation sexuelle. lien
Restons dans le même domaine en évoquant la célèbre comptine « nous n’irons plus aux bois, les lauriers sont coupés  »…
Cette danse enfantine, qui semble un peu naïve et bucolique, naquit de l’interdiction de la prostitution décrétée pour la 1ère fois par Saint Louis, en 1254.
À l’époque, les prostituées attendaient leur clients dans des bordes, cabanes en bois construites en périphérie des villes. (L’ancien français désignait par borde les planches et les poutres, ce qui donna naissance au mot « bordel »).
Malgré l’interdiction, ce commerce continua tant bien que mal jusqu’à Louis XIV, lequel vivait assez mal le fait que ses ouvriers ne travaillaient plus assez rapidement, attirés qu’ils étaient par les prostituées installées dans les jardins de Versailles.
Il menaça donc les clients de ces prostituées d’avoir nez et oreilles tranchées, et les filles d’être fouettées en place publique.
Rien n’y fit, et elles se réfugièrent dans des hôtels aux alentours, signalant leur présence par des couronnes de lauriers : rappelez-vous dans la chanson, « les lauriers sont coupés »…et chacun comprend qui est « la belle que voilà »…quant à la phrase « embrassez qui vous voulez », elle est à l’évidence un appel au libertinage.
On oublie souvent qu’au 15ème siècle, les 40 000 prostituées parisiennes vivaient dans 3.000 bordels gérés par l’état, mais aussi par l’église. lien
On en apprend donc de belles dans ce joli livre de Nadège Salszmann, lequel comporte aussi un CD avec toutes ces comptines mises en musique.

Il est probable que les enfants qui dansent sur l’air de « il court, il court, le furet », qui coupent les lauriers, qui pendent les petits cochons au plafond, qui évoquent une souris verte, laquelle, mise dans une petite culotte, leur mange leur petite carotte,  ignorent le sens caché de ces vieilles comptines, car comme dit mon vieil ami africain : « mieux vaut un ennemi intelligent qu’un ami ignorant ».

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