Les politiciens israéliens auraient pu prévoir que les nouvelles
mesures de sécurité à al-Aqsa alimenteraient la violence ; au lieu de
cela, ils ont joué la carte de la politique interne. Or il se peut
qu’ils ne puissent contenir les événements.
Six morts et plus de 300 blessés en une seule journée. Voilà le bilan
sanglant de ce week-end suite au refus obstiné du gouvernement
israélien d’enlever les détecteurs de métaux à l’entrée du Haram
al-Sharif, dans Jérusalem-Est occupée.
Trois Palestiniens ont été tués lors de manifestations de rue et
trois colons juifs ont été poignardés à mort dans la colonie de Halamish
près de Ramallah, leur assaillant revendiquant d’avance que sa
motivation pour le meurtre de colons était la situation à la
mosquée al-Aqsa à Jérusalem-Est.
« Ils profanent al-Aqsa et nous dormons. N’avez-vous pas honte ?
Ils ont fermé la mosquée d’al-Aqsa et vous n’avez pas pris les armes. Il
est honteux que nous restions sans réagir… Pourquoi ne déclarez-vous
pas une guerre sainte ? », a déclaré Omar al-Abed (20 ans),
originaire du village de Kubra – également la ville natale du leader
palestinien emprisonné Marwan Barghouti – avant de partir tuer des
colons samedi soir avec un couteau qu’il avait acheté avant.
Pour la première fois depuis des centaines d’années, cette mosquée,
troisième lieu saint de l’islam, était vide la semaine dernière. La
décision du gouvernement israélien de placer des détecteurs de métaux à
l’entrée d’al-Aqsa, en réponse à l’attaque perpétrée quelques jours
auparavant par trois citoyens palestiniens d’Israël qui ont abattu deux
agents druzes israéliens de la police des frontières, a provoqué une
vague de protestation chez les Palestiniens et dans tout le monde
musulman d’ailleurs. Les Palestiniens sont résolus à ne pas pénétrer sur
le site sacré tant que les détecteurs de métaux d’Israël restent en
place.
Le problème, bien sûr, n’était pas les détecteurs de métaux en eux-mêmes, mais l’altération du très fragile et précaire statu quo sur le site. La mise en place d’un équipement de sécurité, qui est en fait un checkpoint israélien,
à l’entrée d’un lieu saint musulman, est perçue par les Palestiniens,
par les Arabes et par les musulmans en général comme un accroissement du
contrôle israélien sur le lieu saint et une intensification de
l’occupation.
Cela ne peut être compris autrement. Plutôt que de prendre toutes les
précautions nécessaires pour éviter d’attiser l’incendie, Israël a
obstinément joué des coudes dans cette situation à l’équilibre précaire
et l’a chamboulée.
Israël est Israël
Certains pensaient qu’Israël cherchait l’escalade, mais en vérité,
Israël est simplement Israël, où presque tout se produit en raison de la
politique interne : une compétition pour savoir qui est plus à droite
que qui et qui est le plus ultra-nationaliste et militariste dans le
gouvernement le plus ultra-nationaliste et le plus militariste qu’Israël
ait connu. C’est ce qui a dicté l’insistance obstinée d’Israël au sujet
des détecteurs de métaux.
Le Shin Bet et l’armée israélienne se sont opposés à leur
installation ou, plus précisément, ont soutenu leur retrait ; seule la
police israélienne pensait autrement. Néanmoins, le cabinet de sécurité
israélien a décidé jeudi soir de les laisser en place, principalement
pour contrer la menace politique de la droite.
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou s’inquiète de l’essor de la
popularité du ministre de l’Éducation et président du Foyer
juif, Naftali Bennett, au sein de la base politique de droite en
Israël : voilà de quoi il s’agit. Vendredi matin s’annonçait déjà le
début d’un vendredi noir, avec des effusions de sang à venir. C’était
une prophétie autoréalisatrice.
Un cycle sanglant sans fin
Mais ce week-end noir, ou plutôt rouge étant donné les effusions de
sang, pourrait facilement constituer un tournant dangereux. Les tensions
ne vont pas disparaître dans les prochains jours et l’armée a raison de
penser que les troubles actuels dureront au moins quelques semaines.
D’autres scénarios sont moins optimistes, même si l’on peut douter du
fait que nous soyons au début d’une troisième intifada. Les
Palestiniens ne disposent pas des infrastructures, du leadership, de
l’unité et de l’énergie nécessaires, et ils ne se sont toujours pas
remis de la deuxième intifada, qui n’a rien changé pour eux.
Mais il est clair que le calme relatif qui régnait plus tôt est rompu
pour un certain temps. Le plus grand danger, également souligné par
l’armée, est que de nouvelles forces religieuses entrent maintenant dans
la lutte contre l’occupation israélienne, ce qui donnera une tournure
plus religieuse aux hostilités.
La balle est dans le camp d’Israël, comme d’habitude. Si le
gouvernement se comporte judicieusement et supprime les détecteurs de
métaux offensants, renvoyant la situation au statu quo ante,
et, dans le même temps, ne commet pas de représailles violentes pour
l’attaque de Halamish, peut-être que le génie du mal pourra être remis
dans sa lampe. Mais même alors, le génie ne peut être banni que
temporairement, pour une période indéterminée.
En fin de compte, la résistance à l’occupation ne cessera pas, seules
la forme et la variation de son degré de violence changeront, mais elle
ne disparaîtra jamais ; c’est ce que nous apprend l’histoire. Il y a une
occupation militaire forcée et violente sur le mont du Temple et, tant
que cette occupation existe, la résistance, violente également, existera
aussi. L’intensification de la résistance conduit naturellement à une
plus grande brutalité de l’occupation et le cycle sans fin et sanglant
se répète, sans perspective d’une fin tant que l’occupation
n’appartiendra pas au passé.
« Quel genre de vie est-ce ? »
Les dernières paroles d’Omar al-Abed étaient les suivantes : « Je
suis jeune – je n’ai même pas 20 ans – et j’ai eu beaucoup de rêves et
d’aspirations, mais quel genre de vie est-ce lorsque nos femmes et nos
jeunes sont assassinés sans justification ? »
Les paroles d’Abed ne peuvent être ignorées, ni désavouées : comme
tous les autres jeunes à Jérusalem occupée et en Cisjordanie et comme un
nombre beaucoup plus élevé de jeunes dans la bande de Gaza
assiégée, Abed avait peu de perspectives de vie, voire aucune.
Ces jeunes n’ont presque aucun espoir, pas de perspective d’avenir,
pas d’horizon optimiste. Leur vie est chargée d’humiliations
quotidiennes et sans fin, leur situation économique est épouvantable et
la plupart d’entre eux n’ont aucun espoir d’être sauvés de tout cela.
Dans ces circonstances, Abed n’avait rien à perdre. Ce désespoir,
aujourd’hui typique chez les jeunes palestiniens vivant sous occupation
israélienne, n’augure rien de bon pour les Palestiniens, ni pour les
Israéliens.
Un message profondément décourageant
Dans l’affaire des détecteurs de métaux, le caractère lamentable et
la faiblesse de l’occupation israélienne ont été révélés au grand jour.
C’est ce qui pourrait être la bonne nouvelle aujourd’hui. Un régime fort
aurait insisté moins obstinément sur une démonstration de force.
L’attitude d’Israël, qui a redoublé d’efforts au sujet des détecteurs de
métaux, trahit une certaine faiblesse.
Le comportement des forces de sécurité israéliennes pendant les
troubles a également été un signe de faiblesse. Vendredi, la police aux
frontières a envahi l’hôpital palestinien al-Makassed, à Jérusalem-Est,
pour rechercher le corps d’une des victimes ; des amis avaient essayé
d’empêcher Israël de s’en emparer, puisque l’armée israélienne refuse
depuis plusieurs semaines de remettre les corps des Palestiniens décédés
à leur famille.
Cette pratique nauséabonde, fruit de la doctrine sécuritaire énoncée
par le ministre de la Sécurité intérieure Gilad Erdan, est une autre
marque de faiblesse. La vue de la police des frontières armée et en
équipement de protection intégral remplissant le couloir et la morgue
d’al-Makassed est une image qui ne sera sûrement pas oubliée de sitôt.
L’image des amis du défunt tentant de sauver son corps encore
ensanglanté et d’aller l’enterrer avant que les Israéliens ne puissent
s’organiser pour le retenir est tout aussi difficile à oublier.
Samedi soir a circulé la nouvelle que la police israélienne avait
commencé à retirer les détecteurs de métaux de l’entrée du Haram
al-Sharifet à installer des « substituts ». Israël a prouvé une nouvelle fois qu’il ne comprenait que la force : ce n’est que lorsque le sang coule qu’Israël cède.
L’idée folle des détecteurs de métaux – qui, dans tous les cas,
n’avaient aucune chance d’être efficaces ni même viables étant donné le
nombre de personnes qui fréquentent les prières du vendredi à al-Aqsa –,
qui aurait dû être écartée en amont, est finalement abandonnée après
l’effusion de sang et non avant.
C’est un message profondément décourageant et menaçant, parce que le
discours adressé aux Palestiniens est le suivant : la violence est le
seul moyen. Ce message est très dangereux.
Alors que j’écris ces lignes, ce samedi soir, la nuit tombe sur la
vieille ville de Jérusalem mais ses rues sont loin d’être calmes.
Davantage de rapports faisant état de confrontations violentes,
davantage de blessés et de sang.
C’est à cela que ressembleront les jours à venir, qui détermineront
si nous sommes à l’aube d’une nouvelle vague de résistance ou si les
événements récents seront oubliés, comme les précédents. Dans tous les
cas, la prochaine vague est dans une impasse.
Gideon Levy - 24 juillet 2017 -
Middle East Eye
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