Henri Maler
Nous étions là le 12 septembre [1]. Nous serons là le 21 et le 23. Quels sont nos motifs ? Pourquoi soutenir les manifestations contre les ordonnances ?
Parce qu’Acrimed est une association de critique des médias, c’est le
sort des journalistes, stagiaires et pigistes, photojournalistes et
précaires, grands reporters ou soutiers de l’information, qui mérite que
nous lui portions une particulière attention : les ordonnances ne
peuvent qu’aggraver leur situation et compromettre davantage l’avenir de
l’information.
La plupart des journalistes, subordonnés trop peu souvent
réfractaires en dépit de l’action des syndicats de journalistes, ne
sauraient être confondus avec les éditocrates, commentateurs et
chroniqueurs omniprésents, qui trônent au sommet de la profession et qui
prétendent parler en son nom et la défendre. Ces bavards, tous médias
confondus, qui papotent sur toutes les chaînes de télévision et les
stations de radio n’ont rien à redouter des ordonnances qu’une grande
majorité d’entre eux approuve et soutient. Leur duplicité ne doit pas
nous égarer quand ils entendent se soustraire aux critiques légitimes
qui les prennent pour cibles en les déguisant en critique indifférenciée
du journalisme en général. C’est en toute indépendance que la plupart
d’entre eux se conforment aux intérêts des propriétaires sans que
ceux-ci aient, le plus souvent, à leur donner des ordres explicites.
Les entreprises médiatiques, publiques ou privées, sont des
entreprises comme les autres, souvent pires que bien d’autres. Des
directeurs de rédaction sont devenus des experts en management et en
réduction des coûts, garants autant, sinon plus, de la rentabilité du
média qui les emploie, que de la qualité de l’information qu’ils
produisent. Le nombre des journalistes encartés décroît régulièrement et
la taille des rédactions ne cesse de se réduire. Des licenciements
massifs ont touché plusieurs médias. Les stagiaires et les pigistes
sous-payés comblent les trous, les droits des photojournalistes sont
rognés
Et les ordonnances ?
Une fois encore, après un usage intensif du 49-3, la contre-réforme
amplifiée du code du travail est décidée autoritairement, par
ordonnances, c’est-à-dire sans débat public. C’est donc dans la rue
qu’elle sera contestée.
La primauté accordée aux accords d’entreprise sur la convention
collective pourra permettre de réduire les rémunérations qui sont loin
d’être faramineuses pour tous. De ces accords pourront également
dépendre le montant du paiement des heures supplémentaires (lorsque
celles-ci sont prévues et donnent lieu à rémunération), de la prime
d’ancienneté et de la prime de nuit. Plus grave : les licenciements
seront facilités, grâce notamment à cette innovation : la rupture
conventionnelle collective. Les contrats de travail pourront être
modifiés en cas de changement de propriétaire. Des contrats de chantier
pourraient être improvisés et appliqués aux journalistes chargés de
missions particulières. Les groupes multinationaux pourront licencier en
France, même s’ils sont largement bénéficiaires en général…
Seulement voilà. Pourquoi le dissimuler ? La concurrence qui règne
parmi les journalistes, la prégnance de croyances pseudo-modernistes que
nombre d’entre eux partagent, leur identification à la caste des
intouchables de la profession, l’esprit de corps, nourrissent bien des
illusions… funestes pour eux-mêmes, mais surtout pour l’information.
Et ce n’est pas tout…
Les contrats aidés ne sont pas une panacée. Et il existe de bonnes
raisons de principe de s’y opposer. Mais leur suppression brutale ne
peut que nuire gravement aux médias associatifs qui ont recours à ces
contrats pour vivre et parfois pour survivre. Cette suppression fait
courir de sérieux risques aux radios locales privées qui emploient plus
d’un millier de ces salariés. Le tout sans réelle contrepartie, alors
que les fonds de soutien sont chichement dotés, par opposition aux aides
à la presse généreusement attribuées aux grands médias dont la plupart
appartiennent à des milliardaires.
On ne saurait accepter que les médias associatifs qui sont
généralement des médias de proximité, indispensables à la diversité de
l’information, soient privés de moyens et, avec un long cortège de
chômeurs en puissance, menacés pour nombre d’entre eux dans leur
existence même.
À quoi il faut ajouter que rien, vraiment rien, dans les projets du
gouvernement ne contribue à garantir l’indépendance des médias, les
droits des journalistes et le pluralisme.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons les manifestations contre les
ordonnances et les mesures d’austérité qui les accompagnent.
acrimed.org
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