Michel Etiévent
Les Français sont-ils conscients
de ce qu’ils sont en train de perdre avec les attaques contre la
Sécurité sociale ?
Ce formidable projet de société qui, selon Ambroise
Croizat, devait « mettre fin à l’obsession de la misère », est
aujourd’hui en passe de s’effondrer sous les coups de boutoir du
gouvernement contre ce qui fait son fondement : la cotisation sociale.
Dès 1946, un continuum de plans de casse n’a cessé de mettre à mal une institution devenue pierre angulaire de notre identité sociale.
Aux oppositions de la droite, du patronat, des
médecins libéraux, un moment tues par le rapport de forces de l’époque,
se sont ajoutés une avalanche de réformes, passant par les ordonnances
de 1967 qui ont fait basculer sa gestion dans les mains du patronat, les
plans Barre, Fabius, l’impôt CSG de Rocard. Viendront ensuite les
mesures de Georgina Dufoix imposant des déremboursements successifs, les
lois Veil, Balladur allongeant la durée de cotisation, les plans Juppé
puis Chirac, Raffarin attentant aux retraites, les lois Jospin de 2001
imposant les normes européennes aux mutuelles. Sans oublier l’ordonnance
Douste-Blazy de 2004 qui videra les Conseils d’administration de leurs
pouvoirs, l’instauration de la tarification à l’acte, les lois Bachelot
confiant le pilotage de la protection sociale aux « préfets sanitaires »
des agences régionales de santé. En imposant l’obligation de la
mutualité d’entreprise, l’ANI 2013 accélérera la privatisation.
Si la destruction affichée de la cotisation
sociale n’est pas récente, elle est aujourd’hui frontale. Le rêve du
patronat est devenu une arme de gouvernement. Il importe de rappeler la
quadruple peine qu’elle impose aux bénéficiaires. Elle est tout d’abord
une amputation directe du salaire dont la cotisation est partie
intégrante. C’est un « salaire socialisé », fondé sur les
richesses créées dans l’entreprise. La seule création de richesses qui
va directement du cotisant vers le bien-être des gens sans passer par la
poche des actionnaires. Si le salaire net c’est pour le quotidien du
mois, le salaire brut c’est pour la vie.
La deuxième peine réside dans
la destination même de cette « économie » patronale. Elle n’ira
ni vers l’emploi, ni vers l’investissement, mais servira à augmenter
les marges patronales et à nourrir les actionnaires.
À cette atteinte
aux salaires, s’ajoute la troisième peine : la hausse de la CSG qui
alourdit la feuille d’impôt, fiscalise et étatise un peu plus encore la
Sécurité sociale.
Depuis 1995, la part de la
fiscalisation dans le financement de la Sécu est passée de 4,9 % à 28 %,
tandis que celle de la cotisation sociale tombe de 86,8 % à 67,3 %.
Imagine-t-on ce que pourrait devenir une Sécurité sociale abandonnée aux
mains de l’État ? Une seule ordonnance, à l’image de ce qu’a vécue
l’Espagne, pourrait engendrer coupes drastiques ou, pire, privatisation
immédiate.
La quatrième peine est encore plus lourde. Par la fin du
principe de solidarité, la mort de la cotisation sociale n’est rien
d’autre que celle de la Sécu.
Une coquille vide livrée au privé, aux
assurances santé inégalitaires et coûteuses. La fin du Droit de vivre
dignement.
Michel Etiévent - Historien, biographe d’Ambroise Croizat -
humanite.fr
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