Marion D'Allard
Près
de 95 % des cheminots se sont prononcés contre le pacte ferroviaire du
gouvernement.
Les syndicats en sortent légitimés et leur unité renforcée. Ils exhortent désormais le gouvernement à revoir sa copie et la direction de la SNCF à prendre ses responsabilités.
Les syndicats en sortent légitimés et leur unité renforcée. Ils exhortent désormais le gouvernement à revoir sa copie et la direction de la SNCF à prendre ses responsabilités.
Ils
avaient promis une riposte à la hauteur des coups portés. Les cheminots
viennent d’infliger un camouflet au gouvernement et à la direction de
la SNCF. Les 564 urnes déployées sur tout le territoire ont parlé :
91 068 cheminots (61,15 % des salariés) y ont glissé leur bulletin,
rejetant à 94,97 % le pacte ferroviaire que le gouvernement, épaulé par
la direction de l’entreprise publique, a décidé de faire passer en
force. Une « prouesse militante qui montre la détermination des
grévistes à répondre au venin du président Pepy, qui affirme que le
mouvement s’effrite et que la réforme est globalement acceptée », a
réagi Laurent Brun. Un résultat d’autant plus « exceptionnel », poursuit
le secrétaire général de la CGT des cheminots, lorsque l’on considère
les « conditions dans lesquelles s’est organisé ce vote », en quelques
jours seulement et face à « une direction qui, dès le début, a passé des
consignes pour que rien ne soit fait pour faciliter l’initiative,
notamment en matière d’accès aux locaux ». Voilà pour la mise au point.
De plus en plus de responsabilités et de moins en moins d’effectifs
Mais derrière, c’est la détermination des cheminots – tous
collèges confondus – à faire entendre leur voix que les représentants
nationaux des quatre organisations syndicales représentatives de la SNCF
(CGT, Unsa, SUD, CFDT) ont saluée hier à l’unisson. Ce résultat franc
témoigne non seulement « d’une hostilité incontestable des cheminots
vis-à-vis du pacte ferroviaire en cours de discussion », a insisté
Laurent Brun, mais « bat en brèche les procès en légitimité » que la
direction a enchaînés dès l’annonce de la mise en place du scrutin,
complète Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint de la CFDT
cheminots.
Bien loin des clichés d’une supposée « gréviculture »
entretenue par une poignée de « professionnels du désordre », ce vote
révèle surtout la « très forte mobilisation de l’ensemble des cheminots
et singulièrement de l’encadrement », note Jocelyn Portalier,
responsable de l’union fédérale des cadres et maîtrises de la CGT
cheminots. Leur taux de participation pourrait même être supérieur à la
moyenne nationale. Rien d’étonnant dans le fond, selon le responsable
fédéral. De plus en plus de responsabilités et de moins en moins
d’effectifs, « la réalité des conditions de travail de l’encadrement à
la SNCF explique largement leur mobilisation contre cette réforme ».
Signe d’« un véritable ras-le-bol », mais aussi d’une certaine forme de
lucidité. « Ils savent, poursuit Jocelyn Portalier, que les efforts de
productivité se feront aussi sur leur dos et lorsque la stratégie de
l’entreprise validée par cette réforme pousse à toujours plus de
sous-traitance, c’est à eux que revient la gestion des appels d’offres,
des cahiers des charges, des relations entre les entreprises… C’est une
véritable usine à gaz ».
Guillaume Pepy doit s’en mordre les doigts. Lui qui
claironnait que 20 % de grévistes revenait mathématiquement à considérer
que 80 % des cheminots soutenaient le projet de loi a déclenché l’ire
des salariés de la SNCF. Et désormais, chez les cadres comme ailleurs
dans l’entreprise, la question de son maintien à la tête du groupe
public ferroviaire fait irruption dans le débat. Hier, alors qu’à
l’appel de l’ensemble des organisations syndicales (FO comprise), des
dizaines de cheminots se sont rassemblés aux abords du siège de la SNCF à
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), l’un d’entre eux confie : « Janaillac a
quitté son siège de PDG d’Air France après une consultation de ses
salariés, Guillaume Pepy doit faire de même. » « Pepy dehors ! » a lancé
au micro, face à la foule et sous les fenêtres de la direction de la
SNCF, Fabien Villedieu, délégué syndical SUD rail. Plus modérées, la
CFDT, qui considère que « la fracture entre la direction et le corps
social est extrêmement forte », et l’Unsa, pour qui il y a « rupture de
confiance » manifeste, en appellent à ce que chacun prenne ses
responsabilités. La CGT a quant à elle réaffirmé par la voix de Laurent
Brun que la direction, « totalement discréditée », doit tirer « toutes
les conséquences de ce vote sans ambiguïté qui prouve qu’elle n’est plus
reconnue comme défenseuse du système ferroviaire, du service public, de
l’entreprise publique et de ses personnels ».
Les syndicats exhortent l’exécutif à ouvrir des négociations
« Impréparation », « amateurisme », « autoritarisme »,
qu’importe les critiques formulées par les cheminots et leurs
organisations syndicales, le gouvernement persiste et signe. Pour
Laurent Brun, « l’ego du président » a pris le dessus. « Il veut être
celui qui ne négocie pas », note le secrétaire général de la CGT
cheminots, quitte à cumuler « aveuglement et déni pour passer coûte que
coûte ses objectifs idéologiques au chausse-pied ».
Forts d’un vote qui, au-delà de légitimer largement leur
action, révèle clairement l’opposition des cheminots à la réforme en
cours, les syndicats exhortent le gouvernement à ouvrir, enfin, de
réelles négociations et ce, après « deux mois de lutte », a rappelé,
excédé, Erik Meyer, secrétaire fédéral SUD rail.
Une nouvelle salve de réunions bilatérales est prévue
demain à Matignon. Les syndicats attendent désormais que le gouvernement
convoque le patronat du rail à la table des discussions. Des réunions
tripartites, « où tous les sujets doivent être passés au crible ». En
somme, les cheminots ont dénoncé les dangers, manifesté leur colère,
soulevé les incohérences et présenté leurs propositions. Ils exigent
maintenant des réponses.
Les vrais chiffres du « coût » du statut des cheminots
C’est l’argument massue du gouvernement pour justifier
l’abandon du recrutement au cadre permanent : le surcoût que le statut
des cheminots ferait peser sur les comptes de la SNCF. « 700 millions d’euros par an ! »
déclarait Emmanuel Macron il y a quelques semaines. Élisabeth Borne a
depuis rectifié le tir, avançant le chiffre de 100 millions d’euros
annuels.
« Et aujourd’hui, les hypothèses tournent autour de 10 à 15 millions d’euros », note Laurent Brun, « soit entre 14 et 21 fois moins que le budget communication annuel de l’entreprise, dont plus personne ne parle d’ailleurs », tacle le secrétaire général de la CGT cheminots.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire