Camus a
été le seul intellectuel occidental à dénoncer l'usage de la bombe
atomique au lendemain du bombardement d'Hiroshima dans son célèbre
éditorial de "Combat".
Alors que l'ONU vient d'adopter un traité interdisant les armes nucléaires (boycotté par la France, la Corée du Nord, Israël etc ...) et alors que guerres et conflits ensanglantent la planète, son message est plus que jamais d'actualité.
Alors que l'ONU vient d'adopter un traité interdisant les armes nucléaires (boycotté par la France, la Corée du Nord, Israël etc ...) et alors que guerres et conflits ensanglantent la planète, son message est plus que jamais d'actualité.
Le
monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu de chose. C’est ce que chacun
sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux
et les agences d’information viennent de déclencher au sujet de la bombe
atomique.
On nous apprend, en effet, au milieu d’une foule de
commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance
moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d’un
ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se
répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les
inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les
conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe
atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique
vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir
choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif
ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
En
attendant, il est permis de penser qu’il y a quelque indécence à
célébrer ainsi une découverte, qui se met d’abord au service de la plus
formidable rage de destruction dont l’homme ait fait preuve depuis des
siècles. Que dans un monde livré à tous les déchirements de la violence,
incapable d’aucun contrôle, indifférent à la justice et au simple
bonheur des hommes, la science se consacre au meurtre organisé, personne
sans doute, à moins d’idéalisme impénitent, ne songera à s’en étonner.
Les
découvertes doivent être enregistrées, commentées selon ce qu’elles
sont, annoncées au monde pour que l’homme ait une juste idée de son
destin. Mais entourer ces terribles révélations d’une littérature
pittoresque ou humoristique, c’est ce qui n’est pas supportable.
Déjà,
on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Voici qu’une
angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être
définitive. On offre sans doute à l’humanité sa dernière chance. Et ce
peut-être après tout le prétexte d’une édition spéciale. Mais ce devrait
être plus sûrement le sujet de quelques réflexions et de beaucoup de
silence.
Au reste, il est d’autres raisons d’accueillir avec
réserve le roman d’anticipation que les journaux nous proposent. Quand
on voit le rédacteur diplomatique de l’Agence Reuter annoncer que cette
invention rend caducs les traités ou périmées les décisions mêmes de
Potsdam, remarquer qu’il est indifférent que les Russes soient à
Koenigsberg ou la Turquie aux Dardanelles, on ne peut se défendre de
supposer à ce beau concert des intentions assez étrangères au
désintéressement scientifique.
Qu’on nous entende bien. Si les
Japonais capitulent après la destruction d’Hiroshima et par l’effet de
l’intimidation, nous nous en réjouirons.
Mais nous nous refusons à
tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider
plus énergiquement encore en faveur d’une véritable société
internationale, où les grandes puissances n’auront pas de droits
supérieurs aux petites et aux moyennes nations, où la guerre, fléau
devenu définitif par le seul effet de l’intelligence humaine, ne
dépendra plus des appétits ou des doctrines de tel ou tel État.
Devant
les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous
apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être
mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des
peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre
l’enfer et la raison. "
Albert Camus
Source : https://blogs.mediapart.fr/register/blog/110717/le-plaidoyer-pour-la-p...
Le Grand Soir
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