Jean-Luc Mélenchon
Il y a trois ans, j’alertais sur les dangers de la vente d’un fleuron
industriel français comme Alcatel à une multinationale étrangère :
Nokia.
Aujourd’hui, la mise en péril de notre souveraineté par cette
opération boursière se confirme. En effet, la multinationale de la
téléphonie a annoncé vouloir se séparer de sa division câbles
sous-marins Submarine Networks Solutions. En fait, il s’agit de
l’ancienne division d’Alcatel, Alcatel Submarine Networks (ASN).
Alcatel Submarine Networks est passé sous le contrôle de Nokia lors
de son rachat d’Alcatel en 2015. Cette entreprise est un sommet du
savoir technique de notre pays. En effet, ASN est le numéro un mondial
en matière de production, d’installation et de maintenance des câbles
sous-marins. Elle possède aujourd’hui 47% des parts de marché dans ces
domaines au niveau mondial. Son usine de Calais est la plus grande usine
du monde de production de ces câbles. En 2015 et 2016, l’entreprise a
battu des records historiques de vitesses de transmission sur ses câbles
transatlantiques. Grâce à sa technologie, le débit de ces câbles sont
aujourd’hui 13 000 fois supérieur à ce que l’on connaissait en 1995.
Les câbles sous-marins jouent un rôle essentiel dans le monde
moderne. Ils sont au cœur des communications mondiales. Ils permettent
99% des communications intercontinentales, qu’elles soient téléphoniques
ou internet. Ces gigantesques câbles sont les infrastructures physiques
sur lesquelles repose l’essentiel de la révolution communicationnelle
des trente dernières années. Mis bout à bout, ils représentent 800 000
kilomètres soit plus de 20 fois le tour de la terre.
Ils sont donc évidemment d’une importance vitale pour les sociétés.
Couper l’accès d’un pays à l’un de ces câbles et vous le plongez
littéralement dans le noir. C’est ce qui est arrivé à l’Égypte qui,
suite à un accident sur un câble en 2008, fut privée de la moitié de son
réseau internet pendant plusieurs jours. Aujourd’hui, la plupart des
activités d’un pays ne peuvent pas fonctionner sans accès au réseau
internet ou téléphonique.
Il est probable que ces installations soient donc un jour des cibles
militaires. C’est pourquoi le code de la défense français classe
l’entreprise ASN comme un « opérateur d’importance vitale ». Ce qui
signifie que les dirigeants de cette entreprise doivent être formés en
matière de cybersécurité, que le préfet de département élabore des plans
de protection pour ses installations ou encore que les prestataires
utilisés par elle doivent être homologués par l’État.
En dehors de la guerre, la question des câbles reste très sensible
puisque toutes nos communications passent par eux. Leur maîtrise est
donc un enjeu de souveraineté pour notre pays. Nous savons par exemple
depuis 2013 et les révélations d’Edward Snowden que la propriété
américaine sur certains de ces câbles ou sur les entreprises capables de
les faire fonctionner ont joué un grand rôle dans le dispositif
d’espionnage des États-Unis.
Et justement, ce sont aujourd’hui les géants américains d’internet et
de l’informatique qui investissent gros dans ces infrastructures. Au
début de l’année, Google a annoncé qu’il allait construire et poser 3
câbles sous-marins supplémentaires. La multinationale possédera ainsi en
2019 entièrement ou partiellement 11 câbles. Facebook et Microsoft ont
eux aussi investi dans leur propre câble. Ce faisant, ils accroissent
leur influence sur le monde virtuel, contrôlant à la fois la production
des contenus et leur diffusion. Évidemment, ceci est dangereux pour la
neutralité du net : Facebook ou Google, les principales plateformes qui
relient des millions d’êtres humains acquièrent la possibilité technique
de ralentir ou couper l’accès de tout un pays au réseau mondial.
D’autant plus que la proximité de ces entreprises avec les agences
d’État des États-Unis est largement documentée.
Pour toutes ces raisons, l’existence d’une entreprise comme Alcatel
en France, capable de prouesses dans ces domaines, était un atout
considérable pour notre pays, pour sa souveraineté, pour son
indépendance. Elle a été progressivement dépecée. Au nom d’une idéologie
absurde, elle a été sommée de se recentrer sur son « cœur de métier »,
c’est-à-dire progressivement vendue à la découpe, perdant ainsi de sa
puissance. C’est encore l’argument utilisé par Nokia pour vendre la
branche câbles sous-marins. C’est exactement l’inverse que font les
géants américains.
Emmanuel Macron, encore une fois, a une responsabilité directe dans
ce désastre. C’est lui qui, en 2015, en tant que ministre de l’Économie,
a autorisé la vente d’Alcatel. Il aurait pu prendre ses dispositions
pour protéger ce qui restait vital. Il ne l’a pas fait. Il pouvait
légalement l’empêcher et ne l’a pas fait. Ses phrases creuses sur la « French tech »,
sur la volonté de bâtir des « géants européens » capables de rivaliser
avec les Google, Facebook ou Microsoft pèsent peu face à un tel abandon.
Son libéralisme dogmatique prive la puissance publique des outils
nécessaires pour élaborer une réelle stratégie industrielle.
L’État français doit avoir son mot à dire dans cette vente.
L’essentiel des activités d’Alcatel Submarine Networks est encore en
France. Nous ne pouvons pas laisser céder l’usine de Calais, le savoir
technique accumulé par des générations de travailleurs français et en
partie financé par l’État français à n’importe qui. Le risque serait
trop grand de voir arriver un investisseur rapace qui pillerait la
trésorerie de l’entreprise puis délocaliserait la production.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire